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Grève des surveillants : deux semaines de galère

Détenus confinés en cellule, familles bloquées devant les parloirs, personnel soignant et intervenants empêchés d’accéder aux établissements, juridictions désorganisées : le blocage des prisons par les surveillants pénitentiaires fin janvier 2018 a eu des conséquences parfois désastreuses pour les personnes détenues.

En janvier dernier, l’agression d’un surveillant par un détenu à Vendin-le-Vieil a déclenché un mouvement des personnels pénitentiaires d’une rare ampleur. Privés du droit de grève, ces derniers se sont rassemblés devant les établissements avec pour objectif d’en empêcher au maximum l’accès. Si ce moyen de revendication est régulièrement utilisé, ces blocages ne durent d’ordinaire que quelques heures. Ils se sont cette fois prolongés pendant plus de deux semaines, touchant au plus fort de la mobilisation près de 120 établissements sur les 188 que compte la France. C’est même parfois l’ensemble du personnel pénitentiaire qui a refusé de prendre son service, les forces de l’ordre ayant alors été appelées en renfort pour assurer la sécurité dans une dizaine de prisons. Tout cela n’a pas été sans conséquences pour les personnes détenues. Elles ont, tout comme leurs proches, les intervenants, le personnel soignant ou les avocats, adressé des dizaines de témoignages à l’OIP, révélant ainsi les nombreuses atteintes aux droits dont elles ont été victimes durant ces deux semaines.

Confinés en cellule

Faute de personnel pour ouvrir les portes, certains sont parfois restés confinés plus de 24 heures d’affilée dans leur cellule, et ce à plusieurs reprises. « Les promenades sont supprimées, le courrier n’est pas ramassé, j’ai appelé toute la nuit sur l’interphone et personne n’est venu », raconte ainsi un détenu de la prison de Poitiers-Vivonne. Une mère dont le fils est incarcéré à Bordeaux-Gradignan évoque aussi des cantines non livrées et des poubelles non ramassées. À Perpignan, un homme explique que son frère n’a pas pu accéder à la douche pendant quatre jours. Les activités habituellement proposées étaient suspendues dans la majorité des établissements, privant de nombreux détenus des cours dispensés par l’Éducation nationale, d’activités socio-culturelles, de l’accès à la bibliothèque, à la salle de sport ou encore aux ateliers de travail. La préparation et la distribution de nourriture ont aussi été fortement perturbées. Les cantines, qui auraient pu permettre aux détenus de compléter les maigres plateaux de substitution servis par l’administration pénitentiaire, étaient, quant à elles, le plus souvent restreintes à l’achat de tabac.

Si les urgences médicales semblaient assurées dans les établissements bloqués, l’accès aux soins a été fortement perturbé dans de nombreuses prisons. Un membre du personnel soignant du centre pénitentiaire de Riom évoquait les grandes difficultés rencontrées pour accéder à l’établissement : « Depuis quelques jours, le blocage à l’entrée est ferme et de plus en plus agressif envers nous. » Le 22 janvier, deux infirmiers seulement ont été autorisés à entrer « après de longues négociations » dans cet établissement hébergeant plus de 500 personnes, et la livraison des médicaments a été bloquée jusque tard dans la nuit, en dépit des conséquences potentiellement dramatiques que cela aurait pu entraîner. Si les forces de l’ordre ont pu dégager un passage pour l’équipe soignante le surlendemain, « aucune consultation programmée n’a pu être réalisée », les mouvements étant bloqués au sein de la prison. De nombreuses autres unités sanitaires ont été touchées. Au centre de détention d’Aiton notamment, où « des consultations et des bilans sanguins ont dû être repoussés et des extractions médicales annulées. La difficulté va être de rattraper le retard accumulé dans un contexte déjà tendu en termes de soins », comme le déplore un soignant de l’établissement. Et les problèmes ne se sont pas limités aux soins somatiques : l’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire s’inquiétait dans un communiqué que le « mouvement des surveillants pénitentiaires [ait] affecté, parfois gravement, la continuité des soins psychiatriques ».

