Dans le cadre des États généraux de la justice, l’administration pénitentiaire a organisé en novembre et décembre une consultation des personnes détenues. Alors que l’administration fait traditionnellement si peu cas de la voix des prisonniers, cette entreprise, qu’il convient de saluer, projetait de recueillir leur parole de manière libre et objective. Une ambition cependant peu compatible avec un contexte carcéral où l’expression est toujours contrainte et contenue.
Lancés par Emmanuel Macron le 18 octobre dernier, les États généraux de la justice se présentent comme une large consultation des « citoyens, acteurs et partenaires de la justice », visant à recueillir « des propositions pour bâtir la justice de demain »(1). Les deux formes de participation prévues, ateliers-débats et questionnaires, ont été déclinées afin que la population détenue ait la possibilité de s’exprimer. La restitution de ces contributions évoque une consultation ayant permis de recueillir « une vision 360° et objective de leur situation » et des propositions de « solutions concrètes ». Pourtant, plusieurs obstacles semblent avoir nui à un véritable recueil de la parole des personnes ayant accepté de ou été autorisées à participer.
Des détenus triés sur le volet
Les ateliers délibératifs mis en place par l’administration pénitentiaire en détention n’ont concerné que dix établissements au total. D’après les informations de l’OIP – provenant de six prisons sur les dix –, ils ont pris la forme d’une rencontre d’une heure et demie à trois heures, réunissant trois membres de l’administration pénitentiaire (direction, CPIP, etc.) et entre sept et douze personnes détenues. Ces dernières ont été sélectionnées par la direction, qui les a convoquées en entretien individuel en amont de l’atelier. « J’ai participé car refuser le débat c’est se positionner comme des sous-citoyens », précise une femme détenue à Rennes. Pour autant, plusieurs ont déploré un processus de sélection « au bon vouloir de la direction », où ce sont « toujours les mêmes qui participent ». Beaucoup, non sélectionnés, n’étaient même pas informés de la tenue de l’atelier.
Pour les heureux élus qui ont pu y participer, les contenus des ateliers délibératifs sont apparus, d’après les témoignages recueillis, souvent bridés, les thématiques de la détention ne devant être développées qu’en termes généraux sur le fonctionnement à l’échelle nationale, et jamais en lien avec des difficultés rencontrées in situ. En ressort une impression de débat « limité et superficiel » n’abordant pas les « sujets sensibles ». Sur les conditions de détention, un participant à l’atelier de Saint-Martin-de-Ré note que le débat s’est conclu par le constat que « les lieux tels qu’ils sont et le règlement intérieur ne permettent pas de modifications réelles ».
Le questionnaire a quant à lui été mis à la disposition de l’ensemble de la population détenue, le plus souvent par une distribution en cellule. Mais sa diffusion n’aurait pas été accompagnée d’explications précises, laissant donc un flou important sur l’usage fait des réponses et les enjeux de la démarche. Elle aurait été annoncée par une campagne d’affichage, mais qui n’a cependant pas été vue par tout le monde. À Bapaume, tous les affichages sont groupés dans le couloir principal. « Le problème, c’est que 50 % des détenus ne sortent jamais de leur aile », précise l’un d’eux. En outre, il semble que certaines zones n’aient pas été couvertes. Monsieur A., auxi d’étage au centre pénitentiaire Sud-francilien, assure qu’« à l’étage où [il est], personne n’a reçu le questionnaire ». Au-delà de ces questions de distribution, il semble que rien n’ait pas été prévu pour les personnes en difficulté de compréhension. À la maison d’arrêt d’Évreux, nous rapporte-t-on, « la détention ne s’est pas du tout impliquée, n’a donné aucune explication ni même proposé de l’aide pour ceux qui ne savent pas lire, écrire ou ont du mal avec la compréhension ».
Sur le fond, « certaines questions auraient pu être plus approfondies, surtout concernant les difficultés que peuvent rencontrer les détenus durant leur détention », trouve-t-on dans un témoignage de Lille-Annœullin. Couvrant un large spectre de thématiques, le questionnaire, dans la partie centrée sur la détention, s’apparente en effet à un questionnaire de satisfaction (« Je pense que ma prise en charge […] par l’administration pénitentiaire en détention est satisfaisante »), quand elle ne demande pas aux répondants d’arbitrer entre deux missions prioritaires de l’administration pénitentiaire : « Je préfère être incarcéré dans un établissement adapté à ma situation, même loin de mon domicile ou de celui de ma famille, qui me permette une meilleure réinsertion ». On voit mal quelle pertinence les taux de satisfaction ainsi recueillis pourraient avoir, dès lors qu’ils agrègent des réponses de personnes de profils divers, incarcérées pour des durées très différentes dans des établissements aux conditions de détention et de prise en charge très hétérogènes.
Un anonymat pas toujours respecté
Les conditions dans lesquelles a été distribué et ramassé le questionnaire semblaient par ailleurs difficilement pouvoir remplir l’objectif de « faciliter la liberté d’expression des participants, auxquels un anonymat complet a été promis ». La plupart du temps, les personnes ont pu remplir le questionnaire en cellule, mais aucune des personnes interrogées ne s’est vu fournir d’enveloppe pour le retourner. « Le questionnaire étant ramassé par un officier, pour la confidentialité, on repassera ! », dénonçait un homme incarcéré à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. Même lorsque celui-ci pouvait être glissé dans la boîte à lettres habituelle, plusieurs personnes détenues s’inquiétaient que leur écriture soit facilement reconnue. « Toujours gênant de savoir que les surveillants peuvent lire ce que j’écris », répondait un prisonnier de Nancy pour expliquer son refus de remplir le questionnaire.
À la maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis, il semble que le questionnaire ait été distribué et récupéré dans une salle au moment du culte : « Qui est venu nous le donner et le récupérer ? Le lieutenant. Il était avec une femme, on ne savait pas qui », témoigne Madame A. « Il nous a tendu un papier en nous disant : “Remplissez pour dire ce dont vous n’êtes pas contentes.” Admettons qu’un détenu veuille se plaindre de lui ou de ses collègues, vous pensez réellement qu’il va remplir son questionnaire ? »
Une démarche qui laisse sceptique
D’autres facteurs peuvent expliquer que 12% seulement des personnes incarcérées aient répondu au questionnaire. Habitués à n’être jamais véritablement entendus, les détenus ont notamment exprimé leur scepticisme vis-à-vis de la démarche : « Je n’attends rien des États généraux, car les détenus ne sont pas en position de force », explique un participant à l’atelier de Lille-Annœullin. À Valence, Monsieur M. précise qu’à réception, il a mis le questionnaire à la poubelle, « convaincu que, comme après chacune de ces initiatives auxquelles j’ai pu participer, nos doléances resteraient lettre morte ».
Selon les réponses reçues à l’OIP, parmi les prisons ayant organisé des ateliers délibératifs, seul le centre pénitentiaire pour femmes de Rennes semble avoir permis un échange vécu comme constructif et abordant les enjeux centraux pour les personnes détenues. C’est aussi dans cet établissement que les femmes ayant témoigné font état de consultations trimestrielles des détenues et d’une démarche active de l’administration pour être à leur écoute. Ce qui vient rappeler l’évidence : quelle que soit la forme que prend la consultation, le recueil de la parole ne peut être utile et satisfaisant que si un travail de fond et de long terme a au préalable été instauré. Une démarche que ne semblent malheureusement pas avoir engagée la plupart des prisons.
par Odile Macchi
(1) Site du ministère de la Justice.