Prendre en charge les frais, rénover les parloirs et les rendre plus intimes, faciliter l'accès aux unités de vie familiale... Autant de mesures simples qui faciliterait le maintien des liens entre les détenus avec leurs proches, mais qui sont peu, mal voire pas du tout mises en œuvre.
Le tribunal dit NON à la prise en charge des frais de parloirs
Le tribunal administratif de Caen a rejeté le 9 avril 2015 la requête d’un détenu demandant la prise en charge des frais de déplacement au parloir de sa conjointe, suite à son transfert à plus de 400 km de son domicile(1). Le tribunal argue qu’aucun texte ne le prévoit et que « toute détention entraîne inévitablement une restriction de la vie privée et familiale ». Extraits du commentaire de Martine Herzog- Evans, professeur de droit et criminologie, publié dans l’AJ Pénal(2).
«C’est une affaire pour le moins inédite que nous analysons ici. La compagne de M. L et celui-ci sollicitaient le financement des déplacements longs et coûteux que celle-ci devait effectuer afin de lui rendre visite au centre pénitentiaire dans lequel il avait été transféré à titre de sanction pour les incidents disciplinaires qu’il avait causés dans son précédent établissement. L’équilibre entre liens familiaux d’une part et ordre pénitentiaire interne d’autre part, a de tous temps été tranché au profit de ce dernier, dans un contexte où les notions de sécurité et surtout d’ordre constituent des objectifs institutionnels fondamentaux, surpassant de facto ceux d’insertion, de prévention de la récidive et de droit à la vie privée et familiale. » La recherche montre pourtant que « plus les personnes détenues reçoivent de visites et moins elles récidivent (Duwe et V. Clarck, 2011) ; d’autres recherches ont montré que les visites conjugales avaient un impact sur le risque de violences sexuelles entre détenus […]. Le droit européen l’a au demeurant bien compris, qui impose depuis l’arrêt Messina c/Italie (CEDH 28 sept. 2000) une obligation positive envers les États membres du Conseil de l’Europe, de faire de leur mieux pour protéger les liens familiaux. Ce sont des actions concrètes qui sont donc attendues de la part des États. Cependant, la France ne respecte que les normes européennes avec lesquelles elle est d’accord, comme l’a montré l’opération de labellisation de ses établissements pénitentiaires, pour une poignée seulement de RPE (2006) […]. Ainsi, et avec l’aval du tribunal administratif de Caen, l’administration pénitentiaire [AP] persiste-t-elle à ignorer que l’article 8 [de la Convention européenne] vise à la fois les liens familiaux et la vie privée. Le tribunal administratif note d’ailleurs que Mme B ne connaissait pas M. L avant son incarcération et insinue dans son jugement qu’il n’est pas totalement certain que la petite fille née de Mme B fût l’enfant de celui-ci (le tribunal énonce « qui serait également l’enfant de M. L »). Il s’appuie sur ces éléments pour suggérer que le lien entre M. L et Mme B ne serait pas véritablement de nature familiale. Au-delà de ces insinuations, c’est oublier que la vie familiale n’est une structure figée une fois pour toute pour aucun d’entre nous. Au fil des rencontres, des séparations, des naissances, des décès, elle évolue constamment. Imaginer que l’on puisse se contenter de « maintenir » les liens familiaux des personnes détenues et de leurs proches, c’est les condamner immanquablement à terme à la disparition pure et simple de la vie familiale […]. En l’espèce, M. L n’avait pas vu sa compagne depuis onze mois, cette période ayant notamment couvert la grossesse de celle-ci, et n’avait pu voir une fois son nouveau-né que grâce à une autorisation de sortie sous escorte accordée par le JAP. Cette situation était directement causée par le transfert imposé dont M. L avait fait l’objet. Il n’eut dès lors pas été illogique que l’administration acquittât le coût des frais qu’en l’espèce Mme B était dans l’impossibilité d’endosser […], celle-ci ayant en outre des problèmes de santé. Après tout, de tels programmes d’accompagnement financier existent bien largement aux États-Unis […] et en Angleterre […]. Si l’AP devait acquitter ce type de coût, elle serait sans doute découragée d’user trop aisément du transfèrement imposé pour gérer de questions qui relèvent en réalité de l’ordre disciplinaire. »
