Choix de la mesure pénale, évaluation des risques et des besoins, programmes et méthodes de suivi... A chaque moment du parcours d’une personne condamnée, les décisions prises peuvent être guidées par un critère d’efficacité sur la prévention de la récidive et la réinsertion. La France ne développe néanmoins aucune étude établissant « ce qui marche » et ignore superbement les résultats issus de 40 ans de recherche internationale. Conséquence : des lois contre-productives, des contresens sur l’évaluation des risques et des pratiques professionnelles artisanales.
Si la France se distingue d’autres pays occidentaux en matière de prévention de la récidive, c’est par le manque de recherche, la pauvreté des connaissances et donc la quasi-absence de repères rationnels pour guider tant les politiques pénales que les pratiques professionnelles. «Nous travaillons en aveugles », peut-on souvent entendre auprès des juges de l’application des peines (JAP) et des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP).
Pénurie de recherche
Les données connues en France sont le taux de condamnés pour délits en « réitération » (28,4 % en 2009), ainsi que le taux de condamnés pour crime en « récidive légale » (4,6 %, soit 126 personnes)1. Plusieurs études ont été menées sur les taux de « re condamnation » dans les cinq ans suivant la sortie de prison. La dernière en date, conduite à partir d’une cohorte de 8 419 détenus libérés en 2002, aboutit à un taux moyen de re condamnation de 59 %2. Ce taux est plus important pour les auteurs de petits délits (74 % pour les auteurs de vol simple, 32 % pour les auteurs d’homicide, 19 % pour les auteurs de viol sur mineur). Il est plus faible lorsque les personnes ont bénéficié d’une libération conditionnelle (39 %) ou d’une peine alternative (45 %) qu’en cas d’aménagement de peine sous écrou (surveillance électronique, placement extérieur, semi-liberté : 55 %) ou de libération en fin de peine sans aménagement (63 %). La France ne dispose pas de données plus précises sur les facteurs de réitération d’un acte délinquant, alors que la recherche internationale a dégagé à grande échelle toute une série de facteurs de risque tenant au passé pénal, au parcours personnel, à l’âge, aux facteurs sociaux (absence d’emploi, échec scolaire, manque de loisirs…), à l’environnement (lieu de vie, relations dans le milieu délinquant, difficultés dans la vie de couple ou de famille…), aux traits de personnalité et à des facteurs cliniques (addiction, distorsions cognitives, estime de soi…). Seuls ces résultats permettent pourtant d’élaborer de véritables outils d’évaluation, afin de mesurer une probabilité de risque de récidive, mais aussi d’indiquer les facteurs sur lesquels cibler l’accompagnement pour réduire ces risques.
Evaluations hasardeuses
En l’absence d’outils fondés sur une recherche solide, les évaluations de la « dangerosité » à la française empruntent non seulement à un concept douteux, mais sont aussi dénuées de fondement scientifique. Les méthodes cliniques (qui sont celles utilisées par les psychiatres en France) ont été désignées à maintes reprises par la recherche internationale comme « inefficaces non seulement à évaluer les risques de récidive, mais aussi à orienter la réponse pénale ou l’accompagnement », comme le souligne la juriste Martine Herzog-Evans. Les chercheurs qualifient l’évaluation clinique « d’informelle, subjective et impressionniste ». Ils lui reprochent de « manquer de spécificité dans la définition des critères utilisés » : les critères ne sont pas spécialement adaptés aux auteurs d’infractions pénales. En outre, les cliniciens « fonderaient leurs jugements sur des corrélations illusoires » et ne « tiendraient pas compte, à tort, des informations relatives à la situation et au milieu de vie3 ». Alors que des facteurs tels que l’absence d’emploi, le manque de loisirs et l’influence de « pairs » inscrits dans la délinquance apparaissent comme déterminants, ils sont largement passés sous silence dans les évaluations des psychiatres. C’est ainsi que des décisions telles qu’un placement en rétention de sûreté ou un refus d’aménagement de peine peuvent être prises sur des fondements fantaisistes au regard des données acquises par la recherche internationale sur la récidive, le tout dans une perspective de neutralisation ne connaissant plus beaucoup de limites en France. A titre d’exemple, l’absence de reconnaissance des faits ou d’empathie pour la victime constituent des critères dominants dans les pratiques françaises, alors qu’ils ne constituent pas des facteurs déterminants du risque de récidive4.
Les évaluations de la « dangerosité » à la française empruntent non seulement à un concept douteux, mais sont aussi dénuées de fondement scientifique. Les chercheurs qualifient l’évaluation clinique « d’informelle, subjective et impressionniste ».
