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Le droit d’expression est un droit fondamental

La doctrine du Conseil de l’Europe reconnaît le droit d’expression comme un droit fondamental, y compris pour les personnes détenues. Il encourage à ce titre le développement de canaux d’expression individuelle et collective dans les prisons. Il en va d’une conception du « bon ordre » fondée sur le dialogue et la compréhension plutôt que sur des rapports de force. Précisions avec André Vallotton.

André Vallotton est président du Conseil de coopération pénologique du Conseil de l’Europe

De manière générale, les instances du Conseil de l’Europe reconnaissent-elles le droit d’expression comme un droit fondamental des personnes détenues ? Dans quelles limites ?

Pour le Conseil de l’Europe, les droits d’une personne peuvent être restreints uniquement si une raison particulière et spécifique l’impose. Il peut s’agir de questions de sécurité, de bon ordre, de traitement pénitentiaire, du déroulement de l’enquête… Hormis ces situations, la personne conserve les droits qu’elle avait à l’extérieur, sauf indication contraire particulière prévue dans une loi. Tous les pays ne se positionnent pas au même niveau à cet égard, certains problèmes restent à régler, par exemple le droit de vote en Angleterre. Il n’empêche que la position européenne est très claire, et s’applique évidemment au droit à l’expression.

Il n’y a pas de raison d’interdire a priori à un détenu de s’exprimer dans les médias, dans le respect des règles normales de l’information.

Que recommande le Conseil de l’Europe en matière de consultation et de participation des détenus aux décisions relatives à leurs conditions de détention ? Les règles pénitentiaires européennes abordent l’expression collective des personnes détenues dans la partie consacrée au « bon ordre ». Pourquoi ?

En 2004, lorsque le travail préparatoire à la refonte des règles pénitentiaires européennes (RPE) a démarré, nous avons proposé d’en inclure une sur la participation des détenus aux décisions. Mais le moment n’était pas encore venu, des divergences très marquées nous ont empêchés de retenir une formulation plus claire que celle figurant finalement dans la règle 50 : « Les détenus doivent être autorisés à discuter de questions relatives à leurs conditions générales de détention et doivent être encouragés à communiquer avec les autorités pénitentiaires à ce sujet. » La France, par exemple, a montré une assez forte opposition sur ce point, estimant qu’il revenait à l’autorité publique de détenir le pouvoir dans tous les domaines de la gestion de l’établissement. Toutefois, lors de la 16e conférence des directeurs d’administration pénitentiaire en 2010, la délégation française a présenté l’expérience pilote qu’elle a menée avec la mise en place de représentants des détenus. Il est intéressant pour nous de constater une évolution dans l’attitude de certains pays, passés d’une opposition pure et dure à une expérimentation quelques années plus tard. Peut-être pourrons-nous ajouter des articles plus détaillés dans une prochaine révision des règles.

Même si ce n’est pas encore formalisé, on peut dire que la doctrine, la pensée du Conseil de l’Europe, encourage ce type de consultation. Ces pratiques existent depuis des décennies dans certains pays, et ont fait leurs preuves. elles ont également prouvé qu’elles contribuaient clairement au bon ordre. Norman Bishop, ancien directeur de l’administration pénitentiaire suédoise, expert auprès du Conseil de l’Europe, a introduit et développé la notion de « sécurité dynamique ». La sécurité ne tient pas seulement dans les mesures de contrôle, de fouille, d’observation ou la multiplication des obstacles, elle est essentiellement garantie par la qualité relationnelle de la vie dans l’établissement, et par le respect mutuel entre les personnes. Si les gens se respectent, qu’une certaine qualité de vie est assurée, les incidents seront bien moins nombreux et plus faciles à gérer. Un surveillant ayant de bonnes relations avec les détenus dans une situation normale pourra, en cas d’incident, intervenir seul, désamorcer l’agressivité, faire baisser la tension simplement par la discussion et résoudre la grosse majorité des problèmes. Dans cette perspective, la question de la consultation et de la participation des détenus à la vie de l’établissement trouve sa place dans le chapitre sur le bon ordre. La sécurité consiste plus à apprendre à écouter l’autre, à établir une bonne relation avec lui et à régler les problèmes de personne à personne que de s’observer comme chiens et chats.

