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La Cour européenne valide la perpétuité incompressible à la française

L’emprisonnement à vie existe : il s’agit de la réclusion criminelle à perpétuité avec période de sûreté illimitée, à savoir sans possibilité de demander un aménagement de peine. Instaurée en 1994, elle a été prononcée contre quatre personnes, parmi lesquelles Pierre Bodein.

Dans son arrêt du 13 novembre 2014, la Cour européenne des droits de l’homme vient de juger qu’une telle condamnation ne constitue pas un traitement inhumain ou dégradant prohibé par l’article 3 de la Convention. Renvoyant aux principes posés dans son arrêt Vinter c. Royaume-Uni, la Cour rappelle que pour être compatible avec l’article 3, « une peine perpétuelle doit offrir à la fois une chance d’élargissement et une possibilité de réexamen ». Ainsi, « la possibilité de revoir la peine perpétuelle dans le but de la commuer, de la suspendre, d’y mettre fin ou encore de libérer le détenu sous conditions » doit être prévue par la loi (1).

La possibilité de réexamen suffit

Le Royaume-Uni avait pour sa part été sanctionné par la CEDH en juillet 2013, sa législation ne prévoyant aucune de ces possibilités pour certains condamnés. Examinant le droit français à l’aune des mêmes principes, la Cour souligne que le code de procédure pénale (art. 720-4) prévoit qu’une personne condamnée à la perpétuité « réelle » peut obtenir, après trente ans d’incarcération, qu’il soit mis fin à la période de sûreté incompressible, puis déposer une demande de libération conditionnelle. La procédure de relèvement de la période de sûreté peut être engagée à l’initiative du condamné, de la juridiction de l’application des peines ou du parquet. Dans tous les cas, un collège de trois experts psychiatres est désigné pour rendre un avis sur la dangerosité du condamné. Puis, une commission de magistrats de la Cour de cassation juge s’il y a lieu de mettre fin à la période de sûreté perpétuelle. En cas de décision favorable, le condamné recouvre la possibilité de demander un aménagement de peine, demande qui suivra ensuite une longue procédure d’évaluation. Pour les juges européens, ce dispositif assure l’existence d’une « perspective d’élargissement » et préserve de ce fait le « droit à l’espoir » du détenu. En l’espèce, la Cour relève que M. Bodein pourra saisir la juridiction de l’application des peines en 2034, à l’âge de 87 ans, d’une demande de relèvement de sa période de sûreté. Elle estime que « cette possibilité de réexamen est suffisante pour considérer que la peine prononcée contre le requérant est compressible ».

Des chances quasi-nulles en pratique

La section française de l’Observatoire international des prisons (OIP-SF) attirait au contraire l’attention de la Cour sur le fait que la peine de réclusion criminelle à perpétuité est certes compressible dans les textes mais pas dans les faits. L’OIP produisait notamment une étude réalisée par un conseiller d’insertion et de probation en 2007. Il concluait que si elle n’existe pas de jure « il est possible d’affirmer que la perpétuité existe réellement en France ». Il se basait sur l’étude de la situation de 148 condamnés à perpétuité, parmi lesquels seuls 32 étaient accessibles à un aménagement de peine. Parmi eux, 10 avaient déjà fait l’objet d’un rejet suite à une demande et 14 se refusaient à déposer un dossier. Les 8 derniers étaient en train d’élaborer leur dossier de demande ou dans l’attente d’une réponse. L’auteur dégageait trois tendances parmi ces condamnés : ceux qui se sont enfermés dans une « posture d’affrontement avec l’administration » au vu de leur absence de perspective, ceux qui vivent une « perpétuité sociale », du fait d’un rejet de leur entourage notamment, et qui ne se socialisent « qu’en interaction avec l’institution », angoissant « face au moindre changement ». Enfin, ceux pour lesquels une « dangerosité criminologique » est considérée comme immuable du seul fait de leurs infractions et se trouvent de fait « neutralisés par une réclusion à vie ». Alors que l’étude portait sur toutes les catégories de condamnés à perpétuité, il faut bien sûr considérer les chances d’accéder à un aménagement de peine encore plus réduites, donc quasi-nulles, pour ceux qui ont une période de sûreté illimitée, tels Pierre Bodein.

Après la peine de mort…

Dans une opinion concordante annexée à la décision, l’une des juges relève que « si l’on prend au sérieux l’idée d’une chance réelle, et non purement théorique, que [le requérant] soit libéré », il faut tenir compte de l’âge très avancé auquel il pourra effectivement solliciter un élargissement. Elle explique toutefois avoir voté pour la solution retenue par la Cour en considérant que Pierre Bodein a une chance d’atteindre l’âge auquel il pourra solliciter une libération. Et que s’il devenait « probable qu’il mourra avant le moment où il pourra demander un réexamen de sa peine », le droit français lui permet également de solliciter une suspension de peine ou une grâce présidentielle. Ainsi la Cour européenne se contente aujourd’hui de chances infimes de recouvrer la liberté pour les condamnés à la perpétuité réelle. Néanmoins, pour le juriste spécialiste de la CEDH Nicolas Hervieu, une évolution de sa jurisprudence n’est pas exclue. « La CEDH interdit la peine de mort, depuis l’an dernier elle prohibe les peines totalement incompressibles, rien ne dit qu’un jour elle n’ira pas plus loin en considérant les peines de prison de 20 ou 30 ans comme inhumaines (2).» Et les mots prononcés par Robert Badinter devant l’Assemblée nationale pour défendre l’abolition de la peine de mort s’appliquer enfin à la perpétuité : « Aussi terribles et odieux que soient leurs actes, il n’est point d’homme sur cette terre dont la culpabilité soit totale et dont il faille pour toujours désespérer. »

Cour EDH, 13 nov. 2014, Bodein c. France, n°40014/10.

(1) Cour EDH, Gr.ch., 9 juil. 2013, Vinter c/ Royaume Uni, n°66069/09, 130/10 et 3896/1

(2) Cité par Marie Boëton, La Croix, 12/11/14