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Projet de loi « Confiance dans la justice » : derrière une réforme timide, des logiques dangereuses

En matière de détention, le projet de loi pour la confiance en la justice propose des mesures peu ambitieuses au vu des enjeux, voire contradictoires. Surtout, entre multiplication de dispositions discriminatoires et renforcement des logiques disciplinaires, il tisse en toile de fond une vision de l’exécution des peines qui ne peut qu’inquiéter.

Il s’agit d’une réforme « qui flatte davantage l’opinion qu’elle ne règle les problèmes, nombreux, de la prison », s’exclamait le 20 mai dernier Cécile Untermaier, députée socialiste, à propos du projet de loi « pour la confiance dans l’institution judicaire » défendu par le gouvernement. Le texte, adopté à l’Assemblée nationale le 25 mai, sera examiné au Sénat en septembre prochain. Et c’est en effet peu dire que ses dispositions relatives à la prison et à l’exécution des peines ne sont pas à la hauteur de la situation. De véritables réformes étaient pourtant nécessaires pour rompre avec la surpopulation carcérale, condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme en janvier 2020(1) et, plus récemment, par le Comité européen pour la prévention de la torture. Le projet de loi se contente au contraire de multiplier des mesures éparses, peu ambitieuses et parfois antinomiques, sans vision politique globale.

Une tentative timorée de limiter la détention provisoire Environ 30 % des détenus, soit près de 20 000 personnes, sont aujourd’hui incarcérés dans l’attente de leur jugement et donc présumés innocents. Il y a là un véritable levier à activer pour rompre avec l’inflation carcérale. La large présence de prévenus derrière les barreaux est en particulier due à l’allongement du temps passé en détention provisoire( 2). « Pour éviter que celle-ci ne s’inscrive dans la durée quand une alternative est possible », le ministère entend, en matière correctionnelle, « favoriser le recours à l’assignation à résidence sous surveillance électronique »(3). Mais les dispositions prises ne permettent pas d’espérer d’évolution notable.

Les premières sont essentiellement incitatives : avant la date de la seconde prolongation de la détention, le juge doit saisir les services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip) pour que soit réalisée une « étude de faisabilité » en vue d’un éventuel recours à l’Arse. En réalité, cette obligation existe déjà lors du prononcé initial et à chacune des prolongations de la détention provisoire (tous les quatre mois)(4), mais le juge peut s’en défaire à condition de motiver sa décision. Il ne pourra désormais plus le faire au-delà de huit mois. Mais qu’on ne s’y trompe pas : l’avis émis dans le cadre de l’étude de faisabilité n’étant que consultatif, le juge pourra toujours refuser de mettre fin à la détention. Si le projet de loi conditionne désormais ce refus à une « impossibilité liée à la personnalité ou à la situation matérielle de la personne », cette formulation imprécise permet potentiellement de couvrir tous les critères autorisant le recours initial à la détention provisoire. Ce qui est présenté comme une exception pourra donc, en pratique, devenir la règle selon la libre appréciation du juge, à ceci près qu’il devra motiver sa décision. En outre, ces obligations de saisine et de motivation concerneront uniquement les personnes qui encourent des peines de moins de cinq ans de prison. Au 1er janvier 2021, elles étaient moins d’une vingtaine à être emprisonnées depuis plus de huit mois(5). Autant dire que les effets seront plus que limités.

Autre disposition introduite par le texte : pour les peines encourues de moins de dix ans, si un juge prolonge la détention provisoire ou rejette une demande de mise en liberté au-delà de huit mois, il devra motiver « le caractère insuffisant » du bracelet anti-rapprochement(6) et de l’Arse mobile(7). Ces mesures, qui permettent une géolocalisation continue, concernent les auteurs de violences conjugales ou d’infractions passibles d’une peine complémentaire de suivi socio-judiciaire(8) – notamment les infractions à caractère sexuel. Le texte étend ainsi timidement une obligation qui existe déjà vis-à-vis de l’Arse et du contrôle judiciaire dès le prononcé de la détention puis tous les quatre mois. Mais le flou persistant qui entoure le « caractère insuffisant » des alternatives rend la décision très facile à motiver. Sans incitation politique ni changement de pratique volontaire de la part des magistrats, aucune de ces dispositions ne permettra donc de diminuer le nombre de prévenus en détention ni, a fortiori, de rétablir la règle selon laquelle la liberté est le principe et sa privation l’exception. Surtout, en se concentrant sur la deuxième prolongation, elles ne s’attaquent pas à un pan pourtant essentiel du problème : la masse des placements initiaux en détention provisoire. Les chiffres sont pourtant vertigineux : environ sept personnes sur dix sont emprisonnées avant d’avoir été jugées(9).

