Les parlementaires viennent d’adopter une loi qui crée une voie de recours contre des conditions de détention indignes. Un mécanisme qui pourrait s’avérer vain si des réponses ne sont pas apportées aux facteurs structurels à l’origine de cette indignité, à commencer par le surpeuplement des prisons. Pourtant, la déflation carcérale n’est toujours pas au menu des réformes envisagées. Et l’annonce de la suppression des crédits de réductions de peine ne peut qu’inquiéter.
Le 30 mars a été adoptée définitivement par le Parlement la proposition de loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention. Un texte qui porte bien mal son nom. Car plutôt que de garantir la dignité, il se contente d’ouvrir une voie de recours pour les personnes détenues dans des conditions qui viendraient y porter atteinte. « Le texte se situe donc dans le registre de la réparation » et non de la prévention, a justement souligné lors de la discussion en séance la députée socialiste Cécile Untermaier, pour laquelle « ce n’est pas glorieux ! ».
Un tout petit pas donc, que le législateur n’a consenti à faire que sous la contrainte. Dans une décision du 2 octobre dernier, le Conseil constitutionnel, constatant qu’« aucun recours devant le juge judiciaire ne permet [à un prévenu] d’obtenir qu’il soit mis fin aux atteintes à sa dignité résultant des conditions de sa détention provisoire » avait en effet donné jusqu’au 1er mars aux autorités pour remédier au silence de la loi. Ce faisant, les sages prenaient acte de la décision de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) du 30 janvier 2020, par laquelle elle avait condamné la France pour l’indignité de ses conditions de détention et l’absence de voie de recours pour y mettre un terme.
Au 1er mars cependant, la réforme attendue n’avait pas eu lieu, signe du peu d’empressement du gouvernement à se mettre en conformité avec les exigences constitutionnelles et conventionnelles. Il avait certes tenté, en décembre 2020, de profiter des discussions relatives au projet de loi sur le Parquet européen pour créer la voie de recours demandée, mais l’amendement avait dû être retiré faute de lien avec le sujet traité par le projet de loi. C’est finalement le président de la Commission des lois du Sénat, François-Noël Buffet, qui s’est emparé in extremis de l’injonction du Conseil Constitutionnel en reprenant, sous la forme d’une proposition de loi, l’amendement formulé par le ministère de la Justice. La suite s’est faite au pas de charge, le gouvernement engageant dès lors la procédure accélérée sur le texte. Et c’est finalement dans un hémicycle presque vide, à l’issue d’un débat expéditif et malmené, que la proposition de loi a été adoptée. Les quelques députés présents ont bien essayé d’introduire des amendements visant à l’améliorer – y compris dans les rangs de la majorité – mais la plupart ont été rejetés faute d’être soutenus par le garde des Sceaux et la rapporteure du texte à l’Assemblée nationale, la député LREM Caroline Abadie.
Une voie de recours insatisfaisante
Le dispositif mis en place prévoit qu’une personne qui allègue être détenue dans des conditions indignes puisse saisir le juge pour demander qu’il soit mis fin à sa situation. Après un premier filtre de recevabilité, celui-ci recueille les observations de l’administration pénitentiaire et peut procéder à des vérifications. S’il considère que les allégations sont justifiées, il demande à l’administration d’y remédier dans un délai pouvant aller jusqu’à un mois. Si, à l’issue de ce délai, la situation reste attentatoire à la dignité, le juge peut alors ordonner le changement d’établissement du requérant ou organiser sa remise en liberté – le cas échéant sous surveillance électronique –, ou un aménagement de peine s’il s’agit d’un condamné et qu’il y est éligible.
