Contacts réduits au strict minimum et inquiétudes lancinantes : au temps du coronavirus, les liens entre les détenus et leurs proches ont été mis à mal par les mesures liées au confinement. Si le ministère a annoncé une reprise "progressive" des parloirs à partir du 11 mai, l'incertitude domine et laisse craindre que la situation ne persiste encore quelques semaines.
« Les visites vont pouvoir reprendre dans les Ehpad, savez-vous ce qu’il en est pour les parloirs ? » « Est-ce qu’après les annonces de Macron, les parloirs vont être à nouveau autorisés ? La tension monte de plus en plus chez les détenus, ils n’en peuvent plus de n’avoir plus d’activités et de parloirs à cause du Covid. »[1] Depuis un mois, c’était la question revenant quotidiennement dans les emails et les appels reçus à l’OIP. Le 30 avril, la direction de l’administration pénitentiaire a esquissé un début de réponse en annonçant la reprise « progressive » des visites à partir du 11 mai. Au départ réservée aux personnes détenues touchées par le Covid-19 ou présentant des symptômes suspects, la suspension des parloirs, salons familiaux et unités de vie familiale (UVF) avait en effet été généralisée le 18 mars. En écho à l’annonce du président de la République, la ministre de la Justice Nicole Belloubet présentait alors la mesure comme nécessaire à la création d’un « cordon sanitaire » autour des prisons : les parloirs seraient momentanément sacrifiés pour limiter les contagions à l’intérieur. Parfois apprise par surprise à la télévision ou en cour de promenade, cette mesure a eu l’effet d’une déflagration, déclenchant dans une quarantaine de prisons des mouvements de protestation immédiatement réprimés par l’administration pénitentiaire. « Il était évident qu’en supprimant les parloirs, des révoltes allaient exploser, souligne un ancien prisonnier au micro de l’émission de radio l’Actualité des luttes. Ça a toujours été comme ça. […] Le téléphone, ce n’est pas un lien social comme les parloirs. » Pour les personnes détenues, les visites, c’est la bouffée d’air qui fait la différence. Un lien essentiel, physique, avec le reste de la société – parfois même le dernier fil qui les relie à l’extérieur.
Des mesures exceptionnelles, mais insuffisantes
Car si pour la majorité des confiné·e·s il est possible d’amoindrir l’isolement avec des appels et des échanges de messages, l’usage des téléphones portables (smartphones ou non) est toujours interdit en prison. Alors dès le 18 mars, quelques établissements ont essayé de trouver des palliatifs aux parloirs pour limiter la montée des tensions : à la maison d’arrêt de La Santé (Paris), on a facilité l’obtention de permis de téléphoner. Dans les maisons d’arrêt de Belfort et de Strasbourg, les proches peuvent envoyer des textes, photos et des dessins à la prison : centralisés par des personnels pénitentiaires, ils sont ensuite imprimés et transmis aux détenus.
Au niveau national, Nicole Belloubet annonçait, le 19 mars, des mesures visant à « compenser l’interdiction des parloirs » par de la « téléphonie ». Depuis fin mars, une boîte vocale créée pour l’occasion permet de laisser des messages audio aux personnes incarcérées (dans la limite de trente minutes d’enregistrement) quand d’ordinaire, les proches doivent attendre leurs appels. Si le système implique, sans surprise, que les messages soient potentiellement écoutés, il présente aussi des avantages, une fois les démarches effectuées[2] : la possibilité de prévenir en cas d’urgence et d’événement familial important, d’échanger avec les personnes indisponibles aux mêmes moments que les créneaux d’accès au téléphone. « Je lui donne des nouvelles chaque fois que j’ai des retours de ses professeurs, explique une visiteuse accompagnant une jeune femme dans la reprise de ses études. Ça lui permet aussi de rester en contact avec ses amis ou sa mère qui travaillent en journée. » Mis à part quelques dysfonctionnements lors de sa mise en place, le dispositif est aujourd’hui globalement apprécié par les usagers – et nombre d’entre eux demandent sa pérennisation.
