L’OIP mène une campagne de recours contre la pratique humiliante de la fouille à nu en détention, à laquelle l’administration continue de recourir de manière systématique en certaines occasions, alors que la loi pénitentiaire implique d’en faire un usage exceptionnel et qui doit être justifié au cas par cas. Avec en ligne de mire son remplacement par des moyens de contrôle électronique plus respectueux de la dignité humaine.
S’exprimant au nom du Gouvernement français le 27 avril 2010, Jean-Baptiste Mattéi rassurait le Comité contre la torture des Nations Unies sur la pratique des fouilles intégrales en détention, en relevant qu’avec la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 « leur caractère systématique est désormais proscrit » et qu’elles ne peuvent avoir lieu « qu’en cas de nécessité suggérée par des indices sérieux »1. Le tournant opéré par la loi pénitentiaire est en effet notable, tant il est vrai que le droit antérieur n’offrait aucune limite au pouvoir de l’administration dans ce domaine. Abrogé en décembre 2010, l’article D.275 du code de procédure pénale disposait que « les détenus doivent être fouillés fréquemment et aussi souvent que le chef de l’établissement l’estime nécessaire » et précisait que les personnes détenues ayant accès aux parloirs devaient faire l’objet d’une fouille systématique. Une circulaire du 14 mars 1986, abrogée en avril 2011, habilitait également administration à faire un usage systématique des fouilles intégrales dans certaines situations (à l’issue des parloirs, au retour des ateliers, ou après une extraction). Elle précisait que les personnes mises à nu devaient se pencher et tousser afin de vérifier qu’elles ne cachaient aucun objet dans l’anus. La circulaire du 14 avril 2011 est certes revenue sur cette obligation mais permet toujours à l’administration d’imposer aux personnes fouillées d’écarter les jambes pour permettre un contrôle visuel de l’entrejambe.
Le caractère exceptionnel de la fouille intégrale affirmé par la loi pénitentiaire
Comme l’a souligné la Cour européenne des droits de l’Homme, ces mises à nu contraintes portent « par nature » atteinte à la dignité humaine. A l’instar du Comité européen de prévention de la torture (CPT) ou de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), la Cour a ainsi affirmé n’avoir « aucune difficulté à concevoir qu’un individu qui se trouve obligé de se soumettre à un traitement de cette nature se sente de ce seul fait atteint dans son intimité et sa dignité, tout particulièrement lorsque cela implique qu’il se dévêtisse devant autrui, et plus encore lorsqu’il lui faut adopter des postures embarrassantes »2. Si les juges français et européens n’interdisent pas pour autant l’emploi des fouilles intégrales en détention, ils exigent qu’elles soient absolument nécessaires sur le plan de la sécurité et réalisées selon des modalités adéquates. A plusieurs reprises, la France a été condamnée pour ne pas avoir respecté ces exigences, les fouilles litigieuses étant alors qualifiées de traitements dégradants 3.
Dans ce contexte jurisprudentiel, le législateur de 2009 se saisissant pour la première fois de cette question, a choisi de ne pas interdire la pratique des fouilles à nu pour la remplacer par des moyens de contrôle électronique, comme le réclamaient l’OIP ou la CNCDH4. L’article 57 pose néanmoins le principe de la subsidiarité du recours aux fouilles intégrales, ces dernières n’étant possibles « que si les fouilles par palpation ou l’utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes ». « Ce faisant » expliquait le sénateur Jean-René Lecerf, « nous préparons l’avenir, les cas de fouille intégrale devant se réduire avec le progrès technique ». Et le député Jean-Paul Garraud de confirmer que les équipements modernes de détection « permettront certainement la suppression des fouilles intégrales ».
Par ailleurs, l’article 57 de la loi pénitentiaire encadre d’ores-et-déjà l’usage des fouilles en le soumettant aux principes de nécessité et de proportionnalité : elles « doivent être justifiées par la présomption d’une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l’établissement. Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues. » La décision de recourir à une fouille intégrale doit donc désormais être individualisée, c’est-à-dire être prise en considération de la personne à laquelle elle doit être appliquée. Dans son rapport sur le projet de loi pénitentiaire, Jean-Paul Garraud rappelait qu’en 2000 « la commission d’enquête du Sénat avait dénoncé le caractère trop systématique des fouilles, les qualifiant d’“automatisme pénitentiaire” conduisant à effectuer des fouilles selon les mêmes fréquences et les mêmes modalités quel que soit le degré de dangerosité de la personne ». Avec la loi du 24 novembre 2009, le législateur a clairement entendu donner aux fouilles intégrales un caractère exceptionnel et mettre ainsi un terme à leur usage systématique.
