En 2015, la loi finlandaise a été modifiée afin d’autoriser l’accès à Internet dans les prisons. Depuis, l’administration pénitentiaire s’active pour en garantir la bonne application et mise de plus en plus sur le développement des nouvelles technologies, pour les mettre au service des personnes détenues mais aussi de la gestion de la détention.
Dans le monde tout sauf merveilleux des prisons, la Finlande détonne. Avec un taux d’incarcération de 50 pour 100 000 habitants – contre plus de 100 en France –, le pays compte moins de 3 000 détenus. Un chiffre qui a baissé de 17% ces dix dernières années. Ici, pas de surpopulation carcérale : le taux d’occupation moyen est de 91%. Sur les vingt-six établissements pénitentiaires du territoire, onze sont des prisons ouvertes dans lesquels les détenus sont relativement libres de leurs mouvements. Dans les quinze prisons fermées, les niveaux de sécurité varient, du plus souple au plus strict pour les personnes considérées comme « à risque élevé ».
C’est dans ce contexte que le pays a, en 2015, amendé sa loi pénitentiaire. Celle-ci autorise désormais les personnes détenues à utiliser Internet pour des motifs jugés importants (subsistance, activités en lien avec des questions professionnelle, éducative, judiciaire, sociale ou de logement, ou tout autre raison importante) – sous réserve que l’accès à des sites non autorisés soit bloqué –, et à communiquer avec des proches en visio ou par le biais de toute autre technologie de communication adaptée. Pour les autorités finlandaises, il s’agissait, avec cette réforme, d’appliquer le principe de normalisation qui consiste à aligner autant que possible la vie carcérale sur ce qui se fait à l’extérieur.
Un parc carcéral entièrement connecté
Dans les années qui ont suivi, l’administration pénitentiaire a mis en place le dispositif nécessaire pour se mettre en conformité avec la nouvelle législation. Désormais, toutes les prisons sont donc équipées d’ordinateurs – de deux à vingt selon les unités –, installés dans des espaces collectifs. Ils proposent des outils bureautiques, permettent les appels en visio, et sont connectés à Internet dans le cadre d’un usage sécurisé et limité à une « liste blanche » de sites autorisés : plusieurs centaines selon l’administration pénitentiaire. Les prévenus, qui représentent 20% de la population carcérale, sont cependant exclus du dispositif. Par ailleurs, les détenus qui souhaitent utiliser Internet doivent en faire la demande auprès de la direction de la prison, en motivant leur souhait. Bien que les prisons ouvertes soient également équipées en ordinateurs, la problématique y est différente : le niveau de sécurité y est très allégé et les personnes qui y sont incarcérées peuvent être autorisées à avoir leur propre ordinateur ou téléphone. Malgré ces efforts, une enquête menée en 2019 auprès d’un échantillon de 200 détenus dans deux établissements pénitentiaires fermés a révélé que 80% des sondés n’avaient jamais utilisé l’offre de services numériques. L’étude pointait les limites du système actuel : une carence d’information auprès des détenus, un déficit d’accompagnement et de formation des détenus comme des personnels, une procédure de demande d’autorisation dissuasive, ainsi que les besoins d’un système plus souple, rapide et individualisé(1).
Une prison expérimentale : la smart prison
C’est sur ce constat que les autorités pénitentiaires ont décidé de créer une prison pilote, la Smart Prison, et choisi la prison pour femmes d’Hämeenlinna, alors en construction, pour l’expérimenter. Le projet a été conçu à l’issue d’une étude préalable menée auprès de surveillants et de personnes détenues afin de mieux identifier leurs usages et besoins : des questionnaires leurs ont été soumis et des ateliers réunissant personnels et détenus ont permis de discuter des options envisagées. En novembre 2020, la prison d’Hämeenlinna ouvrait ses portes et, en mars 2021, chacune des 100 cellules individuelles était équipée d’un ordinateur avec une interface préinstallée.