S’il représente une avancée en termes de droit, ce mécanisme reste malheureusement très largement insatisfaisant, voire dysfonctionnel. D’abord parce qu’il donne un pouvoir disproportionné à l’administration pénitentiaire, à la fois juge et partie dans le processus. C’est en effet à elle qu’il revient de faire des observations sur les conditions dans lesquelles elle détient le requérant, et c’est encore à elle qu’il revient de trouver des solutions s’il est établi que ces conditions portent atteinte à la dignité. Un paradoxe que souligne la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, selon laquelle « l’administration se trouve en situation d’évaluer la compatibilité [des conditions de détention] avec la dignité de la personne détenue alors qu’elle s’est délibérément abstenue de les améliorer auparavant ». Le juge, s’il peut faire des vérifications complémentaires, ne peut lui dicter les mesures à prendre. Quant au détenu, dans cette première phase, il a des devoirs mais peu de droits : c’est à lui qu’il revient d’apporter des éléments suffisamment probants sur l’indignité de ses conditions de détention, malgré le dénuement que lui imposent ces mêmes conditions. Il ne peut pas contester les mesures prises par l’administration pour y remédier et le texte reste flou quant à sa possibilité de contester l’appréciation qu’en fait le juge.
Surtout, le mécanisme mis en place par le législateur repose essentiellement sur une réponse : le transfert vers un autre établissement pénitentiaire. Une mesure potentiellement lourde de conséquences pour la personne détenue, puisqu’elle peut mettre à mal le maintien de ses liens familiaux, un éventuel parcours de soin mais aussi les efforts qu’elle pourrait avoir engagés en termes de réinsertion (si elle suit une formation, travaille ou prépare un projet d’aménagement de peine dans son établissement de départ). Le texte prévoit seulement la possibilité que les personnes condamnées – et pas les prévenues – puissent s’opposer à un transfèrement qui porterait une atteinte excessive au droit au respect de leur vie privée et familiale. Plusieurs amendements parlementaires avaient proposé d’encadrer cette mesure de davantage de protections, mais tous ont été retoqués. Dont celui introduit par la présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, qui demandait que l’administration pénitentiaire apporte la garantie que les conditions d’accueil dans le nouvel établissement soient conformes au respect de la dignité. Les arguments exprimés pour justifier son rejet laissent songeurs : « Demander à l’administration pénitentiaire de démontrer, avant le transfèrement, que les nouvelles conditions seront dignes (…) ne me semble pas s’inscrire correctement dans le dispositif prévu », a ainsi expliqué Mme Abadie. C’est une drôle de conception d’un mécanisme censé garantir le droit au respect de la dignité. Quant au garde des Sceaux, il a jugé que la précaution n’était pas nécessaire dans la mesure où l’ « on peut aussi faire confiance à l’administration pénitentiaire pour ne pas transférer les détenus d’indignité en indignité ». Naïveté ou mauvaise foi ?
Enfin, ce dispositif comporte un autre écueil : en donnant la priorité au transfèrement, il ne règle pas le problème à l’origine de la procédure, à savoir l’indignité des conditions de détention dans l’établissement de départ. Si le ministre de la Justice considère, là aussi assez naïvement, qu’« on ne peut pas sérieusement imaginer que la cellule qui n’offre pas des conditions dignes soit à nouveau occupée une fois que le détenu ayant déposé le recours aura été transféré ailleurs », c’est méconnaître la réalité carcérale et les contraintes de gestion des flux dans des établissements surpeuplés. Comme le note, dans une lettre ouverte adressée aux députés, le président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme – qui n’a pas été consultée sur le projet de texte – « le transfert des détenus ne résoudra pas un problème qui affecte toutes les maisons d’arrêt ». Car, relève-t-il aussi, « ces conditions de détentions indignes sont en grande partie la conséquence d’un problème de nature structurelle : la surpopulation carcérale ».
Résorber la surpopulation : une exigence restée sans réponse
Et sur ce front-là, il y a toutes les raisons de s’inquiéter. C’était pourtant la principale injonction de la CEDH qui, en même temps qu’elle demandait la mise en place d’une voie de recours contre des conditions indignes, exigeait que la France prenne des mesures générales afin de garantir la conformité des conditions de détention avec la dignité humaine et permettre « la résorption définitive de la surpopulation carcérale ». On en est loin : au 1er février 2021, les prisons françaises enfermaient 5 000 personnes de plus qu’au 1er juillet 2020. Si, au printemps dernier, le pays avait connu une baisse exceptionnelle du nombre de détenus à la faveur des mesures prises pour lutter contre la propagation du virus en détention, rien ne semble désormais pouvoir arrêter la machine folle de l’enfermement.
