Experts en nombre insuffisant, délais excessifs dans la réalisation des expertises et dans la remise des rapports aux services de l’application des peines… La situation au centre de détention de Bapaume prive de nombreuses personnes détenues d’accès aux aménagements de peine. Un dysfonctionnement des services judiciaires qui paraît malheureusement toucher nombre de juridictions.
Depuis plus d’un an, Madame J., détenue au centre de détention de Bapaume, voit toutes ses demandes de permission de sortir rejetées. En cause, notamment, l’absence d’expertise psychologique à l’appui de sa demande. Dans le cadre des décisions relatives aux aménagements et réductions de peine et aux permissions de sortir, une expertise psychologique ou psychiatrique peut en effet être ordonnée par la justice afin d’apprécier la dangerosité et le risque de récidive, notamment si la personne a été condamnée pour un crime. Elle est obligatoire lorsque la condamnation de la personne a été assortie d’un suivi socio-judiciaire. Lorsque ces expertises ne sont pas réalisées, les personnes détenues concernées se voient privées d’accès à ces dispositifs.
Au sujet de la dernière demande de permission de Madame J., la vice-présidente du service de l’application des peines d’Arras explique, dans une réponse à l’OIP, que « l’expertise sollicitée en janvier 2020 n’a pas encore été réalisée ». En cause, un manque d’experts qui « impacte fortement l’activité du service de l’application des peines ». Elle précise en effet que, si « trois experts acceptent de se rendre habituellement au centre de détention de Bapaume, qui compte 600 condamnés majoritairement à des longues peines, nécessitant quasiment tous des expertises », elle a adressé aux autres experts plusieurs sollicitations mais n’a obtenu « quasiment que des refus ». Elle déplore également qu’outre le fait que les experts sont « en nombre insuffisant sur le ressort », ils « ne réalisent pas les missions des juges de l’application des peines en priorité, et rendent leurs rapports dans des délais très importants ». Et conclut : « Cette situation est mentionnée dans chaque rapport annuel d’activités, et connue de la Cour d’appel » d’Arras.
Ce dysfonctionnement dans la réalisation des expertises n’est pas nouveau au centre de détention de Bapaume. En décembre 2011, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) constatait déjà après sa visite de l’établissement qu’il était « fait état de délais excessifs et de leur qualité parfois médiocre ». Ainsi, « dix personnes détenues étaient en attente de retour d’expertise, sept datant de plus de cinq mois et trois de plus d’un an ».
Mais la pénurie d’experts va au-delà et touche l’ensemble du territoire français. « Les situations où un avis psychiatrique est demandé se sont multipliées », alors que parallèlement « le nombre des experts inscrits sur les listes de cour d’appel a considérablement chuté », relevait déjà en 2016 le président de l’association nationale des psychiatres experts judiciaires. Un désintérêt pour la pratique de l’expertise qui s’explique par un cadre fiscal, des modes de rémunération et des conditions matérielles d’exercice en détention peu attractifs : « locaux inadéquats, manque de confidentialité, horaires inadaptés, perte de temps liée à des retards dans la présentation des détenus, et difficultés à utiliser des outils informatiques »[1]. Des problématiques connues de longue date mais auxquelles il n’est pas proposé de solution. En attendant, les personnes détenues restent enfermées.
par François Bès
[1] USM – Le nouveau pouvoir judiciaire N°414 – mars 2016