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L’unité hospitalière pour détenus de Marseille: un « quartier disciplinaire de luxe »

L’unité hospitalière sécurisée interrégionale de Marseille fait partie des huit UHSI réparties sur le territoire national dont l’objectif est d’accueillir les hospitalisations somatiques de plus de 48 heures de personnes détenues. Si la création des UHSI a permis une amélioration de la qualité des soins apportés en milieu pénitentiaire, les conditions d’hospitalisation restent décriées.

Située au cœur de l’hôpital Nord de la ville, l’unité hospitalière sécurisée interrégionale (UHSI) de Marseille accueille depuis dix ans des personnes détenues principalement issues de la région pénitentiaire PACA-Corse. Elle compte actuellement 27 lits de médecine-chirurgie obstétrique (MCO) et six lits de soins de suite et de réadaptation (SSR) répartis au sein de deux unités. « À l’origine, il devait y avoir 45 lits répartis en trois unités, mais le projet d’ouverture de l’unité 3 n’a jamais pu voir le jour », explique le docteur Christophe Bartoli, chef du service de médecine en milieu pénitentiaire de l’Assistance publique hôpitaux de Marseille (APHM), qui assure, depuis janvier 2011, la responsabilité médicale de l’UHSI. Dix ans après l’ouverture de l’établissement, l’« unité trois » ressemble à un long couloir fantôme, dont deux chambres ont été transformées en salle de rééducation et d’activités. La faute à des difficultés de recrutement, tant du côté de l’APHM que de l’administration pénitentiaire (AP), d’après le Dr Anne Galinier, qui a exercé ici pendant quinze ans avant l’arrivée du Dr Bartoli. Autre élément d’explication : le taux d’occupation des lits. « À l’époque, [il était] largement inférieur au taux d’occupation des hôpitaux. Ouvrir une unité à moitié vide pouvait être considéré comme une forme de gaspillage », relate l’ancienne cheffe de service.

© Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille

Mais aujourd’hui, l’UHSI de Marseille ne désemplit pas ; il a l’un des taux d’occupation les plus élevés des huit UHSI de France. En 2015, il était de 82%, avec un taux de 99,8 % pour les seuls SSR. En novembre 2015, un rapport conjoint des inspections générales des affaires sociales et des affaires juridiques (IGAS-IGSJ) a d’ailleurs constaté « les carences de l’offre en SSR, qui repose sur les deux seuls pôles de l’UHSI de Marseille (pour 12 lits) et de l’EPSN [1] de Fresnes » (pour 64 lits). Le besoin d’ouvrir tout ou partie de cette troisième unité est donc réel. D’autant plus que seuls six des douze lits mentionnés dans ce rapport existent réellement – à cause de la non-ouverture de la troisième unité.

Refus de soin

Ceci-dit, la crainte de sous-occupation n’est pas totalement infondée, les UHSI étant particulièrement confrontées à la problématique du refus de soin par les détenus eux-mêmes. « Beaucoup d’entre eux arrivaient et repartaient directement, parce qu’ils n’avaient pas bien compris qu’ils ne pouvaient pas fumer », se souvient le Dr Anne Galinier. Le rapport d’activité 2015 de l’UHSI indique ainsi que 24 % (154) des admissions programmées sont annulées. Dans six cas sur dix, l’annulation est due à un refus du patient, un motif qui arrive loin devant les problèmes de places (16 %) et les problèmes d’escorte (3 %). Le rapport indique également qu’en 2015, quarante patients sont partis prématurément de l’UHSI, dont dix le jour de leur arrivée.

Pour l’IGAS-IGSJ, « cette réticence  chronique des personnes détenues à se rendre à l’UHSI [s’explique par] la rupture des habitudes de la vie en détention, l’impossibilité d’y fumer, l’absence quasi-générale d’espace de promenade ou de déambulation à l’air libre entraînant pour les personnes détenues des conditions de détention plus difficiles qu’en établissement pénitentiaire ». Pour pallier à l’absence d’espace de déambulation extérieur, certains patients ont tout de même la possibilité de « prendre l’air» dans le couloir, sur signalement médical. Ils sont alors accompagnés du kiné ou du personnel soignant – par exemple pour de la rééducation ou pour des motifs psychologiques.