En outre, chaque personne détenue s’est vue allouer un crédit téléphonique de quarante euros mensuels[3]. Interpellée par l’OIP, la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP) assurait en avril que ce crédit serait renouvelé au mois de mai. Une initiative qui permettrait de maintenir des liens dans certaines familles dans l’impossibilité de financer un nouveau forfait, alors que ce crédit était parfois épuisé dès la mi-avril. La somme de quarante euros a été jugée « insuffisante » par la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) Adeline Hazan, qui plaide pour la « gratuité totale du téléphone » jusqu’à la fin de la crise – une proposition soutenue par l’OIP. « Il ne s’agit pas de faire des économies de bout de chandelle, il s’agit de donner aux détenus la possibilité de garder un lien avec le reste du monde », appuyait la CGLPL[4].
Un accès au téléphone limité et parfois facteurs de risques
Dans certaines prisons, des dysfonctionnements techniques sont venus limiter plus ou moins durablement la portée de ces mesures. « Depuis l’installation il y a un mois, il faut débrancher et rebrancher le téléphone de la cellule pour espérer avoir une tonalité, et en général ça ne fonctionne pas », témoigne un homme détenu à Toul. En mars et en avril, des problèmes ont aussi été signalés à la maison d’arrêt de La Santé, au centre de détention de Roanne et au centre pénitentiaire de La Talaudière.
Du reste, la majorité des personnes détenues ne disposent toujours pas du téléphone en cellule[5]. Et doivent donc se contenter des cabines collectives, installées dans les coursives ou les cours de promenades. Sans surprise, la suppression des parloirs s’est donc traduite par une affluence accrue vers les postes opérationnels (parfois un seul pour toute une cour de promenade[6] ou tout un étage). « Il y a une queue pas possible », décrit une personne incarcérée aux Baumettes. « Le plus souvent, on ne peut se parler que trois minutes, parce qu’il y a du monde qui attend », déplore une compagne de détenue. Un contexte qui ne permet ni intimité, ni confidentialité des conversations.
À l’heure de l’épidémie, l’usage de ces cabines représente surtout un énorme risque sanitaire. « On a une seule cabine téléphonique pour trente détenus, et on ne peut pas la désinfecter alors qu’on passe les uns après les autres », dénonce une personne incarcérée aux Baumettes. À Avignon, « il n’y a pas de mesure d’hygiène : le combiné n’est pas désinfecté après chaque appel, le virus va très vite circuler », s’inquiète un détenu. Alors, pour s’épargner un risque, nombreux sont ceux qui préfèrent se priver d’appels. Une femme dont le compagnon, incarcéré à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, est atteint du VIH, rapporte : « Je suis très inquiète, il est très vulnérable. Sur les conseils de son avocat, il ne sort pas de cellule, c’est trop risqué pour lui. Mais du coup il ne peut pas téléphoner depuis les cabines. »
Depuis la suppression des parloirs, des détenus qui n’avaient jamais utilisé de téléphones portables en prison ont décidé de prendre ce risque. « Il ne va pas à la cabine téléphonique, c’est trop compliqué, mais il y a un téléphone occulte qui circule entre les détenus », explique à l’OIP la conjointe d’un détenu à Nanterre. Ces téléphones permettent de donner des nouvelles à plusieurs familles. Dans les témoignages recueillis par l’OIP, plusieurs proches de détenus expliquent ne réussir à avoir des informations que par ce biais. Pourtant, la détention et l’usage d’un téléphone portable en prison reste une infraction susceptible d’être sanctionnée, y compris pénalement.
