Dans le nouveau tempo consécutif au 11 septembre 2001, « le vieil antagonisme entre justice et politique » s’est exacerbé.
« Longtemps feutrée, la bataille se livre désormais au grand jour », explique Denis Salas dans son dernier essai. Il tient à prendre « l’exacte mesure de ce moment historique », où le « rythme asphyxiant des réformes » brouille toute visibilité et tend à réduire la justice « à un simple instrument des politiques de sécurité ». Parce que désormais, « le sort des dirigeants politiques est lié aux “performances” des institutions pénales », les forces de police deviennent « des relais nécessaires pour montrer leur détermination ». Dans cette configuration, le juge indépendant menace la posture de dirigeants politiques prétendant incarner la figure du protecteur. C’est ainsi que « placée entre une injonction à agir et les contraintes du droit, la justice de notre pays est dévoyée ». Le trouble qui agite l’institution n’aurait rien de corporatiste : « Il touche la vision de l’homme qu’une société démocratique veut défendre. »
Dans cette société « sans risque et sans danger » que l’utopie sécuritaire nous promet, la peine de mort abolie est remplacée par des dispositifs d’exclusion définitive. « A partir du moment où la dangerosité supplante la délinquance, la peine à temps devient insuffisante. » La mesure de sûreté, « illimitée, purement préventive et faite pour les individus dangereux », apporte un élément de réponse, l’enfermement perpétuel complète le dispositif. Denis Salas, paraphrasant Michel Foucault, trace ainsi une ligne de partage entre « ceux qui croient à la finalité de la peine et ceux qui n’y croient plus ». Se plaçant résolument parmi ceux qui y croient encore, il appelle à déplacer les frontières de l’abolitionnisme : « En refusant les peines alternatives à la peine de mort, le nouvel abolitionnisme exige pour sa part que toute peine, quelle qu’elle soit, ait un terme. »
C’est dans cette perspective que l’auteur invite au développement d’une justice restauratrice dont « l’ambition est de répondre avant tout aux besoins des victimes en cherchant à réintégrer les auteurs avec la participation de la communauté ». Les rencontres entre auteurs et victimes (mais pas entre un auteur et « sa » victime) qui commencent à émerger en France opposent, pour lui, « la voie longue et non moins efficace de la reconstruction » « aux réponses immédiates ». Cette approche entend « sortir de l’équivalence pénale qui oppose sans fin un mal subi (la peine) à un mal commis (l’infraction) ». Rejoignant les résultats de la recherche internationale, Denis Salas rappelle que les victimes « surtout d’atteintes graves, contrairement aux apparences (…) ne veulent pas rendre le mal pour le mal. Au delà d’un désir vindicatif immédiat, elles cherchent un dialogue à partir de leur agression. Il leur faut sortir de “l’entre-deux-mondes” où elles se vivent abîmées par l’agression et enfermées dans le traumatisme ».
Denis Salas, La justice dévoyée, Critique des utopies sécuritaires, Les Arènes, janvier 2012.