Sans mettre un pied dehors pendant un an

Enfermés 24 heures sur 24 dans leur chambre, les patients-détenus n’en sortent que pour un éventuel examen médical sur un plateau technique du CHU de Marseille. Car ni espace de déambulation, ni possibilité de participer à des activités n’ont été envisagés au moment de la création des UHSI. Les patients-détenus admis pour une hospitalisation de longue durée peuvent passer des mois sans sortir à l’air libre.

Raphaël C. [2] a ainsi passé plus de six mois à l’UHSI de Marseille entre 2015 et 2016 pour le traitement d’une maladie grave, diagnostiquée alors qu’il était incarcéré à la prison des Baumettes. Il explique être resté « sans mettre un pied à l’extérieur » pendant l’année entière et avoir respiré l’air libre seulement « depuis [sa] fenêtre grillagée ». Les fenêtres sont en effet équipées de barreaux et de caillebotis obstruant considérablement la visibilité extérieure. Sans poignées, elles ne peuvent être ouvertes que sur l’accord d’un surveillant pénitentiaire. « L’UHSI, ça reste bien pour trois ou quatre jours parce que ça vous change de la prison et l’équipe médicale est au top, mais quand c’est pour un long séjour, ça devient oppressant. À la fin, pour moi c’était l’enfer », résume Raphaël C., qui se rappelle avoir supplié l’équipe médicale de le laisser repartir aux Baumettes à la fin de son hospitalisation. « Mais c’était impossible en raison de [son] traitement », termine-t-il.

Cette impossibilité d’avoir accès à un espace de déambulation extérieur, caractéristique de tous les UHSI hormis celui de Rennes, entre pourtant en contradiction avec la législation française, qui prévoit que « toute personne détenue doit pouvoir effectuer chaque jour une promenade d’au moins une heure à l’air libre ». Le Conseil de l’Europe recommande, lui, que « tous les détenus [doivent] (…) passer chaque jour hors de leur cellule autant de temps que nécessaire pour assurer un niveau suffisant de contacts humains et sociaux » [3].

Ces règles ne semblent pas avoir été prises en compte par le ministère de la Justice. En effet, le cahier des charges prévoyant l’aménagement des UHSI indique que « quel que soit l’emplacement choisi, il n’est pas prévu de cour de promenade spécifique pour les besoins de l’unité » [4]. Un cahier des charges en décalage complet avec la réalité : à Marseille, le séjour le plus long était de 243 jours en 2015, le record étant de 21 mois depuis l’ouverture de l’UHSI, « sans que le patient n’ait pu sortir », précisent des membres du personnel soignant. La nécessité d’un espace de déambulation extérieur avec possibilité de fumer est d’autant plus importante quand on sait que 80 % des personnes incarcérées fument quotidiennement (contre 30 % de la population extérieure [5]).

Ces conditions d’hospitalisation ont ainsi conduit José M., lourdement handicapé, à interrompre les soins qui lui étaient prodigués. Ne pouvant fumer, ce dernier a préféré retourner vivre dans la cellule surpeuplée de la maison d’arrêt qu’il venait de quitter. Conscient de cette lacune, le ministère de la Justice avait déjà demandé à l’hôpital de mettre en place une cour de promenade au sein de l’UHSI. Plusieurs années ont passé depuis cette recommandation et le projet semble aujourd’hui enterré.

Manque d’informations et violations du secret médical

Autre cause de refus des soins à l’UHSI de Marseille : le manque ou le défaut total d’information des personnes détenues sur leur hospitalisation future (toujours d’après le rapport d’activité 2015). Un constat déjà dressé en 2009 par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL). « Beaucoup sont très en colère à leur arrivée à l’UHSI, parce qu’il arrive souvent qu’on les prévienne à la dernière minute, qu’ils n’aient pas le temps de préparer leurs affaires », raconte un soignant. « Il est déjà arrivé que des personnes se retrouvent pendant plusieurs semaines à porter les mêmes vêtements que le jour de leur admission. » S’il précise que le chef de service de l’UHSI a demandé à plusieurs reprises à ce que les personnes détenues soient informées d’une éventuelle extraction et des conditions d’hospitalisation, « la communication ne doit pas passer », regrette-t-il.

Dans une réponse adressée au CGLPL, le ministère de la Justice assumait en 2009 fermement sa position sécuritaire : « Les patients détenus ne peuvent être informés à l’avance de leur admission à l’hôpital pour des raisons de sécurité et de prévention des évasions ». Mais le rapport IGAS-IGSJ, qui note l’impossibilité de communiquer aux personnes détenues la date précise de leur extraction, propose en 2015 un entre-deux : les « modalités [d’une extraction] et le délai approximatif de sa réalisation pourraient, dans certains cas, être explicités ».

