Permettre aux personnes incarcérées de s’exprimer sur leurs conditions de détention et d’être consultées par l’administration sur les décisions qui les concernent ne revêt pas un caractère utile. C’est ce que vient de juger le tribunal administratif de Basse-Terre, rejetant la requête de l’OIP de contraindre la direction du centre pénitentiaire à mettre en place un dispositif de concertation des détenus.
En janvier 2014, 208 détenus de Baie-Mahault adressaient à l’OIP une pétition pour dénoncer leurs conditions de détention : hygiène déplorable, cellules de 7 m2 partagées à trois (ou de 13 m2 à six), manque d’activités, augmentation des violences… Fait plus rare, ils revendiquaient la mise en place de dispositifs d’expression et de consultation des détenus dans le cadre d’une démarche qui se voulait « pacifique » : « Nous demandons que soit mis en place un forum de réflexion ou un cahier de doléances afin que des plaintes puissent être enregistrées et consultées, dans le but d’éviter les conflits entre surveillants et détenus ainsi que de trouver des solutions rapides à des problèmes devenus trop récurrents. »
Droit fondamental au panier
Après avoir sollicité plusieurs fois, en vain, la direction de l’établissement, l’OIP a demandé au juge administratif d’ordonner la mise en place d’un dispositif de consultation dans cet établissement. Le juge des référés du tribunal administratif de Basse-Terre oppose un refus de principe à cette requête dans une ordonnance du 9 octobre 2014. Il reconnaît que « les violences à l’encontre du personnel du centre pénitentiaire et entre détenus sont fréquentes, du fait, en particulier, des conditions de détention difficiles dues à la promiscuité et à l’insuffisance des activités proposées en détention » et que « la concertation [peut] contribuer à l’apaisement des tensions ». Mais il rejette la demande de l’OIP en considérant que la prise en compte de la parole des détenus n’est pas « à elle-seule de nature à prévenir ou faire cesser des atteintes au droit à la vie ou des actes de torture ou des traitements inhumains ou dégradants ». Ce que l’Observatoire ne soutenait évidemment pas, se contentant de rappeler qu’il s’agissait de garantir l’exercice effectif d’un droit fondamental (la liberté d’expression), dont les personnes incarcérées se trouvent privées. Le tout sans risque pour la sécurité et le bon ordre des établissements pénitentiaires, les dispositifs d’expression collective étant au contraire un facteur d’apaisement des tensions.
« Cuir, allumettes ou lecture ? »
Pour autant, la France ne semble toujours pas prête à mettre en œuvre la règle pénitentiaire n° 50 du Conseil de l’Europe, qui recommande aux États membres de faire en sorte que « les détenus [soient] autorisés à discuter de questions relatives à leurs conditions générales de détention et […] encouragés à communiquer avec les autorités pénitentiaires à ce sujet ». Dans la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, le législateur s’est contenté d’instaurer une consultation des personnes détenues sur les activités qui leur sont proposées. Le décret d’application n’impose que deux consultations par an et laisse entière discrétion aux chefs d’établissement pour en définir les modalités. Dans ces conditions, le tribunal administratif de Basse-Terre a pu considérer que cette disposition était respectée à Baie-Mahault : l’administration y distribue deux fois par an un questionnaire demandant aux détenus de cocher, sur une liste de vingt activités telles que « allumettes », « cuir » ou « lecture », les dix auxquelles ils souhaiteraient participer si elles étaient mises en place. Devant le caractère dérisoire de ce type de consultation, le juge administratif de Basse-Terre n’a pas su franchir un palier supplémentaire pour garantir aux personnes détenues le droit à la liberté d’expression. Un droit qui constitue pour la Cour européenne des droits de l’homme, « l’un des fondements essentiels [d’une société démocratique], l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun (1) ».
Maxime Gouache
(1) Cour EDH, 7 déc. 1976, Handyside c./Royaume-Uni, n°5493/72, §-49