En théorie, il reste toujours le courrier. Mais comme d’habitude, la correspondance écrite reste quasi inaccessible aux personnes analphabètes ou aux plus précaires[7], nombreuses en prison. Face à ce constat, l’Association nationale des visiteurs de prison (ANVP) a demandé, le 26 mars, la gratuité des timbres et du matériel de correspondance pour toutes les personnes détenues. Depuis le début du confinement, leurs délais de livraison sont en outre rallongés, comme le reste des produits cantinables. De même, les délais de transmission du courrier sont, comme à l’extérieur, beaucoup plus longs qu’à l’ordinaire. « Je viens de recevoir le courrier qu’il m’a envoyé fin mars », s’agaçait ainsi une mère de détenu le 30 avril.
Sans aucune nouvelle, des proches rongés par l’inquiétude
Depuis la mi-mars, cette multiplication d’obstacles amène, pour certains, à la rupture totale de liens déjà fragiles. « Nous sommes inquiets, sans nouvelles de lui ni par téléphone ni par courrier depuis le dernier parloir, début mars », témoigne, en avril, une compagne de prisonnier. « Je [lui ai] envoyé une carte postale avec mon numéro de téléphone dessus pour qu’il puisse m’appeler, mais je n’ai pas de nouvelles. Comment savoir si la carte est bien arrivée ? Je suis très inquiet », souffle le frère d’un détenu. Des silences qui n’ont fait qu’augmenter la souffrance et l’anxiété de chaque côté des murs – d’autant plus vives quand la personne incarcérée a une santé fragile ou qu’elle a partagé une cellule avec un malade.
Sans nouvelle de leur proche incarcéré, certaines personnes tentent d’en obtenir auprès des établissements. Mais les téléphones sonnent souvent dans le vide, en témoignent les nombreux témoignages reçus par l’OIP. « J’ai appris qu’il y avait plusieurs cas de Covid-19 au centre pénitentiaire, alors depuis plusieurs jours, j’essaye de téléphoner à la prison pour avoir des nouvelles de mon fils. Mais je tombe toujours sur une messagerie qui ne prend aucun message car elle est surchargée. Comment puis-je le contacter ? », s’inquiète ainsi un père. Une inquiétude souvent teintée d’incompréhension quand, à l’intérieur, les mesures de prévention (port de masque et de gants, gestes « barrières ») ont pu tarder à être appliquées par le personnel pénitentiaire faute de matériel – et sont encore observées de manière inégale, alors même que les établissements sont, depuis la fin mars, pourvus en masques et en gants.
Un sentiment d’injustice et des interrogations qui risquent de persister au-delà du 11 mai et la reprise « progressive » des parloirs annoncée. Car, comme dans le reste de la société, les contours du déconfinement restent flous. Les personnes détenues en « zones rouges » auront-elles le droit de recevoir des visites ? Que se passera-t-il pour les personnes qui habitent à plus de 100km de la prison où est incarcéré leur proche ? Si un seul visiteur est autorisé à la fois, quand les enfants pourront-ils voir leur parent incarcéré ? Dans ce contexte d’incertitudes et afin de maintenir le lien, plus de cent cinquante proches de détenues réclament, dans une lettre adressée à la garde des Sceaux, l’accès à des appels en vidéoconférence. Pour, à défaut de se toucher, pouvoir au moins se voir.
