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Jeux olympiques et paralympiques 2024 : la médaille de la surincarcération ?

Multiplication des patrouilles de police et des audiences de comparution immédiate, nouvelles lois répressives : le dispositif sécuritaire qui se met en place à l’approche des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de Paris, du 26 juillet au 8 septembre, pousse à leur paroxysme les logiques à l’œuvre ces dernières années. Une dérive qui banalise l’incarcération et envoie toujours plus de personnes derrière les barreaux – au point que les prisons françaises sont déjà aujourd’hui proches de l’explosion.

« À l’aube des Jeux olympiques et des enjeux sécuritaires qu’ils font naître, l’ouverture de ce nouveau centre de détention tombe à point nommé », se réjouissait le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti en octobre 2023, en inaugurant plus de 400 places de prison supplémentaires au voisinage de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis – déjà le plus grand centre pénitentiaire d’Europe. L’éventualité de défis sécuritaires tels qu’ils justifieraient une vague d’incarcérations pendant les JOP n’a pourtant rien d’une évidence. Une éventuelle hausse de la délinquance n’est pour l’heure « ni objectivée, ni objectivable », souligne une juge de la région parisienne, tandis qu’un directeur d’établissement pénitentiaire résume : « Personne ne sait ce qui va se passer. »

En revanche, le dispositif sécuritaire qui se met en place depuis des mois en prévision de l’événement donne des sueurs froides à de nombreux professionnels, pour qui l’intensification annoncée de l’activité pénale pourrait bien s’avérer auto-réalisatrice. Si la présence policière massive promise dans les rues laisse présager davantage d’interpellations, la multiplication prévue des audiences de comparution immédiate fait craindre un engrenage bien connu : une personne a huit fois plus de risques d’être condamnée à de la prison ferme au terme de cette procédure expéditive, qui limite à l’extrême la préparation de l’audience et la compréhension des situations individuelles. Une procédure qui frappe en outre essentiellement les populations les plus précaires.

Multiplication des comparutions immédiates

Le ministère de l’Intérieur promet la mobilisation quotidienne de plus de 30 000 policiers et gendarmes, épaulés par de nombreux autres effectifs et assistés par un recours inédit aux technologies de surveillance, avec l’expérimentation de drones et de la vidéosurveillance algorithmique. À Paris, les patrouilles de police dans les transports devraient passer de 125 à 700 par jour, et la préfecture annonce une « montée en puissance » de son plan « zéro délinquance », assorti de messages de fermeté quant à l’occupation de la voie publique.

Une circulaire du ministre de la Justice datée du 15 janvier incite les juridictions où se tiendront les épreuves à mettre en place « une politique pénale déterminée prévoyant des réponses rapides, fortes et systématiques à l’ensemble des infractions pénales ayant pour objet ou pour effet de troubler le bon déroulement » des JOP. Si elle indique que « les faits relevant du “bas du spectre” pourront utilement faire l’objet d’une réponse purement douanière ou d’une alternative aux poursuites », « les réponses pénales les plus fermes devront être apportées aux infractions commises à l’occasion de troubles graves à l’ordre public » susceptibles de perturber l’événement ou de « ternir l’image de notre pays ».

Au niveau des juridictions concernées, cette réponse « forte et rapide » devrait largement passer par le recours aux comparutions immédiates : d’après les plans soumis au ministère de la Justice, des audiences supplémentaires dédiées à cette procédure sont prévues de Paris à Marseille, en passant par Meaux, Papeete, Saint-Étienne et d’autres juridictions. À Bobigny, outre une chambre de comparution immédiate supplémentaire cet été, une « chambre de délestage » est d’ores et déjà mise en place pour tâcher d’absorber les renvois d’ici-là. En parallèle, la plupart des juridictions prévoient des audiences supplémentaires en plaider-coupable (comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité), généralement moins pourvoyeuses d’incarcérations mais réduisant les droits de la défense.

Les consignes reçues sur le terrain, quant à elles, convergent autour de la nécessité de faire « place nette » dans les rues : « Le procureur a été très clair sur le fait que sa priorité était les vendeurs de cigarettes contrefaites », témoigne Albertine Munoz, juge de l’application des peines à Bobigny et membre du Syndicat de la magistrature (SM), qui anticipe « une politique du chiffre centrée sur la délinquance de rue : petit trafic de stupéfiants, contrefaçon de cigarettes, éventuellement vols à l’arraché. Au détriment de contentieux plus sérieux, touchant par exemple aux violences intrafamiliales ou à la prostitution des mineurs. »

Surenchère répressive au Parlement

La surenchère sécuritaire s’illustre également au Parlement, dans le sillage de la loi sur les JOP adoptée en mai 2023. L’un des derniers exemples en date est une proposition de loi sur la sécurité dans les transports, adoptée au Sénat avec le soutien du gouvernement, qui a enclenché la procédure accélérée pour qu’elle puisse passer à l’Assemblée nationale avant les JOP. À ce stade des débats parlementaires, le texte étend le pouvoir des agents de sûreté et rend passible de six mois de prison la répétition « habituelle » de plus d’une trentaine de comportements dans les transports en commun ou aux abords des gares : de la mendicité, en passant par le fait d’empêcher la fermeture des portes ou encore de fumer, vapoter ou jouer de la musique.

Cette approche répressive, banalisant le recours à l’incarcération censée être une peine de « dernier recours », aboutit pourtant déjà à une situation intenable : avec 76 258 personnes incarcérées au 1er février, les prisons françaises n’ont jamais été si surpeuplées. Les maisons d’arrêt, qui accueillent les deux tiers des personnes détenues, sont occupées en moyenne à 147,7%. Avec des conséquences dramatiques pour les droits et la dignité des personnes incarcérées, souvent entassées à deux ou trois 23 heures sur 24 dans des cellules exiguës, et dont plus de 3 000 dorment sur des matelas posés à même le sol.

L’Observatoire international des prisons (OIP) rejoint le collectif « Le revers de la médaille » et prendra part à une conférence de presse commune lundi 25 mars à 11h.

L’Observatoire international des prisons est une association indépendante qui agit pour le respect des droits des personnes détenues. La poursuite de ses missions d’information, de sensibilisation et de défense des droits repose en grande partie sur des dons individuels. Faites un don.