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Livraison de LBD dans les prisons d’Auvergne-Rhône-Alpes

Depuis la fin de l’année 2020, l’intégralité des prisons de la région pénitentiaire de Lyon sont équipées de lanceurs de balles de défense (LBD). Une décision qui fait grincer des dents jusqu’au sein de l’administration pénitentiaire. D’une plus-value contestable au regard des armes déjà disponibles, ce déploiement illustre surtout la priorité donnée à une approche ultra-sécuritaire. Et vient souligner en creux l’absence de moyens mis sur l’humain et le dialogue.

Armes non létales propulsant des munitions en caoutchouc de calibre 40mm, les lanceurs de balles de défense (LBD) sont régulièrement dénoncés pour les nombreuses blessures et mutilations qu’ils occasionnent, notamment lors des opérations de maintien de l’ordre à l’extérieur. Depuis la fin de l’année 2020, ils sont pourtant en cours de déploiement dans toutes les prisons de la région Auvergne-Rhône-Alpes.

Le projet était dans les tuyaux depuis des années. En 2010 déjà, une note de la direction de l’administration pénitentiaire sobrement intitulée « Déploiement des LBD 40mm au sein des services pénitentiaires » prévoyait l’entrée en jeu de cette « arme à létalité réduite » en prison. En 2012, une circulaire(1) vient encadrer leur utilisation dans les établissements pénitentiaires. Pourtant, les années suivantes, seuls quelques établissements pénitentiaires se dotent de LBD – à l’image de Vannes en 2014. « Le déploiement s’était toujours cassé les dents sur le prix, notamment des cartouches », explique Jean(2), surveillant. L’arrivée de cartouches rechargeables change cependant la donne, et décide Stéphane Scotto, directeur interrégional de Lyon, à déployer le LBD dans sa région pénitentiaire. « Nous étions en pleine crise des Gilets jaunes et les dérives liées à l’utilisation du LBD se multipliaient, se souvient une source pénitentiaire, mais le directeur interrégional de Lyon a insisté pour que les efforts soient portés sur le déploiement de cette arme dans les prisons de la région. » Cette décision prend de cours jusqu’aux surveillants, qui n’ont pas tous favorablement accueilli cette annonce. « Il y a eu un effet de sidération. Mais on fait ce qu’on nous dit de faire », explique Thomas. Le 23 décembre 2019, la direction interrégionale (DI) publie une doctrine d’utilisation. Au cours de l’année 2020, comme l’exige la circulaire, 50% du personnel et 100% de l’encadrement de chaque prison sont formés au maniement de l’arme – qui commence alors à être déployée dans les prisons de la région.

Une pertinence du LBD questionnée par de nombreux surveillants

Dans la doctrine d’utilisation, on apprend que le LBD peut être employé en cas d’incident collectif – « collectif » étant à comprendre comme impliquant deux détenus minimum. Il peut également être utilisé contre une personne seule se trouvant dans les zones dites « neutres » ou « sensibles » des établissements – où les détenus ne sont pas autorisés à se rendre –, ainsi qu’en cas de violences exercées à l’aide d’armes blanches ou d’armes par destination. Enfin, il est précisé que la distance de tir idéal est de trente mètres, et que, sauf en cas de légitime défense ou d’état de nécessité, les tirs à moins de dix mètres sont strictement interdits. Des distances qui prêtent à sourire. « En détention, on est bien plus souvent à moins de dix mètres des détenus qu’à trente », glisse Thomas. La plus-value de cette arme par rapport à l’arsenal existant laisse de nombreux surveillants perplexes. « On a d’autres choses pour le maintien de l’ordre : dispositif de dispersion, Gomm-cogne(3), fusil à pompe, etc. », complète Jean. « Quand il y a un mouvement collectif, les Éris(4) sont là pour ça ! Je ne vois pas l’apport du LBD. On va finir avec des chars d’assaut si on continue comme ça », s’emporte un autre surveillant.

« On va finir avec des chars d’assaut si on continue comme ça », s’emporte un surveillant.

Pour nombre d’observateurs, le déploiement de cette arme est surtout révélateur de la dérive sécuritaire de l’administration pénitentiaire. « Création des Éris, extractions judiciaires avec des agents armés sur la voie publique, remplacement des Élac par les ELSP(5) : les montées en compétences se font clairement sur le secteur de la sécurité », explique un cadre pénitentiaire. Une policiarisation des missions à laquelle est venue s’ajouter, depuis les années 2010, une multiplication des armes pouvant être utilisées en détention (aérosol, matraque, pistolet à impulsion électrique, balle en caoutchouc, armes à feu). Cette évolution n’est pas sans danger : « Plutôt que de remplacer le recours aux armes à feu, ces armes risquent en permanence d’être utilisées dans des situations où, précisément, il est difficile, voire impossible, de se servir d’une arme à feu. Le résultat serait donc bien d’étendre le champ d’utilisation des armes plutôt que de le réduire », expliquait dès 2008 un formateur de l’Énap(6). Les armes à létalité réduite viendraient donc se substituer non pas à l’usage d’armes à feu mais bel et bien aux méthodes de contraintes moins douloureuses. « De manière générale, le problème de ces armes de neutralisation réside dans le fait qu’elles puissent être perçues et utilisées comme une solution de facilité dans des situations difficiles, mais pas forcément dangereuses », poursuit ce même formateur.

