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Genesis ou la mise en péril du secret médical en prison

Métafichier de partage d’informations, le logiciel Genesis déployé dans les prisons compromet le secret médical. Mais plutôt que marquer une opposition nette et franche, le ministère de la Santé indique aux professionnels de santé comment l’alimenter.

En octobre, les associations de soignants en prison, l’APSEP et l’ASPMP (1), ont découvert « avec étonnement et irritation » (2) que leur autorité de tutelle, le ministère de la Santé, soutenait, dans une instruction ministérielle, l’accès « des personnels des unités sanitaires au système d’information du ministère de la Justice Genesis » (3). Ce logiciel pénitentiaire de partage de données met en jeu le secret médical et l’indépendance professionnelle des personnels de santé à plus d’un titre. Les modalités d’accès à ce dispositif sont d’ailleurs signifiantes : le chef d’établissement remet aux soignants des cartes à puce d’« agents extérieurs justice » comme s’ils étaient des collaborateurs de l’administration pénitentiaire. Ils peuvent aussi se voir affubler d’une adresse mail « @justice.gouv.fr »… Le logiciel Genesis, acronyme pour « Gestion nationale des personnes écrouées pour le suivi et la sécurité », est une nouvelle illustration de la volonté de l’administration pénitentiaire (AP) d’assimiler les professionnels de santé. Sous le vocable de la « pluridisciplinarité », elle les incite à s’associer à la gestion de la détention en transmettant des informations sur leurs patients. Genesis inclut en effet une application qui les invite par des items « oui, non, ne se prononce pas » à donner des indications sur les antécédents de suivi psychiatrique des personnes qu’ils rencontrent (hospitalisation d’office, placement en unité pour malades difficiles, etc.), à révéler si elles ont des problématiques d’addiction ou si elles ont eu des antécédents familiaux de suicide. Le logiciel comprend aussi un « agenda partagé » que l’AP dit prévu pour faciliter les déplacements. Dès lors, tous les utilisateurs, quels qu’ils soient, personnels pénitentiaires ou intervenants, peuvent non seulement savoir quand les personnes se rendent en consultation mais aussi avec qui. Le logiciel, qui intègre un volet « gestion des requêtes », pourrait également emporter la fin des boîtes aux lettres dédiées à recueillir les courriers que les personnes détenues destinent exclusivement aux soignants.

L’AP n’en est pas à son coup d’essai pour tenter d’imposer sa notion toute pénitentiaire du « partage opérationnel d’informations » ou du « secret partagé » – soit rien d’autre que du non-secret. Seulement cette fois la digue du ministère de la Santé a sauté, oubliant que la confiance, élément fondamental d’une relation thérapeutique, ne peut s’établir sans garantie du respect du secret médical et de l’indépendance professionnelle du soignant. L’Ordre des médecins avait pourtant formellement marqué son opposition.
En décembre 2015, il avait rappelé que les professionnels de santé « n’ont pas à enregistrer dans le traitement Genesis des informations concernant la santé des personnes détenues » car cette transmission représenterait une entorse à la déontologie, mais aussi à la loi pénale. L’Ordre soulignait alors que celle-ci « ne les autorise pas à enregistrer ailleurs que dans le dossier médical [ces] informations. » (4) Forts de ces principes, l’APSEP et l’ASPMP ont appelé leurs adhérents et les personnels de santé à refuser la carte à puce et l’accès à Genesis. Certains y parviennent, sans grande conséquence sur leur activité quotidienne. « Les changements de cellule restent transmis aux infirmières par des mails quotidiens.
Les entrants sont signalés en temps réel ou le lendemain à huit heures », confie un médecin. Mais d’autres se heurtent à la résistance de l’AP, qui ne délivre plus d’information en dehors du logiciel. « À titre personnel, je déplore Genesis, mais nous sommes contraints de l’utiliser pour connaître la position des détenus », regrette ainsi un médecin. « Il nous est de plus en plus difficile d’obtenir des informations pourtant évidemment utiles (date de sortie, adresse, n° de sécurité sociale, etc.) », appuie un autre.
Autre problème : si les soignants n’utilisent pas Genesis, les surveillants des unités sanitaires, eux, le font pour communiquer les listes des rendez-vous médicaux. Certaines équipes réussissent à contourner le dispositif « en indiquant non pas le nom du médecin consulté, mais la salle où il consulte. Mais certaines n’y sont pas parvenues » (5) raconte la médecin et essayiste Anne Lécu. Dans tous les cas, une question reste en suspens : combien de temps la résistance pourra-t-elle tenir sans inflexion du ministère de la Santé ?

Par Romane Bonneme et Marie Crétenot

(1) Respectivement Association des professionnels de santé exerçant en prison et Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire.
(2) Communiqué APSEP/ASPMP, 10 octobre 2016.
(3) Instruction interministérielle du 4 juillet 2016 relative à la fourniture de cartes à puce « agents extérieurs justice » aux professionnels de santé.
(4) Conseil national de l’Ordre des médecins, section éthique et déontologique, circulaire n°2015-112, 8 décembre 2015.
(5) Anne Lécu, Le secret médical. Vie et mort. Les éditions du cerf, 2016.