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Droit du travail en prison: l’enlisement

Saisi pour la seconde fois du travail en prison, le Conseil constitutionnel aurait pu le sortir de sa situation de non-droit. Il ne l’a pas voulu. Dans une décision du 25 septembre, il renonce à définir un véritable statut des travailleurs détenus. Laissant perdurer une situation pourtant massivement dénoncée par le milieu universitaire et les observateurs du monde carcéral, dont les organes de contrôle et le pouvoir politique.

Par Maxime Gouache et Marie Crétenot

A l’origine de la saisine de la plus haute juridiction française, une situation ordinaire en milieu carcéral. Jonhy M., affecté aux ateliers de production de la prison de Poitiers Vivonne, gérés par la société GEPSA, constate des manquements aux normes de sécurité, des cadences déraisonnablement élevées, des rémunérations à la pièce illégales et l’absence d’espaces dédiés à la prise de pauses. S’en suivent des tensions avec le responsable de l’atelier et la mise en oeuvre d’une procédure de déclassement. Jonhy M. perd son poste. Il lui est notamment reproché d’avoir fait valoir des « revendications (…) sur ses conditions de travail » qui « peuvent s’entendre sur le fond » mais qui le « maintiennent en état de conflit constant avec l’administration et le prestataire ». Pour le chef d’établissement, ce comportement qui l’« amène à se poser, malgré lui, en un leader de contestation » créant un « risque de mouvement collectif (…) augmenté par la pénibilité relative de certaines missions » constitue un « manquement professionnel ». Résolu à faire valoir ses droits, Jonhy M. engage un recours contre la décision de déclassement. Soutenu dans sa démarche par l’OIP, il y joint une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), soulevant que son statut de travailleur détenu ne respecte pas les droits et libertés garantis par la Constitution. Jugée sérieuse par le Conseil d’Etat, la QPC est transmise au Conseil constitutionnel.

Régime dérogatoire

Saisi une première fois du travail en prison, le Conseil avait estimé en juin 2013 qu’il n’est pas contraire à la Constitution de priver les travailleurs détenus d’un contrat de travail. Cette fois, il lui était demandé de dire si le régime dérogatoire qui leur est imposé respecte les droits et principes constitutionnels.

Un régime contenu dans un seul article de loi, l’article 33 de la loi pénitentiaire, qui prévoit que « la participation des personnes détenues aux activités professionnelles organisées dans les établissements pénitentiaires donne lieu à l’établissement d’un acte d’engagement par l’administration pénitentiaire ». « Signé par le chef d’établissement et la personne détenue », cet acte « énonce les droits et obligations professionnels de celle-ci ainsi que ses conditions de travail et sa rémunération ». Un texte lacunaire qui donne toute latitude à l’administration pénitentiaire et ne protège pas les droits en principe reconnus à tous travailleurs, qu’ils soient détenus ou non.

Mobilisation historique

L’examen de la QPC suscite une mobilisation sans précédent de la communauté scientifique. Dans une tribune, près de 380 universitaires invitent le Conseil constitutionnel à « sonner le glas d’un régime juridique aussi incertain qu’attentatoire aux droits sociaux fondamentaux des personnes incarcérées ». Rappelant que « si l’on souhaite que le travail en prison contribue éventuellement à la réinsertion, il doit devenir synonyme de dignité pour la personne détenue » et pour cela être doté d’« un statut juridique », ils appellent à une censure de l’article afin de mettre le législateur et les pouvoirs publics face « à leurs responsabilités » (1). Une trentaine d’associations et de syndicats leur emboîtent le pas, demandant au Conseil d’initier une réforme du travail en prison pour que celui-ci « ne repose plus sur la seule mise à disposition d’une main-d’œuvre captive, sous-payée et privée de tout droit » (2). Cette condamnation massive, qui rejoint les critiques déjà émises à ce sujet par le Défenseur des droits ou le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, n’aura pas été suffisante pour que le Conseil constitutionnel intervienne à la hauteur de l’enjeu.

Décision branlante

Tout en rappelant qu’il appartient au législateur de fixer les règles concernant l’exercice des droits fondamentaux des personnes détenues, le Conseil constitutionnel considère que ceux relatifs au travail peuvent être définis et organisés par l’administration pénitentiaire. Il appartient pourtant en principe au législateur, et à lui seul, de prévoir les modalités d’exercice des droits de tous les travailleurs, quel que soit leur statut, en les adaptant si besoin aux spécificités de leur situation. Pour le Conseil, cette exigence serait déjà satisfaite par une autre disposition législative, qui prévoit que l’administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits dans les limites résultant des contraintes inhérentes à la détention. Il s’agit pourtant d’une disposition totalement incantatoire. D’autant que ni le législateur, ni la jurisprudence n’ont jamais précisé ce qui relève des « contraintes inhérentes à la détention », laissant l’administration apprécier seule les limites qui peuvent être posées à l’exercice de droits fondamentaux. Certes, l’acte d’engagement, au sein duquel l’administration est censée énoncer ces différents droits, peut faire l’objet d’un recours devant le juge administratif. Mais ce contrôle apparait aujourd’hui encore illusoire compte tenu des délais dans lesquels est jugé ce type d’affaires et de l’état de la jurisprudence, le juge ne vérifiant pas si les motifs avancés justifient le déclassement. Cette décision renvoie ainsi le droit pénitentiaire dans les méandres d’un temps que l’on espérait révolu, celui d’un sous-droit défini de manière discrétionnaire par l’administration dans le seul intérêt de l’administration et des entreprises concessionnaires.

« Le moment est venu de légiférer » (3 )

L’évolution du régime du travail pénitentiaire et la consécration d’un véritable statut juridique des personnes détenues ne viendra donc pas, pour l’heure, du Conseil constitutionnel. Il a malgré tout tenu à rappeler sous forme de pied de nez qu’il est « loisible au législateur de modifier les dispositions relatives au travail des personnes incarcérées », sans toutefois vouloir l’y contraindre. Cette fuite en avant rend d’autant plus nécessaire une intervention du pouvoir politique, désormais seul face à ses responsabilités. Lors des débats relatifs à la loi pénitentiaire de 2009, le groupe socialiste à l’Assemblée nationale, dont faisaient partie Christiane Taubira, François Hollande et Manuel Valls, s’était élevé contre le régime dérogatoire du travail pénitentiaire. « Pour nous, un travailleur en détention est certes un détenu mais c’est d’abord un travailleur. Cela implique que la personne incarcérée bénéficie d’un contrat de travail qui fixe ses devoirs et lui donne aussi accès à l’ensemble des droits sociaux », soulignait-il. Il reste à la majorité politique actuelle de prouver qu’elle dispose du courage politique de ses convictions.

(1) « Droits des détenus travailleurs : du déni à une reconnaissance ? », LeMonde.fr, 14 septembre 2015.

(2) « Travail pénitentiaire : le Conseil constitutionnel ne peut pas se dérober ! », Libération, 22 septembre 2015.

(3) CGLPL, Communiqué de presse, 14 juin 2013