Prononcées lors du jugement ou à l’issue de la peine, les mesures de sûreté ne viennent plus sanctionner des faits commis mais se basent sur une supposée dangerosité. Toujours plus nombreuses, elles semblent pourtant insuffisantes aux yeux du législateur, qui a tenté en août 2020 d’adopter une nouvelle loi. Un empilement de dispositions qui brosse le tableau d’une fin de peine qui n’en est plus vraiment une.
Depuis vingt ans, les mesures de contrôle et de surveillance qui peuvent s’imposer au condamné après sa sortie de prison se sont multipliées : suivi socio-judiciaire, surveillance judiciaire, surveillance électronique mobile… Elles ont en commun de permettre de soumettre une personne à des interdictions et obligations non pas sur le temps de sa peine, mais après que celle-ci a été purgée. Un cap est franchi en 2008 avec l’adoption de la surveillance et de la rétention de sûreté. En autorisant l’imposition par la justice pénale, de manière potentiellement illimitée, d’un enfermement ou de mesures restrictives de liberté non plus sur le fondement de la culpabilité mais sur la présomption d’une infraction future, ces mesures sont venues profondément bouleverser l’équilibre du droit et le principe selon lequel seule une infraction peut justifier une sanction. Prévues initialement pour les auteurs d’infractions sexuelles, elles ont vu progressivement leur champ s’élargir à un nombre croissant de crimes. Sans satisfaire le législateur qui, à partir de 2015, est venu y superposer des dispositifs spécifiques au terrorisme, « donnant l’impression que le seul fait que ces personnes puissent sortir de prison pose problème », comme le souligne Anne-Sophie Wallach, du Syndicat de la magistrature.
Des mesures toujours plus nombreuses
En 2015 est tout d’abord créé le Fijait : fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes. Y sont inscrites, pour une durée de dix ans (cinq pour les mineurs), les personnes condamnées pour des faits de terrorisme. Elles doivent alors justifier de leur domicile tous les trois mois et déclarer tout changement d’adresse ou déplacement transfrontalier dans les quinze jours. En juin 2016, une loi antiterroriste rajoute la possibilité pour le juge d’assortir toute condamnation pour terrorisme(1) de la peine complémentaire de suivi socio-judiciaire. Dans ce cadre peuvent notamment être prononcées une injonction de soins, l’interdiction d’exercer certaines professions ou de fréquenter certains lieux ou personnes : des mesures restrictives de liberté qui, à la différence du suivi post-peine ou de la surveillance judiciaire, interviennent à l’issue de la peine et non plus sur le temps de cette dernière.
En 2017, la loi SILT renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme est venue ajouter une nouvelle mesure à cet empilement législatif, par le biais des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (Micas). Différentes obligations (non cumulables) peuvent alors être prononcées par l’autorité administrative à l’issue de la peine : soit l’assignation à résidence et l’obligation de « pointage » auprès des forces de sécurité ; soit l’interdiction de paraître dans certains lieux et le signalement des déplacements à l’extérieur d’un périmètre défini. À l’une ou l’autre de ces mesures peuvent en outre s’ajouter l’interdiction d’entrer en relation avec une ou plusieurs personnes et l’obligation de déclarer son domicile. Fortement attentatoires à la liberté d’aller et venir – et rendant la réinsertion extrêmement compliquée –, ces mesures sont renouvelées tous les trois mois, sur une durée d’un an maximum. Des éléments nouveaux ou complémentaires doivent venir justifier ce renouvellement : un critère parfois difficile à satisfaire, comme le souligne un rapport du Sénat(2). Entre le 1er novembre 2017 et fin 2019, 40 % des mesures prononcées ont duré six mois, et 14 % ont atteint la limite maximale des douze mois fixé par la loi(3).
