Alors que plus de la moitié de la population du département est mineure et en grande difficulté, l’Aide sociale à l’enfance et la Protection judiciaire de la jeunesse mahoraises souffrent depuis de nombreuses années d’une indigence de moyens. Si la situation tend à s’améliorer, de nombreux besoins restent encore insatisfaits.
Pauvreté, chômage massif, déscolarisation : Mayotte cumule les difficultés. Dans ce département d’Outre-mer, la délinquance – une « délinquance de survie »(1) pour l’essentiel – est aussi essentiellement juvénile : en 2017, plus de 80 % des mis en cause étaient mineurs(2). Pour la commission des lois de l’Assemblée nationale(3), cela s’explique par un encadrement familial « trop souvent défaillant » et des structures d’aide à l’enfance « insuffisantes sinon inexistantes ».
Contrairement aux idées reçues, la délinquance ne touche pas que les mineurs étrangers non accompagnés. Elle concerne toutes les classes de la population dont la situation sociale est fortement dégradée, que les jeunes soient français, étrangers ou « ni-ni » (enfant nés à Mayotte, ni régularisables, ni expulsables). « Une des figures dominantes des mineurs suivis par la Protection judiciaire de la jeunesse est ainsi un enfant né à Mayotte de mère étrangère et de père français », précise le sociologue Nicolas Roinsard(4).
La prison ou l’exil
Au regard des besoins, Aide sociale à l’enfance (ASE) et Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) manquent cruellement de moyens depuis de nombreuses années. Si bien que la réponse judiciaire était jusque tout récemment plus coercitive que préventive, avec « soit le transfert vers le centre éducatif fermé (CEF) ou le centre éducatif renforcé (CER) de la Réunion (à 1 500 km), soit l’incarcération »(5). Jusqu’à la fin de l’année 2018, l’occupation du quartier mineurs de la maison d’arrêt de Majicavo était perpétuellement « au maximum voire au-delà de sa capacité », déplorait la commission des lois de l’Assemblée nationale, qui dénombrait le jour de sa visite, en septembre 2018, trentequatre mineurs incarcérés pour trente places théoriques. Mais cette capacité théorique cache une autre exception mahoraise : le quartier mineurs de Majicavo ne comprend en réalité que vingt cellules, dont six, d’une superficie de 13 m2, hébergent chacune deux mineurs, alors que ces derniers devraient bénéficier d’une cellule individuelle. Depuis le début de l’année 2019, le nombre de mineurs incarcérés a baissé, passant à une vingtaine en janvier, puis à dix-sept au 1er juillet. Effet de l’arrivée de moyens alloués à la prise en charge sociale et éducative ?
L’État français a en effet récemment déclaré vouloir combler le décalage avec la métropole avec un schéma départemental « Enfance et famille » signé en 2017. Le 2 juillet 2019, un centre éducatif renforcé de huit places, composé de quelques conteneurs en tôle aménagés en chambres, a été inauguré(6). Dans cette structure d’hébergement destinée à l’accueil des mineurs multirécidivistes « en grande difficulté ou en voie de marginalisation ayant derrière eux un passé institutionnel lourd »(7), la prise en charge repose sur une rupture temporaire entre le mineur et son milieu d’origine et sur un programme d’activités intensif(8). Autre mesure à venir : le doublement des capacités d’accueil de l’unité éducative d’hébergement diversifié de la PJJ. En 2017, 850 jeunes étaient pris en charge par la PJJ. Des chiffres en hausse, selon la directrice territoriale de Mayotte. Malgré ces efforts, les moyens humains de la PJJ s’avèrent encore sous-dimensionnés, avec soixante agents seulement en 2018 (contre quarante en 2015)(9). Quant aux moyens dévolus à l’ASE, si la Cour des comptes salue le recrutement d’assistants familiaux depuis 2018, elle déplore l’écart qui demeure « entre les besoins et la prise en charge effective » : « En février 2019, le nombre de places agréées est de 391 pour 590 enfants placés, provoquant une surpopulation dans les familles d’accueil. »
par François Bès
(1) Nicolas Roinsard, Plein droit, Gisti, mars 2019.
(2) Ibid.
(3) Assemblée nationale, Commission des lois, Rapport d’information en conclusion d’une mission à Mayotte, septembre 2018.
(4) Nicolas Roinsard, op. cit.
(5) Ibid.
(6) France TV La 1ère, 2 juillet 2019.
(7) Sénat, Rapport d’information fait au nom de la mission sur la réinsertion des mineurs enfermés, septembre 2018.
(8) Le séjour de « rupture » de quatre mois se décompose en trois phases : une première axée sur des activités sportives (kayak, randonnée, bivouac), une seconde sur « la construction d’un projet d’avenir personnalisé », et la troisième consacrée à des stages professionnalisants.
(9) Nicolas Roinsard, op. cit.