Alors qu’un homme détenu à Villepinte est décédé dans sa cellule en feu le 23 juin dernier, plus de deux semaines plus tard, de nombreuses zones d’ombre entourent encore ce drame. Plusieurs détenus ont décidé de déposer plainte.
Mardi 23 juin à la maison d’arrêt de Villepinte (93). Aux alentours de 19h30, un incendie se déclenche dans une cellule du bâtiment B. Une fumée noire se diffuse par la fenêtre, l’odeur se répand dans la prison. Des cris glaçants s’échappent de la cellule : l’homme qui l’occupe appelle désespérément à l’aide par la fenêtre. À ses cris s’ajoutent ceux d’autres détenus, qui tentent d’alerter l’équipe de surveillance en tambourinant sur les portes, en utilisant les interphones. La scène, filmée par plusieurs détenus, circulera sur les réseaux sociaux les jours suivant le drame.
Ce soir-là, Monsieur K. a mis le feu à son matelas. En dépit de ses appels au secours, il est mort dans les flammes. « C’est un type qui n’avait pas de papiers, pas de famille en France, pas de revenus, il était très isolé. On lui a confisqué son portable suite à une fouille de cellule. La règle c’est la règle, mais le problème avec les “indigents”, c’est que quand on leur retire le peu qu’ils ont, ils vont très mal. Donc ce soir-là, son moyen d’exprimer sa colère, sa frustration, ça a été de passer à l’acte », explique une personne travaillant dans l’établissement.
La première semaine de juillet, une dizaine de détenus signent un texte collectif pour faire part de leur « peur » et signaler leur volonté de porter plainte contre l’établissement pénitentiaire. « [Il y a eu] un mort dans la cellule à cause du temps qui a été mis pour l’intervention. […] Tout ce retard ça pèse beaucoup sur notre moral […] Nous ne voulons pas mourir en prison », peut-on lire dans ce texte.
Combien de temps s’est écoulé avant l’arrivée des secours ? D’après les divers témoignages des détenus, le délai d’intervention aurait été bien trop important. « Ils sont arrivés après 20h50 ou 20h30, soit 1h-1h20 après notre alerte » déplore le texte collectif. Dans les vidéos diffusées sur Internet, les personnes qui filment ragent contre la lenteur des secours. D’après Fabienne Klein-Donati, procureure de la République à Bobigny, les pompiers, une fois appelés, auraient mis sept minutes à se rendre sur place. « Quand les pompiers sont arrivés, le feu était éteint », affirme une personne travaillant dans l’établissement. Des surveillants sont intervenus dès qu’ils ont su qu’il y avait un problème en détention. » Mais à quelle heure les surveillants se sont-ils rendu compte qu’un incendie était en cours ? Sur ce point, les témoignages varient. Une personne travaillant dans la prison évalue le délai d’intervention des surveillants à « moins de dix minutes », une autre à « une heure environ ». En marge de l’enquête du parquet, usuelle en cas de décès en prison, une enquête interne a été ouverte. Il faudra sans doute en attendre les résultats pour que la lumière soit faite.
Ce qui est probable, c’est que l’intervention de l’équipe de nuit ait été ralentie par une série de problèmes techniques, dont certains semblent récurrents. Un interphone souvent en panne, plusieurs détecteurs de fumée désactivés ou encore des circulations d’air mécaniques inopérantes : plusieurs personnes intervenant ou vivant dans l’établissement pointent des dysfonctionnements chroniques. En 2017, la sous-commission départementale de sécurité contre les risques d’incendie et de panique (SDIS) avait souligné un certain nombre de problèmes à l’issue d’une visite de contrôle : « le câble d’alimentation du moteur de désenfumage n’est pas résistant au feu » ; « l’établissement est pourvu partiellement de détecteurs ioniques » ; « le rapport de vérifications périodiques électriques fait état de plus de 300 anomalies ». « La [SDIS] n’est pas en mesure d’émettre un avis sur la poursuite de l’exploitation de la maison d’arrêt de Villepinte » concluait alors le procès-verbal, signé par le préfet de Seine-Saint-Denis et la présidente de la sous-commission. Mais impossible de savoir si des travaux de mise aux normes ont été réalisés depuis : le rapport d’activités 2018 de la prison, transmis à l’OIP, est occulté en grand partie. Pourtant, ce n’est pas le premier feu de cellule mortel à Villepinte : dans son rapport de visite 2018, le CGLPL déplorait un drame similaire, survenu en 2015.
