Trois ans après le début de l’expérimentation dans deux régions de la décentralisation de la formation professionnelle des personnes détenues, le Parlement vient de voter sa généralisation dans la loi Sapin du 27 février. Ce qu’on peut en attendre et ce que le texte ne règle pas.
Historiquement pilotée par l’État, le dispositif de formation professionnelle en détention est décrit depuis 2008 comme « à bout de souffle (1) ». Les principaux financeurs – ministère de l’Emploi et Fonds social européen (FSE) – se sont progressivement désinvestis. Les crédits alloués par le FSE ont diminué de 29 % entre 2006 et 2013, et ceux versés par le ministère de l’Emploi de 11 %. Alors que le nombre de personnes détenues a sur cette période augmenté de 14 %. Si bien que « l’offre de formation par personne détenue a diminué (2) ».
Déjà particulièrement bas, le taux de personnes bénéficiant d’une formation est passé de 9 à 8 % environ depuis 2006 et le temps moyen de formation est passé de 178 à 123 heures. Les besoins sont pourtant criants : 85 % des détenus ont un niveau scolaire qui ne dépasse pas le CAP, 45,6 % sont sans diplôme, 25,4 % ont des difficultés de lecture et 64 % étaient sans emploi avant l’incarcération (3).
L’expérimentation encourageante du transfert aux régions
Seuls les établissements pénitentiaires des deux régions (Pays de la Loire et Aquitaine) volontaires pour expérimenter la décentralisation de la formation professionnelle à partir de 2011 ont échappé à ce déclin. Le bilan réalisé en 2013 par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et celle des services judiciaires (IGSJ) souligne que l’expérimentation s’est traduite par une « amélioration quantitative » et des « enrichissements qualitatifs » de l’offre. En Aquitaine par exemple, elle « a permis de créer huit nouvelles formations, et d’en enrichir onze autres » dans les sept prisons concernées (4). Des formations qualifiantes en alternance (en milieu carcéral et en milieu libre) ont ainsi été mises en place (soudure, tissage de haute couture, etc.). Une augmentation du volume horaire d’une dizaine de formations (restauration, agent de propreté et d’hygiène) a été financée pour permettre aux détenus stagiaires d’acquérir un titre professionnel à l’issue du cursus. Le bilan montre également que l’intervention des régions a conduit à une meilleure prise en compte de la situation des détenus. Alors qu’en principe, les heures de formation non suivies ne sont pas rémunérées, les conseils régionaux de l’Aquitaine et des Pays de la Loire ont prévu des exceptions : « les rendez-vous médicaux, les rendez-vous avec les avocats et un parloir par semaine constituent des motifs d’absence qui n’interrompent pas la rémunération (5) ». Le conseil régional d’Aquitaine a par ailleurs décidé de leur verser mensuellement une indemnité de congés payés au même titre que les stagiaires en milieu libre. Au final, le transfert aux régions s’est traduit par une hausse des financements (elles ont adopté des budgets supérieurs au montant des transferts de crédits de l’État) et une augmentation de l’offre de formation en quantité et qualité. La décentralisation contribue enfin « à améliorer les liens entre le monde de la détention et le monde extérieur ». Parce qu’elle « induit de nombreux partenariats de proximité », elle facilite « le lien dedans-dehors » et « minimise le risque de rupture souvent observé au moment de la libération ».
Une généralisation qui ne lève pas tous les obstacles
La généralisation de la décentralisation prévue dans la loi Sapin s’inscrit donc dans la bonne voie. Mais différents éléments pourraient nuire à l’efficacité du dispositif. Dans l’expérimentation avec deux régions volontaires, celles-ci ont alloué des fonds supplémentaires à ceux de l’État. Avec la généralisation du dispositif, le simple transfert des fonds de l’État vers des régions non volontaires ne garantit aucunement une augmentation des budgets accordés, auquel cas l’offre de formation ne se développera pas.
Par ailleurs, la loi exclut du champ de la compétence des régions les prisons en gestion déléguée se situant sur leur territoire, afin d’éviter à l’État de payer des pénalités pour modification des contrats de délégation de services. Dans ces prisons qui représentent près de la moitié du parc carcéral, l’organisation de la formation professionnelle reste de la
Le transfert aux deux régions pilotes s’est traduit par une hausse des financements
et une augmentation de l’offre de formation
compétence des groupements privés. Les régions ne pourront pas en assurer le pilotage avant l’échéance des contrats (fin 2017 pour la plupart, 2 038 pour les trois prisons construites en PPP). Sur un même territoire, l’accès à la formation professionnelle dépendra ainsi du statut de l’établissement, générant des inégalités pour les personnes détenues. Et l’impossibilité pour les régions de construire une politique d’ensemble.
Par ailleurs, différents points soulevés dans l’évaluation des Inspections ne trouvent pas de réponse dans la loi ou les annonces du ministère de la Justice. Les auteurs ont ainsi relevé que les conseillers Pôle Emploi qui interviennent en détention sont très peu associés à la construction des projets de formation des personnes détenues, qu’ils ne peuvent participer aux procédures d’accès aux formations, globalement très peu encadrées. Dans certains établissements, toutes les demandes sont examinées en commission pluridisciplinaire unique (CPU) (6). Dans d’autres, ne sont présentées en CPU que « les demandes dont on estime qu’elles recueilleront l’accord de toutes les parties prenantes, en particulier le chef d’établissement et le responsable de la détention ». L’IGAS et l’IGSJ avaient recommandé d’élargir le champ des professionnels pouvant se prononcer sur l’accès aux formations, de prévoir la présentation systématique de toutes les demandes en CPU et de permettre aux détenus de disposer d’une voie de recours en cas de refus. Des préconisations restées lettres mortes. Comme celle visant à favoriser le « développement de formations mixtes » hommes-femmes, ou à tout le moins « la mutualisation des locaux et des équipements de formation entre les quartiers hommes et les quartiers femmes » afin de permettre à ces dernières de bénéficier d’une offre de formation élargie.
La liste pourrait être encore longue. Les inspections avaient aussi recommandé de développer la formation professionnelle dans les établissements ou quartiers pour mineurs, où ce type d’actions est pratiquement inexistant. De rehausser, et réviser régulièrement, le taux horaire de rémunération des détenus stagiaires qui n’a pas évolué depuis 1988 (2,26 euros de l’heure). Ou encore de prévoir des standards de surfaces et équipements nécessaires à la formation pour que les cahiers des charges des futurs établissements prévoient des locaux adaptés – ce qui loin d’être le cas actuellement « même dans les établissements les plus récents ». Rien n’est prévu en ce sens.
Marie Crétenot
(1) Jean-René Lecerf, Projet de loi pénitentiaire, Rapport n° 143 (2008-2009) fait au nom de la commission des lois, 17 décembre 2008.
(2) GAS, IGSJ, Evaluation de la prise en charge par les régions de la formation professionnelle des personnes détenues, novembre 2013.
(4) Maisons d’arrêt de Bayonne, Agen, Pau, Périgueux, Bordeaux-Gradignan ; centres de détention d’Eysses et Mauzac.
(5) IGAS, IGSJ, op. cit., 2013.
(6) Cette instance, présidée par le chef d’établissement, regroupe plusieurs services intervenant dans l’établissement pénitentiaire, tels que le service médical, le SPIP, l’enseignement ainsi que les gradés et les officiers de détention.