On aurait espéré qu’il en soit autrement. Le 3 juin dernier, plus de mille personnalités et acteurs du monde carcéral signaient une lettre ouverte à Emmanuel Macron pour en finir avec la surpopulation carcérale. « La crise que nous traversons amène chacun à faire la preuve de sa capacité à se réinventer : nous demandons que, dans le domaine des prisons comme dans tant d’autres, les enseignements soient tirés. Qu’à la gestion de l’urgence succède une véritable politique de déflation carcérale à même de garantir l’encellulement individuel et des conditions de détention dignes et de favoriser la prise en charge en milieu libre de ceux qui peuvent ou doivent l’être », écrivaient les signataires. De nombreuses pistes étaient alors avancées pour trouver des solutions, que ce soit à court terme – loi d’amnistie, numerus clausus – ou à long terme, avec notamment une révision en profondeur de l’échelle des peines et de la place de la prison dans cette échelle. On aurait pu attendre du gouvernement qu’il s’en empare, toutes les conditions étaient réunies : une unanimité des professionnels pour réduire la pression sur les prisons, l’injonction des instances internationales à prendre des mesures structurelles, un taux de détention tombé à un niveau que la France n’avait pas connu depuis vingt ans, et un ministre qui se disait résolument engagé pour redonner sa dignité à la prison – Éric Dupond-Moretti figurait même parmi les premiers signataires de la Lettre ouverte au président de la République, publiée quelques semaines seulement avant sa prise de fonction.
Un rendez-vous manqué
Mais comme en amour, la politique a ses raisons que la raison ignore. Alors que le garde des Sceaux vient d’annoncer son « projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire », qu’il espère faire adopter avant l’été, force est de constater que la lutte contre la surpopulation carcérale n’est pas au menu. Il semblerait que le gouvernement n’en voie pas la nécessité… Ainsi, au député la France insoumise Ugo Bernalicis qui avait proposé au vote du parlement un amendement pour réclamer du gouvernement un rapport sur l’instauration d’un mécanisme de régulation carcérale contraignant(1), le ministre répondait : « Mais ce mécanisme est en marche depuis le lendemain de mon arrivée au ministère ! », avant d’égrener une série de mesures sans rapport avec le dispositif suggéré – et de toute évidence inefficaces. Et, avec un grand mépris non seulement pour un membre de la représentation nationale mais pour tous ceux qui, de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté en passant par des syndicats de magistrats et de directeurs de prison, réclament la mise en place d’un tel mécanisme, il sermonnait : « Et vous me demandez l’instauration d’une espèce de mécanisme de régulation carcérale, laissant penser que nous n’y avons pas réfléchi et que nous n’avons rien fait ! C’est extraordinaire ! C’est du bla-bla-bla ! Je le dis : il y a ceux qui agissent et ceux qui parlent – moi, je veux agir ! ».
En guise d’action, la mesure phare du projet de loi gouvernemental en matière d’exécution des peines concerne… la suppression les crédits de réduction de peine (CRP). Calculés en fonction de la durée de la condamnation, les CRP sont en principe octroyés à tous les condamnés, et ne peuvent être retirés – partiellement ou totalement – qu’en cas de mauvaise conduite pendant l’exécution de leur peine. Si ce dispositif est critiquable à bien des égards, il est dans les faits peu contesté. C’est, pour l’administration pénitentiaire, un outil de gestion de l’ordre en détention en même temps qu’un instrument de régulation de la population carcérale : insatisfaisant certes, mais rendu nécessaire par la surpopulation endémique des prisons et par un allongement continu de la longueur des peines ces vingt dernières années.
