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« Mes enfants ont pesé lourd dans la balance »

Sorti de prison en 2021, Khaled Miloudi revient sur le moment, à l’isolement où il a failli mettre fin à ses jours. Et sur le déclic qui l’a poussé à carter la corde qu’il avait nouée.

« J’en étais à 45 ans de réclusion criminelle, à l’isolement. Et là, je me suis dit : “Je ne sortirai plus jamais de prison.” J’étais livré à moi-même, au fond du trou, dans les abysses de l’enfer. Alors j’ai préparé une corde. Je voulais me suicider. J’avais tressé une corde, que je cachais régulièrement. […] La journée, je la détressais, parce que la cellule était fouillée, et le soir, dès que la porte se refermait, je la retressais. Et à chaque fois, j’essayais de me préparer psychologiquement à partir de l’autre côté, à mourir…

Et un jour, je ne sais pas ce qu’il s’est passé […], comme une voix intérieure qui m’a poussé, guidé… Il y avait cette corde enroulée à côté de ce tabouret, et j’avais un petit calepin à rayures posé sur un coin de table. Et entre les deux, je me pends, je ne me pends pas… Je crois que mes enfants ont pesé lourd dans la balance. Parce que je me suis vu mort, j’ai imaginé mes enfants venir à mon enterrement, je les ai vus défiler, j’ai vu leurs sanglots… Je me suis effondré, j’étais en sanglots moi aussi. Et plus je pleurais, plus, petit à petit, mes larmes me rafraîchissaient, me réveillaient… Je peux dire que ce sont ces larmes qui m’ont réveillé, qui m’ont sorti de cette torpeur dans laquelle j’étais enfermé. Et je me suis dit : “Non.” Je me suis jeté, en larmes, sur ce petit calepin, et j’ai commencé à écrire trois mots en arabe phonétique : “Je vous aime, je vous aime, je me meurs sans vous.”

Il s’est passé quelque chose en moi, j’ai pris une feuille et un poème est sorti :

Je vous aime, je vous aime, je vous aime…
Rien ne m’a manqué autant que vous mes enfants
Malgré mes errements
Nos meilleurs moments sont restés comme des monuments
Je vous aime, je vous aime
Et c’est auprès de vous, mes bouts de laine…

J’ai un trou. Mais le lendemain, c’était le poème à mon père. […] Il est sorti comme ça, comme celui pour mes enfants. Et puis après, un deuxième, un troisième, sans chercher mes mots… […] Les mots m’ont permis d’extraire les maux sous ma peau, et aussi, je crois, de mieux comprendre les autres, mon père, le monde, moi-même. De comprendre que j’avais cette pudeur aussi, à ne jamais parler de mes souffrances, de mes blessures, de mes failles, de ma vulnérabilité, de mon hypersensibilité… Et le fait d’accepter que je sois capable de pleurer, de dire que moi aussi […] je suis touché, je craque, je pleure… je crois que ça m’a permis de me connaître, et ça m’a fait du bien. Je me suis apaisé, je n’étais plus en colère, dans le ressentiment, dans la haine. »

Propos recueillis par Leïla Djitli