Des proches bloqués devant les parloirs

« On m’empêche d’appeler mon fils ! » s’insurge, dans un courrier, une personne détenue à Poitiers-Vivonne à qui l’on refusait l’accès aux cabines téléphoniques. Victimes collatérales, les familles et proches de détenus ont également pâti du blocage. Nombreux sont ceux qui se sont retrouvés bloqués aux portes des parloirs, malgré la distance parcourue et le coût que représente un tel déplacement. La famille d’une détenue du centre pénitentiaire de Rennes-Vezin a ainsi parcouru 650 kilomètres pour partager avec elle 24 heures en unité de vie familiale (UVF). Après avoir reçu des informations contradictoires sur le maintien ou non de ce parloir exceptionnel, ses parents « ont attendu toute la journée devant la prison sous la pluie et le vent », raconte leur avocate. Un agent pénitentiaire ayant sous-entendu qu’ils pourraient peut-être bénéficier d’un parloir classique le lendemain, « ils ont dû à nouveau dormir à l’hôtel. Mais le lendemain, on les a empêchés d’entrer ».

Le Syndicat pour la protection et le respect des prisonnier(e)s, créé par des proches de détenus quelques jours avant le départ du mouvement, a très rapidement été sollicité par les personnes détenues et leurs familles. Elle-même confrontée à l’impossibilité d’accéder aux parloirs du centre pénitentiaire de Châteauroux, Lydia Trouvé, l’une des fondatrices du syndicat, a décidé de contacter la préfecture de l’Indre. « L’engagement a été pris de faire intervenir les forces de l’ordre pour que l’on puisse bénéficier de nos parloirs », relate cette mère et compagne de détenu. La promesse fut tenue : la semaine suivante, l’accès aux parloirs était rétabli. « Nous avons conseillé à d’autres de suivre notre exemple, et les parloirs des prisons de Châteaudun et Béziers ont ainsi été débloqués », se félicite-t-elle.

Des cas de maintien abusif en détention

L’institution judiciaire a également été victime de ces blocages. De nombreux avocats ont dénoncé l’inaccessibilité des parloirs avocats et rapporté des cas d’extractions judiciaires annulées ou d’audiences devant le juge de l’application des peines (JAP) reportées. À Nantes, six personnes prévenues n’ont pas pu être extraites de la prison le jour de leur audience. Le dossier a été renvoyé à un mois plus tard, alors que « la plupart des prévenus auraient pu prétendre à une peine alternative et se retrouvent indûment enfermés », tonne un avocat nantais. De même, au quartier de semi-liberté de Limoges, la JAP et le procureur n’ont pas pu entrer le jour d’un débat contradictoire. « Dix jours plus tard, je n’avais toujours pas de nouvelles. En appelant le SPIP, j’ai appris que le débat avait été reporté d’un mois », raconte le détenu.

En prison, un simple courrier de doléances signé par deux personnes détenues est susceptible d’entraîner des poursuites disciplinaires : les prisonniers sont, en pratique, privés de leur liberté d’expression. Livrés à eux-mêmes, empêchés de voir ou de contacter leurs proches, certains ont malgré tout décidé de protester. Parfois avec les moyens du bord, en enflammant des objets pour les jeter par les fenêtres. Ou en refusant de regagner leur cellule à la fin d’une promenade, à l’instar de détenus des prisons de Valence, Uzerche, Nantes, ou Lorient. Certains ont même réussi à faire porter leurs revendications à l’extérieur des murs. Un groupe de détenus de la prison de Fleury-Mérogis est ainsi parvenu à publier une tribune dans un média en ligne*. Mais les conséquences de ces protestations ne se sont pas fait attendre : de nombreux détenus ont fait part de l’intervention violente des Équipes régionales d’intervention et de sécurité (ERIS), et certains auraient fait l’objet de « représailles de la part de surveillants, comme à Longuenesse », selon Lydia Trouvé.

Dans leur tribune, les détenus de Fleury-Mérogis parlent de « la vengeance de l’administration […], plusieurs personnes [ayant] été envoyées au mitard ». Le prix à payer pour que leurs messages traversent les murs. Et que leurs voix, si peu relayées dans les médias au début de la mobilisation, soient entendues.

Par Amid Khallouf

* Paris-luttes.info, 26 janvier 2018.