Libération sous contrainte… et sous surveillance

Le projet de loi prévoit par ailleurs de développer le recours à la libération sous contrainte (LSC) pour les courtes peines de prison. Non conditionné à l’existence d’un « projet de sortie », ce dispositif permet d’exécuter le reliquat de la peine sous la forme d’un placement à l’extérieur, d’une semi-liberté ou d’une détention à domicile sous surveillance électronique. Aujourd’hui applicable – sauf impossibilité de mise en oeuvre – aux peines de moins de cinq ans, à compter des deux-tiers de leur exécution, elle sera en outre « de plein droit » pour les personnes condamnées à une peine de moins de deux ans, lorsque le reliquat à exécuter est inférieur à trois mois.

Pour le gouvernement, systématiser ce dispositif permettrait de « favoriser la réinsertion en limitant les sorties dites sèches »(10). L’objectif est certes louable, mais la courte durée de la LSC (trois mois), combinée à la sous-dotation chronique des moyens accordés aux Spip, rend en réalité impossible tout véritable accompagnement. L’étude d’impact prévoit d’ailleurs que les LSC seront majoritairement exécutées via la surveillance électronique, qui permettrait d’« apporter des garanties sécuritaires »(11) – une option qui repose davantage sur le contrôle que sur l’accompagnement vers la réinsertion. Autre effet attendu de cette réforme, formulé à demi-mot : éviter les très courtes peines de prison, « désocialisantes et n’ayant aucun impact favorable au titre de la récidive, au profit d’alternatives à l’incarcération ». Au premier rang figurent les peines inférieures ou égales à trois mois, qui se confondent avec le reliquat rendant la LSC de plein droit. La réforme de la LSC devrait au total permettre de diminuer la population carcérale. L’étude d’impact estime à 6 000 le nombre de personnes détenues qui pourraient en bénéficier. En prévoyant une LSC quasi-automatique, le gouvernement met en place un mécanisme de régulation carcérale qui ne dit pas son nom, et qui semble s’inscrire dans une logique similaire à celle des libérations anticipées créées dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire( 12). Là encore, la démarche mériterait d’être saluée si, dans le même temps, le projet de loi ne s’inscrivait pas à rebours de cette tendance en supprimant les crédits de réduction de peine (CRP), précisément en raison de leur automaticité.

Un pas en avant, deux en arrière

Les réductions de peine, qui permettent à un détenu condamné d’être libéré avant la date desa fin de peine, sont actuellement de deux types. Les CRP sont d’emblée décomptés de la peine d’emprisonnement : trois mois la première année, puis deux mois par année(13). Octroyés automatiquement, ils peuvent néanmoins être retirés en tout ou en partie par le juge de l’application des peines en cas de mauvaise conduite du condamné. Aux CRP peuvent s’ajouter les réductions supplémentaires de peine, accordées à hauteur maximale de trois mois par année d’incarcération lorsque le condamné manifeste « des efforts sérieux de réadaptation sociale ». La réforme prévoit d’uniformiser le régime des réductions de peine : elles seront réservées, après avis de la commission de l’application des peines, aux condamnés « qui ont donné des preuves suffisantes de bonne conduite et qui ont manifesté des efforts sérieux de réinsertion », à hauteur de six mois par année d’incarcération( 14).

Outre qu’une telle réforme ne répond à aucune demande des professionnels de la justice, ses conséquences seront préjudiciables aux objectifs que le gouvernement prétend poursuivre. D’abord en ce qu’elle favorisera les sorties sèches pour les courtes peines. En effet, le prononcé et la mise en application des réductions de peine risquent désormais d’être concomitantes, aboutissant à des sorties non préparées. La personne sortira ainsi potentiellement avant même d’être éligible à la LSC de plein droit, rendant ce dernier dispositif presque superflu. Ensuite en ce qu’elle concourra inévitablement à aggraver la surpopulation carcérale. L’étude d’impact le souligne elle-même : si les juges maintiennent le taux d’octroi des réductions de peine qu’ils pratiquent aujourd’hui – à savoir 45% –, on peut s’attendre à 10 000 détenus supplémentaires. Sans compter que ce taux d’octroi risque en outre de diminuer face à la surcharge massive de travail que le nouveau système va engendrer pour ces magistrats. Par ailleurs, ce système va inévitablement allonger les longues peines, puisque l’échéance de la mi-peine, à partir de laquelle elles peuvent être aménagées, sera mécaniquement repoussée. Enfin, le Conseil d’État alerte de son côté sur le risque de « générer » – renforcer, devrait-il dire – « des disparités de traitement importantes entre les détenus en fonction des critères d’appréciation adoptés par les magistrats ».

Des exclusions injustifiées et dangereuses

De manière plus insidieuse, mais tout aussi inquiétante, le gouvernement introduit ou renforce des logiques dangereuses. D’abord, en ce qu’il exclut certaines catégories de personnes du bénéfice de ces nouvelles dispositions. L’exclusion la plus scandaleuse concerne certainement les personnes privées de logement : elles ne seront, de manière implicite, pas concernées par l’Arse comme alternative à la détention provisoire (« impossibilité liée à la situation matérielle de la personne »), et seront explicitement exclues du bénéfice de la LSC de plein droit (« impossibilité matérielle résultant de l’absence d’hébergement »). Outre qu’elle contrevient de manière criante au principe d’égalité devant la loi, cette exclusion est injustifiable humainement : les personnes les plus précaires et isolées sont précisément celles qui présentent le plus fort besoin d’accompagnement. Dans les deux cas, le législateur ne s’encombre pas même d’une obligation pour le Spip de rechercher une solution d’hébergement viable. Au contraire, pour la LSC, plutôt que d’augmenter les places d’hébergement pour le placement à l’extérieur ou la semi-liberté, le gouvernement constate leur insuffisance et privilégie la détention à domicile sous surveillance électronique au détriment des personnes sans logement.

