Depuis le 1er janvier 2016, les dysfonctionnements du service des cantines se multiplient au sein de plusieurs établissements pénitentiaires, à la suite de la reprise du contrat public par l’entreprise GEPSA. Une situation génératrice de tensions en détention, faisant craindre de possibles débordements.
Le dimanche 4 septembre 2016, une centaine de détenus de la maison d’arrêt de Villepinte ont refusé de réintégrer leur cellule après la promenade pour dénoncer les dysfonctionnements à répétition du service de cantine de leur établissement. Une action identique avait eu lieu le week-end précédent pour le même motif (1). Les deux mouvements se sont soldés par l’intervention des équipes régionales d’intervention et de sécurité (ERIS) et le placement de plusieurs détenus au quartier disciplinaire.
Avec le téléphone et les parloirs, les cantines jouent un rôle fondamental dans la vie quotidienne des personnes incarcérées, complétant, le plus souvent de manière essentielle, leur ordinaire. Cette possibilité d’acheter des produits, dans la limite des références portées au catalogue, via une société prestataire permet en effet aux détenus de compléter ou d’améliorer les repas fournis par l’administration pénitentiaire, souvent jugés insuffisants et de piètre qualité. Elle permet aussi d’acheter des produits indispensables. À l’exception des détenus sans ressources à qui l’administration pénitentiaire doit fournir une trousse de toilette renouvelée régulièrement – il revient en effet aux personnes incarcérées d’acheter les produits dont elles ont besoin pour leur hygiène personnelle. De même, si des produits ménagers pour l’entretien des cellules doivent être régulièrement mis à disposition des détenus, les quantités fournies sont souvent insuffisantes, poussant de nombreuses personnes à en cantiner.
Plusieurs détenus et leurs familles ont alerté l’OIP de problèmes de gestion similaires qui désorganisent la distribution des produits cantinés dans leur établissement depuis plusieurs mois : commandes non ou partiellement livrées, achats débités sur les comptes nominatifs des détenus alors que la livraison n’est pas effectuée, erreurs de comptabilité, accumulation des retards dans le traitement des réclamations… Sans compter leur impact sur les conditions de détention.
Une poudrière au bord de l’explosion
Dans les maisons d’arrêt de Villepinte et de Nanterre et au centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin, la répétition de ces problèmes de gestion pendant plus de huit mois a suscité incompréhension et frustration chez les personnes détenues, générant de fortes tensions dans ces établissements. Dans un tract distribué le 27 juillet 2016, le bureau local de la CGT au centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin dénonçait une « poudrière au bord de l’explosion », tandis que la directrice de la maison d’arrêt de Villepinte confiait en août à un journaliste : « Nous frisons l’émeute » (2).
Un détenu de cet établissement nous alertait de même récemment : « C’est dangereux, tout le monde est énervé, déjà qu’il y en a qui dorment par terre… Ils s’énervent, c’est normal. » Ces dysfonctionnements viennent en effet compliquer une situation déjà tendue par les conditions de détention dans ces établissements marqués par la surpopulation. Au 1er septembre 2016, les taux d’occupation variaient entre 175 % et 181 %, suivant les lieux. La désorganisation des livraisons des produits cantinés pousse aussi certaines personnes à solliciter leurs co-détenus pour obtenir des produits qu’elles ne parviennent plus à recevoir via les cantines, ce qui peut entraîner l’instauration de rapports de dépendance du fait de la nécessité de rembourser les « dettes » ainsi accumulées.
Contactée une première fois au mois d’août au sujet de ces problèmes de gestion, la direction de GEPSA mettait en avant les difficultés provoquées par un changement de prestataire, une « opération relativement complexe » – doublée à Meaux-Chauconin de la mise en œuvre d’un plan de réaménagement du local des cantines. Dans cet établissement, le service des cantines a été particulièrement perturbé et le catalogue des produits que les détenus pouvaient commander a été drastiquement réduit pendant plusieurs semaines pour résorber les problèmes de gestion accumulés depuis le début de l’année. D’après nos interlocuteurs, la situation s’était depuis « normalisée », les commandes étaient à nouveau livrées régulièrement et les retards pris dans le traitement des réclamations et des remboursements avaient été rattrapés. Des affirmations démenties par les récents mouvements de contestation des détenus de la maison d’arrêt de Villepinte. Contactée de nouveau après ces évènements, la direction de GEPSA a réaffirmé sa volonté de régler au plus vite les problèmes rencontrés, tout en relativisant les revendications des détenus mobilisés.
Reste que plus de huit mois après avoir remporté ce marché, la société privée ne semble toujours pas en mesure d’assurer un service de cantine fonctionnel, une situation particulièrement préoccupante compte-tenu de l’impact des cantines sur la vie en détention. À cela s’ajoute le risque de sanctions disciplinaires, prises du fait des tensions croissantes entre détenus, voire avec les surveillants. À Nanterre, un détenu s’inquiétait dans un courrier : « GEPSA ne fait toujours rien… Les insultes fusent et les jeunes finissent au mitard à cause de ça »… Et les prisonniers ne sont pas les seuls touchés par ces dysfonctionnements.
Une compagne de détenu nous indiquait récemment que la situation poussait certaines familles à apporter de la nourriture au parloir, au risque de subir des sanctions pouvant aller de la suspension du permis de visite aux poursuites pénales.
Par Marine Tagliaferri, coordination Île-de-France.
(1) Voir notamment STERLE Carole, « Villepinte : les détenus protestent contre l’intendance de la prison », Le Parisien, 29 août 2016.
(2) KOCH François, « Dans la peau d’un maton », L’Express, 3 août 2016.