Le moindre manquement à ces obligations peut entraîner une réincarcération immédiate – alors même que ces mesures sont prononcées sans prendre en compte la personnalité des personnes visées. Une indifférence qui dessine peu à peu une peine qui n’en finit pas. Cela a par exemple coûté cher au client de Me Bendavid. « Cela faisait dix ans que mon client était en prison. Et à sa sortie, on lui explique qu’il est encore en prison d’une certaine manière, puisqu’il doit aller pointer deux fois par jour au commissariat et qu’il ne peut pas sortir de chez lui. Mais à sa sortie, mon client ne pensait qu’au crack et aux filles ! Il a tenu trois jours, et il est parti à la Chapelle. » Un écart qu’il paiera au prix fort : repéré et déféré en comparution immédiate, il est condamné à plusieurs mois de prison ferme. « Il est ressorti avec une nouvelle mesure de surveillance : il l’a respectée un peu plus longtemps, mais l’a de nouveau violé ensuite, d’où une nouvelle comparution immédiate… C’est un exemple de dégât collatéral de la mesure administrative : ils ont pourri la réinsertion de quelqu’un », se désole l’avocat.
Un ensemble insuffisant aux yeux du législateur
Mais pour le législateur, qui souhaiterait pouvoir étendre sans fin le filet pénal, ces mesures ne suffisent pas : le suivi socio-judiciaire n’est pas applicable aux personnes condamnées avant 2016 et les Micas sont limitées à un an. De plus, en supprimant la possibilité pour les personnes condamnées dans une affaire de terrorisme de bénéficier des crédits de réduction de peine, la loi de 2016 est venue empêcher la possibilité de mettre en place une surveillance judiciaire ou un suivi post-peine sur le temps de ces réductions de peine. Aussi, le parlement a récemment adopté une proposition de loi définissant des mesures de sûreté particulières en matière terroriste. « Les parlementaires souhaitaient mettre en place un régime plus sévère que les mesures administratives (Micas), sans toutefois en faire une peine, afin de permettre sa rétroactivité », explique ainsi Pierre Januel dans la revue Dalloz(4). Une proposition de loi qui, portée par la présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale, prévoyait ainsi la possibilité de cumuler différentes obligations et interdictions, comme par exemple l’obligation d’établir sa résidence dans un lieu donné, d’obtenir une autorisation pour changer d’emploi ou encore de pointer trois fois par semaine au commissariat(5), et ce pour une période pouvant se prolonger jusqu’à dix ans, les mesures pouvant être renouvelées d’une année sur l’autre sans qu’aucun élément nouveau venant étayer la dangerosité ne soit exigé. Une opération lourdement sanctionnée par le Conseil constitutionnel, qui, dans une décision du 7 août 2020, a invalidé le dispositif. Prenant acte du phénomène d’inflation législative en matière de mesures de sûreté et de contrôle, le Conseil a aussi relevé qu’il n’était « pas exigé que la personne ait pu, pendant l’exécution de cette peine, bénéficier de mesures de nature à favoriser sa réinsertion », semblant faire de telles mesures un préalable obligatoire au prononcé d’une mesure de sûreté. Une prise de position salutaire alors que les aménagements de peine, de même que l’accès au travail ou à la formation professionnelle en détention, sont rarement accordés aux personnes condamnées pour terrorisme (lire ici).
par Charline Becker
(1) À l’exception des délits d’apologie du terrorisme, d’entrave au blocage de sites faisant l’apologie du terrorisme et de consultation habituelle de tels sites.
(2) La loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme : deux ans après – bilan et propositions, Rapport d’information de la commission des lois du Sénat, 26 février 2020.
(3) Ibid.
(4) « Terroristes sortant de prison : une censure et un nouveau texte ? », P. Januel, Dalloz, 31 août 2020.
(5) Le projet de loi prévoyait de plus les mesures suivantes : obligation de demander une autorisation pour changer de domicile ou pour tout déplacement à l’étranger, interdiction de fréquenter certains lieux ou personnes, obligation de prise en charge éducative, sociale, sanitaire, psychologique, si besoin dans un établissement déterminé et, avec l’accord de l’intéressé, le placement sous bracelet électronique mobile.