Plusieurs témoignages récents laissent entendre que non seulement ces problèmes ont persisté, mais aussi qu’ils se sont enchaînés ce soir-là. « L’interphonie a déconné, cela arrive tous les quatre matins. Ensuite l’alarme s’est déclenchée, mais pas dans le bon bâtiment. […] Quand ils sont revenus équipés, ils ont dû chercher la cellule dans laquelle le feu était déclenché. C’est un cafouillage complet », se désole une personne travaillant dans l’établissement. « Quand tous les détenus appuient à l’interphone en même temps, ça sature le système et les surveillants ne peuvent plus avoir les appels. […] Si les mecs hurlent au bâtiment B et que les rondiers sont au bâtiment D, à l’autre bout de la prison, ils n’entendent rien », explique une autre. À ce moment-là, c’est l’équipe de nuit qui est en poste. Soit une douzaine de personnes, pour plus de 800 détenus. La nuit, à Villepinte comme dans n’importe quelle prison, les rondiers n’ont pas les clefs des cellules. En cas de problème, ils doivent appeler leur gradé pour pouvoir les ouvrir. « Quand ils voient qu’il y a de la fumée, que la porte est chaude, ils sont obligés de prévenir le gradé et la direction, d’aller s’équiper avec des tenues spéciales… tout cela prend du temps. »
Interpellée par l’OIP, la directrice de l’établissement assure avoir pris « toutes les mesures possibles pour la gestion de cette situation et ses conséquences tant au niveau humain que sur d’autres aspects ». Dans les jours qui ont suivi l’incendie, certains détenus ont en effet bénéficié de tests pulmonaires et l’équipe de soins psychiatriques et psychologiques a reçu en urgence une quinzaine de détenus. « Nous avons dit aux équipes pénitentiaires que nous recevrions toutes les personnes qui nous en feraient la demande, de ne pas hésiter à nous amener les personnes qui n’allaient pas bien », assure Guillaume Monod, médecin au SMPR. Des soins hautement nécessaires, au vue du traumatisme suscité par la violence du décès. Près de trois semaines plus tard, la cellule est toujours sous scellés et la prison est encore sous le choc. « Mes clients, qui étaient incarcérés dans les cellules attenantes à celle du défunt, me disent avoir senti l’odeur de peau grillée. Ils sont traumatisés. L’un d’eux fait régulièrement des crises de panique, il me répète tout le temps qu’il entend toujours les cris, qu’il voit la mort devant lui », s’émeut Me Salomé Cohen. Dans la coursive, « il y a encore l’odeur du mort et du cramé », témoigne une personne travaillant dans l’établissement.
Le 10 juillet, une première plainte contre X pour « non-assistance à personne en danger » et « mise en danger de la vie d’autrui » a été déposée. Car le 23 juin, la fumée se serait diffusée dans l’ensemble des cellules du bâtiment B, « obligeant les personnes détenues à se figer au sol avec des linges humides sur la figure pour ne pas être totalement asphyxiées. Ce n’est que bien plus d’une heure plus tard que [les détenus] étaient enfin évacués de leurs cellules et envoyés dans la cour de promenade », peut-on lire dans la plainte déposée par Me Yvan Bonet et Me Aurélie Tancelin. À côté des plaintes, un référé-liberté, soutenu par l’Ordre des avocats de la Seine-Saint-Denis, est déposé sur le bureau du juge administratif ce vendredi 10 juillet. Objectif : obtenir que des mesures et travaux soient engagés en urgence pour remédier aux défaillances qui pourraient affecter la sécurité incendie dans l’établissement, et contraindre ainsi l’administration pénitentiaire à assumer sa mission de protection des personnes incarcérées.
Par Sarah Bosquet