La loi pénitentiaire inappliquée
Deux ans après le vote de ces dispositions, le bilan de leur application est cependant bien sombre. La promesse d’un remplacement progressif des fouilles intégrales par le recours à des instruments modernes de détection se heurte à l’absence de volontarisme politique. Le sénateur Jean-René Lecerf a récemment critiqué en ce sens le projet de loi de finances pour 2012 en relevant qu’il « ne prévoit pas de financement pour permettre l’expérimentation de matériels de détection qui éviterait le recours à des pratiques ressenties comme humiliantes pour les personnes détenues »5. Par ailleurs, les détenus sont encore soumis, dans de nombreux établissements, à des régimes de fouilles intégrales systématiques. Cette résistance à l’application des dispositions votées par le législateur s’est encore récemment exprimée par la voie d’un communiqué de l’UFAP du 13 décembre, dans lequel le syndicat affirme ne pas accepter la remise en cause de la systématicité des fouilles intégrales à l’issue de tout contact avec l’extérieur « essentielle », selon lui, « à la survie du système carcéral en France »6.
Depuis quelques mois, l’OIP, ainsi que plusieurs personnes détenues, se sont donc tournés vers les juges. En juillet, l’Observatoire a saisi le Tribunal administratif de Lille pour obtenir la suspension d’une note du directeur du centre de détention de Bapaume prévoyant que toutes les personnes détenues ayant accès aux parloirs devaient faire l’objet de fouilles intégrales. Quelques jours avant l’audience, l’administration faisait savoir qu’elle avait décidé d’abroger cette note. Au mois d’août, un détenu du centre de détention de Salon-de-Provence introduisait un référé avec le soutien de l’OIP pour obtenir l’arrêt des fouilles intégrales systématiques à son encontre à l’issue des parloirs. Saisi en appel, le Conseil d’Etat s’est prononcé contre l’existence de fouilles intégrales visant de façon systématique, et sans distinction, l’ensemble des détenus ayant accès aux parloirs dans cet établissement, et a relevé, à propos du requérant, que de telles fouilles n’étaient pas nécessaires au maintien de la sécurité au regard de ce que l’intéressé a toujours eu un « comportement paisible et correct »7. Quelques semaines plus tard, le Tribunal administratif de Marseille suspendait à la demande de l’OIP la décision du directeur de Salon-de-Provence soumettant tous les détenus à des fouilles systématiques après les parloirs8. Fin novembre, la directrice du centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse était condamnée en référé liberté par le Tribunal administratif de Lyon pour soumettre depuis plusieurs mois une personne détenue à des fouilles à nu à l’issue des parloirs sans que ne soit démontrée la nécessité de ces mesures sur le plan de la sécurité, le juge des référés estimant qu’une « atteinte grave et manifestement illégale » était portée « à la liberté fondamentale du requérant de ne pas subir de traitements inhumains et dégradants contraires à la dignité humaine »9. D’autres décisions faisant suite à des recours de l’OIP sont attendues des Tribunaux administratifs de Strasbourg et de Rennes sur les régimes de fouilles intégrales systématiques en vigueur au centre de détention d’Oermingen et au centre pénitentiaire de Rennes.
Commentant cette campagne de l’OIP, le sénateur Jean-René Lecerf, qui fut rapporteur de la loi pénitentiaire, estime qu’« il y a des secteurs en prison où il y a de la violence, des bagarres, des tentatives d’évasion, et la tentation est forte de passer outre à la réglementation et à la volonté du législateur. Je suis dans une position très inconfortable, mais si ces recours permettent de faire avancer les choses, j’en serais très satisfait »10. Gageons en effet qu’après avoir fait la sourde oreille aux prescriptions de la loi pénitentiaire, l’administration pénitentiaire entendra celles des juges…
Nicolas Ferran
1. Audition de la France par le CAT, 17 avril 2010.
2. CEDH, Frérot c/France, 12 juin 2007.
3. CEDH, Frérot c/France, op. cit. ; Khider contre France, 9 juil. 2009 ; El Shennawy contre France, 21 janv. 2011 – CE, 20 mai 2010, X. et Observatoire international des prisons, n° 339259.
4. Avis du 6 novembre 2008 sur le projet de loi pénitentiaire
5. Avis de la commission des lois du sénat sur le projet de loi de finances 2012.
6. Bureau Régional UFAP Lyon, 13 décembre 2011
7. 9 sept. 2011, garde des Sceaux c/M. D., n° 352372
8. 3 nov. 2011, OIP, n° 1106682.
9. TA Lyon, 28 nov. 2011, n° 1107154.
10. Le Monde, 20 octobre 2011. extrait du documentaire La honte de la République, CINÉTÉVÉ – CANAL+ – 2006