Quels sont les pays qui ont mis en place des systèmes de « comités de détenus » ? Quel est l’intérêt de ce type de dispositifs ?

Les comités de détenus sont des pratiques extrêmement courantes en Europe, notamment dans certains pays nordiques, en Allemagne ou en suisse. dans les établissements que j’ai eus sous ma responsabilité, il y a déjà vingt ans, les directeurs se réunissaient une fois par mois avec les délégués de la population pénale, élus par leurs collègues, pour aborder les problèmes de l’établissement.

Ces comités permettent une bien meilleure communication, ils évitent ou minimisent le risque d’une opposition entre la direction et les détenus. Ils offrent la possibilité d’écouter un certain nombre de leurs demandes, qui peuvent être très légitimes. Vous évitez très fréquemment des réactions de violence ou des pressions en anticipant les problèmes et en les réglant avant qu’ils ne s’aggravent. Ces dispositifs ne sont pas si faciles à mettre en place, en particulier dans les grands établissements, où peuvent jouer des antagonismes entre personnes détenues, difficiles à maîtriser. Il faut veiller à ce que les délégués soient véritablement des représentants démocratiques, et non ceux d’un contre-pouvoir. Ces systèmes doivent être vraiment participatifs : si les réunions servent à se procurer un avantage, puis un autre et encore un autre pour simplement obtenir des prestations supplémentaires, le but n’est pas atteint. Il s’agit davantage de parvenir à une participation et à une discussion communes sur un certain nombre de problèmes.

Concernant les possibilités de communication avec l’extérieur, il est par exemple interdit en France à un détenu de s’exprimer dans les médias sur ses conditions de détention. Que recommande le Conseil de l’Europe à ce sujet ?

La doctrine générale du Conseil de l’Europe s’applique: les droits ne peuvent être limités que pour des motifs valables. Le droit de restreindre une possibilité de contact pour une bonne raison ne sera jamais contesté, à condition qu’une situation spécifique le justifie. Il n’y a donc pas de raison d’interdire a priori à un détenu de s’exprimer dans les médias, dans le respect des règles normales de l’information.

Propos recueillis par Barbara Liaras


« A chaque étage, il y a un représentant des détenus »

« [en] Allemagne […], le principe de la participation des détenus à la vie de la détention est une règle fédérale que l’autonomie des Länder ne peut remettre en cause. Ainsi, à la prison de Düsseldorf (un des plus gros établissements du pays: 18 000 détenus en Rhénanie-Westphalie), le livret d’accueil remis à toute personne qui se fait écrouer à l’établissement comporte-t-il en page 19 le paragraphe intitulé : « Comité de représentation des détenus ». On y lit : « A chaque étage, il y a un représentant des détenus. Ceci est indiqué sur la porte de sa cellule. Il représente les intérêts des détenus auprès de la direction. »

L’Espagne […] a inscrit dans la loi l’élection des comités de détenus, conçus comme organe de stimulation et de développement des ressources personnelles, en réglementant les modes de consultation, l’organisation des comités et les moyens de communication avec la direction qui « garde la main » puisqu’elle peut suspendre toute consultation en cas de perturbation interne. L’administration pénitentiaire française a pu prendre connaissance d’une expérience originale dans l’application de régimes pénitentiaires dans les établissements espagnols, en particulier à Madrid : « le module respect ou de Cohabitation », qui est un programme caractérisé par la marge d’autonomie conférée à des catégories de détenus, responsables d’unités de vie spatialement délimitées dans l’enceinte carcérale et régies par des règles de comportement démocratiques et codifiées. »

Le droit d’expression collective des personnes détenues, rapport de Cécile Brunet-Ludet, Direction de l’administration pénitentiaire, février 2010.