Trois questions à la sociologue Camille Lancelevée, qui a copiloté l’étude nationale sur la santé mentale en population carcérale sortante publiée en février dernier.
En quoi la sortie est-elle un moment à risque pour les personnes, a fortiori lorsqu’elles souffrent de troubles psy ?
Camille Lancelevée : On parle beaucoup – et à raison – de l’augmentation continue et inquiétante de la population carcérale, mais l’un des effets directs de celle-ci, c’est d’augmenter les flux de sortants et sortantes de prison. Pour l’année 2022, plus de 65 000 personnes ont été libérées avec levée d’écrou – et plus encore si l’on considère les peines aménagées en placement à l’extérieur ou en détention à domicile. Or la sortie de prison n’est pas toujours un moment joyeux ; elle s’accompagne souvent de difficultés majeures sur le plan administratif, financier, social, relationnel, pour (re)trouver un logement, un emploi, mais parfois aussi tout simplement normaliser sa situation vis-à-vis de la caisse d’assurance maladie ou de pôle emploi. Pour les personnes souffrant de troubles psychiatriques – troubles souvent associés à des addictions et à une grande précarité sociale –, la sortie est une période qui comporte de nombreux risques* : interruption des traitements, consommation de substances psychoactives pouvant entraîner une overdose, passage à l’acte auto-agressif parfois jusqu’au suicide, et pour certains, réitération des faits de délinquance, dans un contexte d’errance. Même si notre étude ne dit rien de ce que sera le parcours des personnes que nous avons interrogées à un mois de leur libération, le fait de s’intéresser au moment de la sortie nous permet de braquer les projecteurs sur une séquence cruciale qui est encore mal documentée par la recherche.
Détériore-t-elle l’état des personnes et pourquoi ? Dans quelle mesure et de quelles façons l’incarcération joue-t-elle sur la santé mentale ?
Notre premier constat, c’est que la santé mentale de la population carcérale, à la libération, apparaît dégradée : plus d’un homme sur trois et près de deux femmes sur trois s’apprêtent à sortir de détention avec des troubles évalués « modérés à très graves » par les enquêteurs. Notre étude n’est pas longitudinale : nous n’avons pas suivi les personnes interrogées au cours de leur peine. Mais nous les avons interrogés sur l’effet subjectif de l’incarcération qu’ils et elles viennent de vivre sur leur santé mentale. Ce que nous voyons émerger ne surprendra pas les observateurs aguerris de la prison : l’incarcération est mieux vécue par celles et ceux qui réussissent à s’occuper (et en particulier à travailler) et à se soigner au cours de la détention. Il est possible que l’incarcération accorde à certains et certaines une pause bénéfique par rapport aux conditions de vie au dehors, ce qui oblige à élargir le regard pour prendre en compte les parcours de vie dans leur globalité.
À l’issue de cette étude, quelles recommandations formuleriez-vous ? Améliorer l’accès aux soins en prison est-il suffisant ?
L’étude apporte enfin ces chiffres dont nos administrations semblent avoir besoin pour justifier la mise à l’agenda de réformes que l’on sait nécessaires depuis longtemps. Il serait bien réducteur de penser que la réponse serait simplement d’améliorer l’accès aux soins en prison, même s’il faut rappeler qu’il y a en la matière une marge de progrès indéniable pour résorber les grandes disparités entre établissements pénitentiaires. Mais l’enjeu est ailleurs : notre étude permet d’une part de rappeler que la prison ne peut pas constituer un asile par défaut pour des personnes présentant des pathologies psychiatriques graves. Il faut trouver des solutions pour éviter la prison aux plus malades. L’étude insiste d’autre part sur la nécessité d’améliorer la continuité des soins à la sortie. Il faut donner à la psychiatrie générale les moyens d’accueillir celles et ceux qui passent par la case prison : la création de nouvelles équipes mobiles transitionnelles, telles celles expérimentées à Lille et à Toulouse**, visant à ramener les sortants de prison vers les ressources de droit commun, est une première piste prometteuse.