Méthodes de suivi artisanales
Du côté des CPIP, une évaluation est également réalisée en début de suivi, ce qui correspond davantage à une réalité en milieu ouvert qu’en milieu fermé. Alors qu’ils ne disposaient jusqu’alors d’aucun outil commun, les conseillers se voient aujourd’hui imposer un « diagnostic à visée criminologique » aucunement élaboré sur la base des résultats de la recherche. Il présente l’inconvénient de limiter l’évaluation au remplissage d’une grille, sans l’avantage de fournir au professionnel un quelconque résultat, permettant de l’aiguiller sur l’intensité nécessaire du suivi et sur les axes de travail à privilégier avec la personne. Les méthodes d’accompagnement restent également empiriques: les CPIP sont peu formés aux techniques d’entretien (notamment « motivationnelles »), ne disposent pas de véritables programmes dont l’efficacité sur la récidive et la réinsertion aurait été prouvée, même si des groupes de parole intitulés « programmes de prévention de la récidive » sont à présent développés… Leurs conditions de travail ne permettent pas un accompagnement approfondi, qui nécessiterait de limiter le nombre de probationnaires à 25-40 par agent, alors que ce ratio se situe le plus souvent dans une fourchette de 80-150 aujourd’hui. Les CPIP « manquent de temps pour diversifier leurs sources d’information, sont de plus en plus dissuadés d’effectuer des visites à domicile, qui peuvent être déterminantes pour comprendre la situation du probationnaire. Ils manquent de formation leur donnant les repères théoriques nécessaires à l’analyse des problématiques des personnes. Rien ne vient guider leur posture professionnelle, quand les Règles européennes relatives à la probation vantent les mérites de la co-construction de l’évaluation [et du suivi] avec le probationnaire5 » Les professionnels français manquent de tout, ce qui n’empêche pas certains de développer des pratiques certes artisanales, mais individualisées et permettant d’allier travail social et approche criminologique, ce qui a pu être négligé par les anglo-saxons dans le cadre des programmes cognitivo-comportementaux.
La science au service de quel système pénal ?
Les données issues des recherches du « what works ? » permettent d’identifier ce qui marche le mieux, pour qui et à quelles conditions, en termes de réponse pénale et méthodes d’accompagnement des auteurs d’infraction. Elles démontrent en premier lieu la contre-productivité de l’emprisonnement et des mesures de simple surveillance : « Rien ne semble favoriser le recours à des mesures punitives ou répressives pour décourager les comportements criminels. La surveillance intensive et l’incarcération ne permettent pas de réduire la récidive. Les programmes sévères sont peu susceptibles de modifier les comportements criminels des délinquants à risque moyen ou élevé, à moins qu’ils ne prévoient la prestation de programmes de traitement », indique James Bonta, l’un des chefs de le du « what works ? »6. Une méta-analyse de 2002, réalisée sur la base de 111 études (représentant un échantillon de plus de 442 000 délinquants) conclut également que « les sanctions pénales plus rigoureuses n’ont pas d’effet dissuasif sur la récidive », et que, « contrairement aux sanctions communautaires, l’incarcération est liée à une augmentation de la récidive ». Les chercheurs en déduisent, à l’attention du Solliciteur général du Canada, que « l’inefficacité des stratégies punitives pour réduire la récidive confirme la nécessité d’axer les ressources vers des méthodes différentes appuyées par des preuves. Les programmes de réadaptation fondés sur les recherches offrent une bonne solution de rechange en ce qui a trait à la diminution du taux de récidive7 ». Une perspective de réhabilitation qui permettrait d’utiliser nombre d’outils d’évaluation, de programmes cognitivo-comportementaux, mais aussi de nouvelles méthodes plus humanistes telles le « Good Lives Model », sans que de tels outils ne viennent être dévoyés dans un pur objectif de classification des personnes et de neutralisation de celles considérées comme les plus « à risque ». « On peut faire le pire et le meilleur avec n’importe quel outil. Tout dépend de la culture et du système juridique dans lesquels il s’inscrit », rappelle Martine Herzog-Evans.
Sarah Dindo
1. Annuaire statistique de la Justice, édition 2011-2012.
2. A. Kensey, A. Benaouda, « Les risques de récidive de sortants de prison. Une nouvelle évaluation », Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques, n° 36, mai 2011.
3. D. Giovannangelli, JP. Cornet, C. Mormont, Etude comparative dans les 15 pays de l’Union européenne : les méthodes et les techniques d’évaluation de la dangerosité et du risque de récidive des personnes présumées ou avérées délinquants sexuels, Université de Liège, sept. 2000.
4. R. K. Hanson et K.E. Morton-Bougon, « The characteristics of persistent sexual offenders : A meta-analysis of recidivism studies », Journal of Consulting and Clinical Psychology, n° 73, 2005.