Cette réforme n’était demandée par personne mais « le garde des Sceaux y tient beaucoup », souffle-t-on au ministère. Pour le ministre, il ne s’agit pas tant de supprimer ces réductions de peine que de revenir sur leur automaticité afin qu’elles viennent a posteriori récompenser un bon comportement. Il entend donc fonder son nouveau système « sur les efforts que le détenu fournira pour sa réinsertion : le travail, la formation, les soins… ». Une logique qui se veut « de bon sens » mais qui relève plutôt du non-sens quand on connaît l’indigence des moyens alloués à la réinsertion des détenus. Lorsqu’on sait qu’à peine plus d’un quart de la population carcérale a accès à un travail, faute d’offre. Qu’une personne sur quatre peut accéder à un enseignement (lire page 18), et moins d’une sur six à une formation professionnelle, toujours faute d’offre et de moyens. Et qu’il faut bien souvent de longs mois pour obtenir une consultation avec un psychiatre ou un psychologue. Outre qu’elle est en total décalage avec les réalités carcérales, cette mesure va par ailleurs – et bien que le ministre s’en défende – inévitablement et mécaniquement alourdir la charge de travail de juges de l’application déjà débordés, et risque fortement d’allonger les peines et donc d’accroître le problème de la surpopulation carcérale.
Dans ce tableau bien noir, une annonce est porteuse d’espoir : la création d’un « contrat d’emploi pénitentiaire » qui viendrait améliorer les conditions de travail des détenus (voir encadré). Elle est sans rapport avec la surpopulation carcérale mais pourrait néanmoins contribuer à améliorer le respect de la dignité. C’était une promesse du candidat Macron, réaffirmée lors de son discours devant l’École nationale d’administration pénitentiaire (Enap), en mars 2018. Constatant qu’« on ne peut pas demander à des détenus de respecter la société, de pouvoir se réinsérer en elle » si « on nie (leur) dignité et (leurs) droits », le président avait alors assuré que « le lien qui unit l’administration pénitentiaire et le détenu travaillant en son sein » ne devait plus être « un acte unilatéral avec la négation de tous les droits », mais « un lien contractuel avec des garanties qui s’y attachent ». Espérons que la réponse proposée sera à la hauteur de ce sévère constat et que nous n’aurons pas, dans ce domaine aussi, à regretter une occasion manquée.
par Cécile Marcel
Travail en prison : ce qu’il faut changer
Actuellement, les personnes détenues qui travaillent – environ une sur quatre – n’ont pas de contrat de travail et sont donc exclues du bénéfice de la législation sociale de droit commun. Elles ne peuvent prétendre au Smic, à des congés payés, à l’assurance chômage ou au versement d’indemnités en cas de chômage technique, d’arrêt maladie ou d’accident du travail. Pas plus qu’elles ne peuvent se prévaloir des règles encadrant les procédures de licenciement. Il n’y a par ailleurs en prison pas de droit d’action ou de représentation collective : les détenus ne peuvent pas faire grève, ni se constituer en syndicat ou participer à un comité social et économique. Enfin, la médecine du travail n’intervient pas en détention et l’inspection du travail y voit son rôle limité essentiellement à du conseil en matière de sécurité.
C’est l’ensemble de ce dispositif qu’il faut aujourd’hui repenser. Il faut bien sûr prévoir que la relation de travail soit régie par un contrat qui ouvre l’ensemble des droits sociaux afférant à la condition de travailleur afin que les protections soient les mêmes pour tous de part et d’autre des murs. Il faut également revoir les conditions de travail en prison que ce soit en matière d’embauche, de rémunération, de durée du travail, de santé et de sécurité. Il faut encore que les personnes détenues puissent s’exprimer collectivement sur ces conditions. Enfin et surtout, il faut revoir la conception du travail en prison. Aujourd’hui, les détenus sont, en atelier, essentiellement affectés à des petits travaux de manufacture (emballage, conditionnement, pliage), peu qualifiants et éloignés du marché de l’emploi. Au-delà du statut des travailleurs, il est donc essentiel de repenser l’offre pour qu’elle s’inscrive dans un parcours de réinsertion, l’articuler avec la formation professionnelle, favoriser l’insertion par l’activité économique, etc. Ce chantier est immense mais absolument nécessaire pour contribuer à donner un sens et un contenu au temps de détention.
(1) Dispositif qui prévoirait « un mécanisme de sortie dès lors que le nombre de personnes détenues dépasserait un nombre de places maximal dans un établissement pénitentiaire » précise l’amendement.