Si les patients-détenus ont du mal à être informés, les informations relatives à leur santé et à leur intimité semblent en revanche circuler facilement.

Si les patients-détenus ont du mal à être informés, les informations relatives à leur santé et à leur intimité semblent en revanche circuler facilement. À l’UHSI, tout le monde semble d’accord pour dire qu’en milieu carcéral, le secret médical ne peut être préservé à cent pour cent. À son ouverture, les portes étaient maintenues entrouvertes et le surveillant restait posté devant, si bien qu’« on n’était jamais dans le secret », se rappelle un soignant. De manière générale, pour un membre de l’équipe soignante, « son respect absolu est une utopie », et c’est pendant les extractions de personnes détenues pour les consultations spécialisées que les violations du secret médical sont les plus fréquentes. Il est en effet facile pour les escortes de déduire la pathologie de la personne détenue en fonction de l’endroit où celle-ci doit être accompagnée…

De surcroît, les modalités de ces extractions sont décriées tant par les organismes de contrôle et d’inspection que par le personnel soignant. Dans son rapport de visite de 2009, le CGLPL rappelle ainsi qu’une circulaire de 2004 prévoit les différents dispositifs de sécurité applicables aux personnes détenues, en fonction du niveau de surveillance qui leur est attribué. Le niveau 1 permet une consultation « hors la présence du personnel pénitentiaire avec ou sans moyen de contrainte », le niveau 2 « sous la surveillance constante du personnel pénitentiaire mais sans moyen de contrainte » et le niveau 3 « sous la surveillance constante (…) avec moyen de contrainte ». Dans son rapport, le contrôleur constate pourtant que « le niveau 3 est systématiquement retenu et qu’il convient de négocier régulièrement avec l’administration pénitentiaire pour abaisser le niveau ». Cette situation n’aurait que très peu évolué depuis 2009.

Une application trop stricte de méthodes sécuritaires

Jamais extraits à pied, les patients-détenus sont systématiquement assis sur un fauteuil roulant ou allongés sur un brancard. Raphaël C. raconte qu’à chaque extraction, « on vous menotte, on vous attache les pieds et je crois même qu’on vous attache aussi le bras au fauteuil ». La personne peut toutefois être recouverte d’un drap afin de dissimuler au public les entraves et menottes. Ils sont ensuite accompagnés par deux surveillants pénitentiaires et un ou deux aides-soignants jusqu’à la salle d’examen ou au bloc opératoire. Raphaël C. rapporte ainsi que les surveillants qui l’ont escorté le jour de son opération y auraient assisté – « c’est eux qui me l’ont dit », précise-t-il. Pour un membre du personnel soignant, « ce n’est pas étonnant. Des surveillants nous ont déjà raconté, impressionnés, avoir été présents lors d’opérations chirurgicales, ce qui n’est pas normal », regrette-t-il, tout en rappelant l’existence de protocoles encadrant strictement les extractions. Quant aux consultations ou examens médicaux en dehors de l’UHSI, Raphaël C. rapporte que « les surveillants sont soit postés à l’extérieur, soit à l’intérieur à côté de la porte ». Et qu’on lui laisse la plupart du temps des entraves aux pieds. « [Il est] déjà arrivé que le médecin demande aux surveillants de sortir et ils l’ont fait, mais on s’était bien pris la tête », se souvient-il.

© CGLPL Un détenu à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis

Mais tous les médecins n’osent pas demander aux surveillants de sortir ou de désentraver un détenu. « Dans la représentation des gens, quelqu’un qui est détenu et qui arrive entravé, menotté, ça fait peur », explique un soignant, « et si en plus de ça, un surveillant, armé et en uniforme vous dit avec une voix autoritaire que la personne est dangereuse, vous le croyez », poursuit le Dr Galinier. « Dans ce cas-là, le surveillant véhicule souvent de mauvaises informations », ajoute l’ancienne cheffede service, qui affirme n’avoir jamais été agressée physiquement en vingt ans.