[1] Dedans-Dehors n°84 juil. 2014
[2] AJ Pénal 2015, p. 387
A Fleury-Mérogis, le plan de rénovation s’achève sans parloirs « intimes » à la maison d’arrêt des hommes
Les quelque huit mille détenus qui séjournent chaque année à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, plus grande prison de France, devront se passer d’unités de vie familiale (UVF) et de parloirs familiaux. Si la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 en a prévu la généralisation, le programme de rénovation de Fleury-Mérogis ne les a pas intégrés. Interpellée par l’OIP, l’administration pénitentiaire (AP) a répondu le 22 juin que le programme de rénovation de la maison d’arrêt des hommes, pratiquement achevé, « a été défini et validé antérieurement à l’adoption de la loi » pénitentiaire. Il « se caractérise par de fortes contraintes techniques et budgétaires qui n’ont pas permis en définitive d’envisager l’intégration d’un bâtiment dédié aux UVF », justifie encore l’AP. Le bâtiment B, dont la rénovation s’est achevée en juin 2015, n’inclut donc que des parloirs classiques divisés en boxes fermés avec portes vitrées, n’offrant pas plus d’intimité que les anciens. Les projets de rénovation de la maison d’arrêt des femmes et du centre de jeunes détenus sont quant à eux « encore en phase d’étude ». On ignore pour l’instant quel type de parloirs y sera reconstruit. Néanmoins, l’AP a choisi pour les prochaines années de prioriser « l’équipement des établissements pour peine » (centres de détention et maisons centrales). Rappelons que 60 % des détenus se trouvent en maison d’arrêt et que certains d’entre eux sont maintenus pendant plusieurs années dans ce type d’établissement. Alors que la loi reconnaît depuis bientôt six ans le droit pour toute personne incarcérée de bénéficier d’une visite en UVF ou parloir familial au moins une fois par trimestre, seuls 34 établissements pénitentiaires sur 188 ont été dotés des locaux nécessaires à son application. En prison, appliquer la loi n’est pas une priorité. Coordination OIP Ile-de-France
Construites, les UVF restent inaccessibles à Neuvic
Trois unités de vie familiale (UVF) ont été construites en 2014 au centre de détention (CD) de Neuvic. Une bonne nouvelle… si elles avaient été mises en service. « Les travaux sont terminés depuis plusieurs mois mais rien ne se passe », témoigne un intervenant. Et leur ouverture n’est « pas prévue pour le moment », soulignait en avril le conseil d’évaluation, chargé d’examiner chaque année les conditions de fonctionnement de l’établissement. Le conseil d’évaluation de Neuvic et le syndicat SLP-FO avancent que le retard serait dû à un problème de ressources humaines, dans la mesure où « beaucoup d’ouvertures d’UVF » ont eu lieu dans la région, sans préciser toutefois dans quels établissements. Or, la carte des UVF publiée en mai 2015 par la Direction de l’administration pénitentiaire ne mentionne aucune nouvelle unité dans la région pénitentiaire de Bordeaux. « La priorité a été laissée au CD d’Eysses », complète le conseil d’évaluation. Pourtant, dans un courrier du 5 mars dernier, la direction interrégionale de Bordeaux expliquait que les UVF du CD d’Eysses n’étaient toujours « pas en fonctionnement »… Une situation qui n’a rien d’exceptionnel. Au CD d’Uzerche, dans le département voisin, quatre ans se sont écoulés entre la construction des UVF et leur ouverture.