Le dispositif permet de déposer des requêtes internes, de prendre des rendez-vous, de communiquer avec des services extérieurs (l’assurance maladie par exemple, joignable 7 jours sur 7), et de communiquer par visio avec l’intérieur et l’extérieur de la prison. Les sites Internet de la liste blanche peuvent être consultés et des Moodles sont proposés en ligne pour les détenues qui souhaitent suivre des études. L’ordinateur est également doté d’outils bureautiques et dispose d’un catalogue de livres. Les personnels comme les personnes détenues affectées à l’établissement ont été formés à l’utilisation du système. L’ensemble de ces services est gratuit, à la différence du téléphone qui, lui, est resté payant. À partir de janvier prochain, la possibilité pour les détenues d’échanger par e-mail devrait être expérimentée. Si l’expérience est concluante, le service sera étendu aux autres établissements pénitentiaires fermés du pays. Au-delà des restrictions d’accès à Internet, des mesures de sécurité ont été mises en place mais le détail des dispositifs de contrôle sont des informations non publiques. L’administration pénitentiaire indique cependant que « les personnes détenues et leurs familles sont informées que les images de leurs appels en visio peuvent être regardées, et dans quelles circonstances ».
Une recherche-action pilotée conjointement par l’Institut finlandais pour la santé et le bien-être et l’université Laurea été lancée en septembre dernier pour évaluer le projet et mesurer les changements de culture qu’il est susceptible d’entraîner. De son côté, Pia Puolakka, responsable du projet Smart Prison au sein de l’administration pénitentiaire, reconnaît que ces neufs premiers mois ont inclus une période de rodage, émaillée de problèmes techniques et de nécessaires ajustements. Mais elle relève néanmoins que les retours d’expérience sont jusque-là plutôt positifs, les détenues s’emparant de l’ensemble de la palette de services qui leur est proposée. Côté personnel, certains se disent satisfaits, tandis que d’autres restent à convaincre, pour des raisons variées : craintes pour la sécurité, sentiment de passer trop de temps sur les écrans de contrôle, ou peur d’une déshumanisation de la relation. « Nous expliquons aux personnels que la numérisation est un outil. Ce n’est pas censé remplacer les contacts humains. C’est un moyen, dans certaines situations, de faciliter et accélérer la communication, explique Pia Puolakka. Par exemple, on peut prendre un rendez-vous avec les services sociaux ou médicaux de la prison via la plateforme, mais le rendez-vous a bien lieu en face à face ». Selon l’initiatrice du projet, les risques de perte de la relation humaine sont réduits par le fait que les journées en détention ordinaire sont rythmées par des activités passées en dehors de la cellule : le matin, quand les portes s’ouvrent, chacune va au travail, en formation, en cours, ou à ses rendez-vous. Des programmes de prise en charge sont par ailleurs proposés (sur les problèmes d’addiction par exemple). L’usage de l’ordinateur est donc réservé au temps passé en cellule. Un temps qui peut en revanche être plus long pour les personnes prévenues ou détenues dans les unités davantage sécurisées, qui disposent de moins d’activités hors cellule.
Des technologies poussées de plus en plus loin
Mais l’usage des nouvelles technologies par l’administration pénitentiaire finlandaise ne s’arrête pas là. Dans trois autres prisons du pays, celle-ci expérimente actuellement, en partenariat avec l’université de Tampere, l’utilisation de la réalité virtuelle. Grâce à des lunettes, les détenus sont projetés dans un environnement qui se veut apaisant, telle une forêt virtuelle. Actuellement, le projet n’est testé que pour renforcer le bien-être des détenus, dans le cadre d’un suivi psychologique par exemple. Mais, « nous projetons de pouvoir l’utiliser pour d’autres objectifs, explique Pia Puolakka. Par exemple, avec des mises en situation pour apprendre à gérer des situations de stress, d’agressivité, pour tester l’ouverture au monde extérieur ». Des perspectives qui, a minima, interrogent sur la tournure dystopique que pourrait prendre l’usage de la réalité virtuelle… De même, l’administration pénitentiaire nourrit actuellement le projet de mettre l’intelligence artificielle au service de la gestion des détenus. L’objectif est d’aider à l’évaluation de la situation des personnes afin d’orienter leur parcours d’exécution des peines et l’offre de service. Le projet ne devrait pas voir le jour avant un an et l’administration pénitentiaire reconnaît qu’il n’est pas sans poser des questions éthiques. Reste à savoir si et comment elles seront résolues.
par Cécile Marcel
(1) “Smart Prison: the preliminary development process of digital self-services in Finnish prisons”. Björn Lindström & Pia Puolakkai, RISE Criminal Sanctions Agency