Par Sarah Bosquet
La solidarité dedans-dehors renforcée
Pour aider au maintien des liens, plusieurs initiatives associatives ont éclos depuis fin mars. À l’Association nationale des visiteurs de prison (ANVP), des bénévoles ont organisé de nouvelles courroies de transmission de messages : des mails imprimés et transmis par les Services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip). Le système fonctionnerait essentiellement dans les établissements de la région lyonnaise, mais aussi à Longuenesse, Tours, Gradignan et dans certaines prisons d’Île-de-France[8]. L’association Champ libre, qui a dû renoncer à l’animation d’ateliers en prison, a également décidé de se mettre au courrier. Grâce à des accords passés avec les Spip et La Poste, une quarantaine de bénévoles échangent avec des personnes incarcérées dans cinq établissements franciliens (Bois d’Arcy, Nanterre, Poissy, Réau et Versailles). Autre nouveauté : une adresse email[9] créée par l’association Lire pour en sortir afin de collecter des textes de proches. Certains sont lus dans l’émission de télévision « spécial confinement » lancée le 3 avril sur la Chaîne parlementaire (LCP). Plusieurs équipes de radios associatives restent aussi mobilisées pour relayer les témoignages. C’est le cas par exemple de L’Actualité des luttes et de L’Envolée[10], dont l’émission est devenue quotidienne depuis le début de la crise. À signaler aussi, le « répondeur du confinement »[11] lancé par le média indépendant Radio parleur. Avant le confinement déjà, l’émission nantaise le Casse-Murailles[12] proposait sur le même principe « une messagerie à destination des personnes détenues et de leurs proches ». Enfin, depuis le 24 avril, les diverses aumôneries ont mis en place un numéro vert – les aumôniers étant aussi interdits de rentrer en prison depuis le début du confinement.
Plus de parloirs, plus de linge
Avec la suppression des parloirs, c’est aussi la remise de linge propre qui a été interdite aux proches. En guise d’alternative, un « dispositif de lavage gratuit » a été mis en place par la pénitentiaire mais tous les établissements ne le proposent pas. « Depuis la suppression des parloirs, on doit laver et faire sécher notre linge comme on peut, dans la cellule. Est-ce qu’il n’y a pas d’obligation pour l’administration d’assurer le lavage ou l’accès à une lingerie ? À Fresnes, on n’a rien de tout ça », s’interroge un détenu. Aux Baumettes non plus, « il n’y a pas de machine à laver : je fais ma lessive dans la douche, par terre, c’est un carnage pour le linge ». D’autres personnes préfèrent laver leurs vêtements elles-mêmes, par crainte des pertes et des vols. « Certains ne veulent pas laisser leur linge à la blanchisserie parce qu’ils ne récupèrent pas forcément la totalité de leurs affaires. […] Mais la bonne vieille méthode du lavage à la main, pas sûr que ce soit très utile contre le Covid-19 », témoigne la mère d’un détenu. Particulièrement touchées, les personnes détenues qui avaient donné leur linge à laver à des proches avant le confinement. « Le 17 mars, jour de notre dernier parloir, j’ai récupéré tout son linge sale pour le laver. Depuis, les parloirs ont été suspendus et il n’a pas de vêtements de rechange, alors il en emprunte à ses codétenus. Ce n’est pas un indigent mais là, il se sent tout comme », s’attriste la compagne d’un détenu à Nanterre. Si les visites vont reprendre, le dépôt de linge reste pour le moment impossible, signalait l’administration pénitentiaire le 30 avril, promettant une « réévaluation » de la mesure le 2 juin.
[1] Sauf mention contraire, les témoignages sont issus du journal d’appels de l’OIP au temps du coronavirus.
[2] Enregistrer son identité et fournir une facture de téléphone, se procurer l’identifiant de la personne détenue à contacter.
[3] 20€ versés le 23 mars et valables jusqu’au 31 mars, puis 40€ versés le 1er avril.
[4] 20 Minutes, 17 avril 2020.
[5]« À l’heure actuelle, environ 70 établissements [sur 186] sont déjà équipés », a précisé la ministre de la Justice dans une interview à 20 Minutes, (art. cit.).
[6] Comme le signalait, en avril, un détenu au centre pénitentiaire d’Avignon-Le Pontet.
[7] N’ayant pas accès aux kits de correspondance réservés aux indigents.
[8] Bois d’Arcy, Fresnes, Poissy.
[9] confinement@lirepourensortir.org
[10] Tous les jours de 12h30 à 13h30 et tous les vendredis à 19h sur radio Fréquence Paris Plurielle.
[11] Joignable au 01 72 59 77 34.
[12] Sur Jet FM et en direct en ligne.