Les risques d’évasion dans ces circonstances sont par ailleurs minimes. En 2012, sur près de 40 000 extractions médicales réalisées sur le territoire national, seules six évasions sont à déplorer, soit 0,015 cas sur 100 [6]. Quand on sait qu’une grande majorité des personnes détenues est classée en escorte 1, le recours au tout sécuritaire pose d’autant plus question. Le dernier rapport IGAS-IGSJ recommande une clarification « de l’ensemble de la réglementation applicable aux conditions de sécurité des escortes médicales et [de poser] le principe selon lequel un détenu classé en escorte 1 ne doit pas avoir de moyen de contrainte » – ce qui n’est toujours pas le cas aujourd’hui puisque le respect de ce principe n’est pas érigé en obligation.

Pour tenter d’expliquer l’emploi de ces méthodes sécuritaires, un soignant de l’UHSI distingue « les surveillants qui savent qu’ils sont à l’hôpital et ceux qui s’imaginent qu’ils sont en détention et qui ont donc la rigidité de l’enfermement ». Raphaël C. va plus loin. Si le comportement de la majorité d’entre eux lui a paru « plutôt correct », qualifiant même certains de « bons, droits et justes », il estime qu’une poignée de surveillants étaient « arrogants voire méchants » avec les patients-détenus. Ce point de vue se retrouve chez toutes les personnes interrogées à ce sujet. Les membres du personnel parlent ainsi de quelques surveillants qui n’hésitent pas à provoquer, insulter ou humilier des patients-détenus. L’anecdote ayant le plus marqué les esprits est celle d’une surveillante qui aurait passé un morceau de pain sous ses aisselles avant de le remettre sur le plateau repas d’un patient-détenu. Plusieurs membres de l’équipe médicale affirment ne pas comprendre pourquoi ces quelques surveillants ont toujours le droit d’exercer en milieu hospitalier, « surtout [quand] cette surveillante n’en est pas à sa première fois », confie l’un d’eux.

Des améliorations en cours

Depuis l’ouverture de l’UHSI, quelques évolutions positives ont cependant pu être constatées, essentiellement grâce à la vigilance de l’équipe médicale et à l’assouplissement de certaines règles par l’administration pénitentiaire. Ainsi, des soignants parlent d’une « petite salle de détente » aménagée dans une chambre de l’unité 3 inutilisée. À l’origine, cette pièce n’était accessible que le dimanche aux personnes en SSR. Elle est aujourd’hui ouverte à tous les patients-détenus (hormis les personnes ayant un niveau d’escorte 3 et les contre-indications médicales), deux fois par jour, pour des groupes de maximum six personnes, sur des créneaux d’une heure. Beaucoup de patients-détenus s’y rendent désormais pour fumer. « Comme il n’y a aucun autre moyen de le faire, il y a une forme de tolérance qui s’est installée », confie un membre du personnel. Une tolérance limité car, d’un autre côté, les chambres sont régulièrement fouillées afin, notamment, de saisir des paquets cigarettes introduits illégalement.

Outre l’ouverture de cette salle, l’administration pénitentiaire a accepté de lâcher un peu de lest en matière de sécurité, notamment pour renforcer le respect du secret médical. La porte de la chambre peut désormais être fermée pendant les soins pour garantir une meilleure confidentialité. Autres progrès, l’oculus présent sur la porte des chambres qui peut aujourd’hui être fermé, en cas de soins intimes par exemple, ou le retrait des noms des patients sur les portes. « Ils peuvent avoir la totalité de leurs affaires dans leur chambre [avant 2016 ils ne pouvaient garder que l’équivalent de cinq jours d’hospitalisation] et ils bénéficient d’une cantine un petit peu plus élargie qu’auparavant », se félicite par ailleurs un membre du personnel. Maigres avancées qui ne font pas oublier les nombreuses atteintes aux libertés et droits fondamentaux des détenus. Si bien que pour certains, cités par un précédent rapport IGAS-IGSJ, les UHSI s’apparentent à des « quartiers disciplinaires de luxe » (12).

 

[1] Établissement public de santé nationale de Fresnes, situé sur le domaine pénitentiaire de la prison disposant de 24 lits de SSR et 40 lits de médecine physique et de réadaptation.

[2] Pour préserver leur anonymat, les noms des anciens patients-détenus ont été modifiés.

[3] Règle pénitentiaire européenne n°25-2.

[4] Art. 1 de l’annexe à l’arrêté du 24 août 2000 relatif à la création des UHSI.

[5] Le tabagisme passif en prison : définir une politique factuelle de santé, Patrick d’Almeda Launey, juin 2016.

[6] Données DAPEMS juillet 2015 et OSSD, in rapport IGAS-IGSJ op.cit.