« C’est en Espagne que le droit du travail est le plus complet », notait le Sénat en 2002 (1). Couverture sociale, organisation du travail, place de la formation professionnelle… Sur bien des points, la France pourrait utilement s’inspirer de son voisin hispanique. Echanges avec l’universitaire Jose Soler Arrebola (2) sur l’intérêt et les limites de ce modèle.
Dès 1979, la constitution espagnole précise que la personne condamnée à « droit à un travail rémunéré et aux prestations correspondantes de sécurité sociale ». La loi de 1980 sur le statut des salariés disposant que les personnes détenues sont soumises à un régime juridique spécial, un décret du 6 juillet 2001 est venu définir et organiser ce régime.
Un cadre protecteur
Le droit espagnol est effectivement assez avancé. Les détenus travailleurs sont affiliés au régime général de la sécurité sociale et bénéficient d’une couverture en cas de maladie, grossesse, incapacité, etc. Une limite cependant : « l’incapacité temporaire résultant d’une maladie courante et d’un accident non-professionnel est exclue », précise Jose Soler Arrebola. Cette affiliation leur permet aussi de bénéficier des droits à la retraite et des prestations de l’assurance chômage au moment de leur sortie. C’est aussi le droit commun qui s’applique en cas de suspension ou de rupture du travail, de sorte que les détenus peuvent former des recours contre ces décisions. Mais, nuance Jose Soler, « certaines causes de rupture et de suspension ne sont pas bien définies, ce qui entraîne une insécurité juridique ». Idem côté droits collectifs, de représentation, de négociation ou de grève. Si, théoriquement, les détenus ne sont pas exclus de l’exercice de ces droits « dans la pratique, ils ne sont pas appliqués pour des questions de sécurité ».
Un organisme dédié au travail et à la formation professionnelle
En dehors de la Catalogne, la formation professionnelle et le travail des détenus sont gérés par un établissement public spécifique doté d’une personnalité juridique et d’une autonomie financière, le TPFE (3). C’est aussi l’employeur légal des détenus. « L’organisation des installations, des activités, l’acquisition de matériel et le recrutement du personnel exigent la planification d’un ensemble de structures maté rielles et humaines », explique Jose Soler. « Une coordination est indispensable pour que les structures soient plus efficaces ». Autre intérêt du dispositif : formation professionnelle et travail peuvent être pensés en complémentarité, car ils sont gérés par la même entité. Le décret de 2001 prévoit d’ailleurs la possibilité de bénéficier d’une formation préalable à l’octroi d’un travail. « En 2016, 13 790 détenus ont participé aux programmes de formation, soit environ 27% des détenus », indique Jose Soler. Seule pierre d’achoppement dans le dispositif : si, en théorie, la distinction est formelle entre la mission de surveillance des détenus qui relève de l’administration pénitentiaire et celle du TPFE, « la réglementation actuelle octroie au directeur d’établissement le rôle de chef d’entreprise, de représentant du TPFE et de président du comité de suivi [chargé de l’octroi des postes]. L’association de ces trois fonctions entraîne une concentration des attributions qui peut parfois engendrer des conflits d’intérêt », regrette M. Soler.
Contrat de travail, rémunération… le compte n’y est pas encore
Le modèle espagnol a d’autres limites. Outre qu’en 2016, seuls 24 % des détenus ont occupé un emploi (4), la loi ne prévoit pas, pour eux, de contrat de travail. En excluant toute référence à un « contrat », le législateur avait peut-être pour intention de montrer « l’absence de pouvoir de négociation du détenu dans la mise en place des conditions de travail individuelles, ou mêmes collectives », s’aventure Jose Soler. Côté salaire, la loi prévoit un salaire minimum, mais « cela ne signifie pas que le salaire minimum s’applique, seulement qu’il est pris comme référence », tempère M. Soler. Selon le dernier barème disponible (2015), les détenus travailleurs étaient rémunérés entre 2,59 et 4,51 € de l’heure selon leur catégorie. Relativement au salaire minimum espagnol (5,54 €/heure en 2017), on est tout de même bien au-delà des taux de rémunération des détenus français.
Par Cécile Marcel
(1) Les Documents de travail du Sénat, Série Législation Comparée, Le travail des détenus, n° LC 104, mai 2002.
(2) Professeur de droit spécialisé en droit du travail et de la sécurité sociale à l’Université d’Almeria, Espagne.
(3) Trabajo Penitenciario y Formación para el Empleo.
(4) Selon le rapport annuel du TPFE, 12 265 détenus ont travaillé e, 2016 sur les 51 029 gérés par l’administration pénitentiaire (hors Catalogne).