Le choix des armes plutôt que celui du dialogue

Surtout, la présence de ces armes risque de perturber les relations sociales au sein de la prison. « Sur les Gilets jaunes, l’impact des LBD a été catastrophique. S’il est utilisé en détention et qu’un détenu est blessé ou mutilé, ça va devenir l’enfer pour nous ! », s’exclame Thomas, pour qui la paix sociale en prison ne saurait dépendre de ces armes. « On a un rôle d’éducateur sur la coursive, c’est le plus intéressant, mais on délaisse tout cet aspect de communication, de gestion de groupe, de désamorçage des conflits pour mettre l’accent sur de nouvelles armes », explique Jean. Dans la DI de Lyon, nombreux sont les agents à citer en exemple le projet du “surveillant-acteur” : un projet qui aurait été « dévoyé », à en croire certains. Cette expérimentation, menée à l’origine au centre pénitentiaire de Varenne-le-Grand, permet à certaines personnes détenues d’avoir un surveillant référent, qui les suit de près, leur fixe des objectifs, en lien étroit avec les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation et les magistrats. Le projet permet également une plus grande autonomie du personnel de surveillance. « On rentre dans quelque chose qui vise à rétablir un rapport de meilleure connaissance entre détenu et surveillant, qui proscrit le besoin d’être le plus fort ou le plus armé. Ça remet de l’humain dans notre métier, ça désamorce les tensions et ça permet de casser la spirale de la violence », explique Thomas. Censé être étendu à toute la DI de Lyon, ce projet ne semble pourtant pas être dans les priorités du directeur interrégional. « Il ne met pas de freins à proprement parler, mais il n’y aucune communication sur le sujet, aucune volonté affichée de pousser dans ce sens », explique Jean.

Vers une généralisation ?

« On voit que notre administration, dans ses mœurs, est inadaptée à ce genre de projet. Il y a une résistance archaïque de l’institution vis-à-vis de ces évolutions. On met beaucoup plus d’énergie pour déployer le LBD et les moyens de sécurité passive que de moyens sur l’humain et la sécurité active(7) », résume un surveillant. C’est cette tendance qu’incarne Stéphane Scotto : « Il a un profil très sécuritaire : c’est un ancien de l’État-major de sécurité (EMS) », souffle un cadre pénitentiaire. Créé en 2003, l’EMS avait, jusqu’à la refonte des différents services pénitentiaires en 2015, pour objectif de concevoir, analyser et évaluer les politiques et dispositifs de sécurité. Pour Matthieu Quinquis, avocat qui s’intéresse à la policiarisation de l’administration pénitentiaire, l’EMS « a surtout témoigné d’une forte technicisation des questions de sécurité et d’une moindre prise en compte des facteurs humains dans la gestion des incidents ». Pour lui, le déploiement du LBD dans la région « n’a rien de surprenant ». « Monsieur Scotto a toujours aimé innover et n’a jamais hésité à se saisir de tous les outils à sa disposition pour engager ses services vers une intervention beaucoup plus sécuritaire, poursuit-il. On sent clairement l’empreinte de l’EMS. » L’histoire récente fait craindre à l’avocat que l’expérience dépasse bientôt les limites de la région pénitentiaire de Lyon. « M. Scotto a déjà, par le passé, fait des postes qu’il a occupés des laboratoires de développement de nouvelles méthodes et de doctrines de l’administration pénitentiaire, qui ont ensuite été généralisées. Il a par exemple organisé le regroupement, dans un quartier dédié, des personnes incarcérées en lien avec le terrorisme islamiste dans la prison de Fresnes, bien avant qu’un cadre légal ne vienne instituer et encadrer cette pratique », rappelle-t-il. Interrogée sur l’éventuel déploiement de LBD dans d’autres DI, la direction de l’administration pénitentiaire a botté en touche.

Par Charline Becker

(1) Circulaire du 12 décembre 2012.
(2) Tous les prénoms ont été modifiés.
(3) Pistolet qui tire des balles en caoutchouc de calibre 6 ou 9mm.
(4) Créées en 2003, les équipes régionales d’intervention et de sécurité (Éris), sorte de GIGN de la pénitentiaire, sont les unités spéciales chargées d’intervenir en cas de tension dans un établissement.
(5) Les Élac, équipes locales d’appui et de contrôle, ont été remplacées en 2020 par les ELSP, équipes locales de sécurité, dotées de moyens de sécurité renforcés.
(6) Olivier Razac, « L’utilisation des armes de neutralisation momentanée en prison. Une enquête auprès des formateurs de l’ENAP », Dossiers thématiques, Centre interdisciplinaire de recherche appliquée au champ pénitentiaire, ENAP, juin 2008
(7) Si la sécurité « passive » mise essentiellement sur les dispositifs matériels et architecturaux (armes, mur d’enceinte, miradors, etc.), la sécurité « active » repose à l’inverse sur la création et le maintien de liens et d’échanges entre les personnes détenues et les surveillants. Elle vise ainsi à mieux comprendre les détenus et évaluer les risques qu’ils peuvent représenter.