Demande de réquisition d’un dentiste auprès de l’armée
Parmi les autres défaillances que relève le conseil d’évaluation, l’absence totale de chirurgien- dentiste dans l’établissement depuis septembre 2014, le médecin responsable de l’unité sanitaire allant jusqu’à préconiser une « réquisition auprès de l’armée ». Un manque dont se sont plaintes à l’OIP plusieurs personnes incarcérées au CD de Neuvic, l’une d’elles disant souffrir des dents depuis un an sans être parvenue à obtenir un rendez-vous. Le médecin signale également l’absence d’ophtalmologue. Autre point d’inquiétude : l’alimentation. Dans cet établissement dont la gestion est déléguée à l’entreprise Sodexo, les rations distribuées sont estimées « insuffisantes » par les médecins et des indices de masse corporelle « inférieurs à la moyenne » sont constatés. Les témoignages reçus à l’OIP confirment la mauvaise qualité de la nourriture. Un détenu écrivait ainsi en décembre 2014 : « La nourriture arrive pratiquement froide et malgré leurs repas, j’ai toujours faim. »
Taux de rémunération toujours pas appliqués
L’administration n’applique toujours pas les taux de rémunération horaire prévus par le décret d’application de la loi pénitentiaire. Le conseil d’évaluation indique que l’application de ce texte de décembre 2010 est demandée par la ministre de la Justice pour le 1er janvier 2016 maximum. A Neuvic, l’on prévoit en compensation une réduction de près de 30 % des emplois disponibles. Le rapport d’activité 2012 mentionnait déjà un « temps d’attente d’environ sept à huit mois » pour un poste aux ateliers. La situation ne semble pas s’être améliorée depuis : un détenu arrivé fin 2013 a dû patienter jusqu’à mi-2015 pour accéder à un poste. Le conseil d’évaluation ne propose pas de mesures pour remédier à la situation, comme l’y invite pourtant la loi pénitentiaire.
Nouvel ordre de destruction des murets à Fresnes
Pour la seconde fois en dix mois, le juge des référés du tribunal administratif (TA) de Melun ordonne la destruction des murets de séparation au sein des parloirs de la maison d’arrêt de Fresnes. La première décision, rendue en ce sens le 19 janvier, avait été annulée par le Conseil d’État le 3 juin. La Haute-juridiction avait estimé que le juge des référés ne démontrait pas le caractère urgent de prescrire la suppression des murets. L’affaire avait donc été renvoyée devant le TA de Melun pour être rejugée. Dans une ordonnance du 15 septembre 2015, cette fois particulièrement motivée, le TA enjoint à nouveau à l’administration de prendre « toutes les dispositions nécessaires à la suppression des murets de séparation », et ce avant le 1er mars 2016. Dans sa motivation, le juge pointe d’abord l’illégalité de ces dispositifs de séparation, non simplement au regard du code de procédure pénale, mais aussi du fait de l’atteinte qu’ils portent aux droits fondamentaux : « les conditions actuelles d’accueil des familles, dans des locaux en sous-sol particulièrement exigus et rendus plus exigus encore par la présence des murets, portent une atteinte au droit au respect de la vie familiale et à la dignité reconnu aux détenus comme à leur famille, qui excède les seules exigences inhérentes à la vie carcérale ». Et de souligner que « le maintien des liens familiaux participe de l’objectif de réinsertion sociale et que la présence des murets, qui accroît l’inconfort des parloirs, est peu propice à ce maintien ». Le juge des référés explique ensuite qu’aucun des éléments du dossier ne permet d’établir que la démolition des murets « présenterait des difficultés techniques ou entraînerait des dépenses telles que l’administration ne pourrait y faire face à bref délai ». Insistant enfin sur le fait que l’administration n’a pris à ce jour aucune mesure concrète en vue de procéder à la destruction des murets, il conclut que « la prescription de mesures permettant de mettre fin à cette situation revêt un caractère d’urgence ». TA, 15 sept. 2015, OIP, n° 1410906