Le deuxième volet d’exclusion concerne les auteurs de certaines catégories d’infraction. Ainsi, ne pourront bénéficier de la LSC de plein droit les auteurs de crimes, d’actes de terrorisme, de délits commis sur des mineurs de moins de 15 ans, de violences domestiques et, actualité oblige, les auteurs de violences sur des personnes dépositaires de l’autorité publique. En fonction de l’infraction, certains détenus n’auront par ailleurs le droit qu’aux deux tiers, voire à la moitié du quota prévu dans le cadre du nouveau régime de réductions de peine. Si le type d’infraction peut dicter la sévérité de la peine, il ne devrait pas affecter le parcours d’exécution de la peine qui, tourné vers la (ré) insertion, doit présenter des modalités égales pour tous. Ces premières exclusions, purement démagogiques, laissent craindre une extension future à d’autres catégories de détenus.

Enfin, le projet de loi exclut du bénéfice de la LSC de plein droit les personnes détenues ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire pour des faits de violence ou pour avoir « particip[é] ou tent[é] de participer à toute action collective de nature à compromettre la sécurité de l’établissement ou à en perturber l’ordre ». Ce faisant, le gouvernement inscrit résolument sa réforme dans une logique disciplinaire.

La discipline avant tout

Cette logique sous-tend également le nouveau régime de réductions de peine, durci par des conditions d’octroi désormais cumulatives : le condamné doit « manifest[er] des efforts sérieux de réinsertion » et « donn[er] des preuves suffisantes de bonne conduite ». Outre que, dans le contexte de pénurie généralisée des activités proposées en détention, la référence au mérite de la personne détenue relève d’une indéniable mauvaise foi, les critères de bonne conduite s’inscrivent clairement dans une logique disciplinaire et non de (ré)insertion. Ils risquent par ailleurs de favoriser une appréciation arbitraire et une mainmise de la pénitentiaire sur les parcours de peine, renforcée par la place nouvelle accordée aux surveillants, dont la participation à la commission de l’application des peines est désormais explicitement prévue. Et ce, sans que le projet de loi ne prévoie, pour ces commissions, les garanties essentielles relevant du contradictoire. L’emprise du disciplinaire se prolonge avec l’octroi de réductions de peine exceptionnelles pour récompenser les personnes détenues ayant permis « d’éviter ou de mettre fin à toute action individuelle ou collective de nature à perturber gravement le maintien du bon ordre et la sécurité de l’établissement ». Toute mobilisation des personnes détenues étant analysée par l’administration pénitentiaire comme « de nature à perturber gravement le maintien du bon ordre et la sécurité de l’établissement », le texte participe ainsi au bâillonnement de la population pénale. En l’absence de possibilité d’expression collective en prison, la participation à un mouvement, tel que les « blocages de cour de promenade », est en effet parfois le seul moyen de se faire entendre. Il est dès lors d’autant plus inquiétant de lire, dans l’étude d’impact, qu’une telle action constitue l’un des « faits les plus graves » donnant lieu à une sanction disciplinaire.

Les droits collectifs ne sont pourtant pas antinomiques par essence avec le milieu et l’ordre pénitentiaires. La Cour européenne des droits de l’homme a en ce sens déjà eu l’occasion d’affirmer que « le maintien du calme, de l’ordre et de la sécurité dans l’établissement » n’était pas un argument suffisant pour s’opposer à l’expression publique des personnes détenues. Au contraire, la parole ou la revendication dans leurs formes pacifiques, négociées et démocratiques, sont des vecteurs d’apaisement. Si leur exercice appelle des aménagements pour s’adapter au contexte carcéral, des droits collectifs devraient être reconnus aux personnes détenues. Une telle évolution aurait été particulièrement pertinente dans le cadre du présent projet de loi. Ce n’est malheureusement pas le choix qui a été fait par le gouvernement : si ce dernier accentue démesurément la responsabilisation des personnes détenues en termes notamment de bonne conduite et d’efforts de réinsertion à fournir au cours de leur détention, il ne leur donne aucune place dans la gestion quotidienne de la détention.

Par Prune Missoffe et Cécile Marcel

(1) CEDH, JMB c. France, 30 janvier 2020.
(2) Commission de suivi de la détention provisoire (CSDP), rapports 2015-2016 et 2017- 2018.
(3) Étude d’impact du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, 13 avril 2021.
(4) Article 142-6 du Code de procédure pénale.
(5) Étude d’impact, op. cit.
(6) Dispositif électronique mobile, applicable à la personne mise en examen pour une infraction commise à l’encontre de son conjoint, concubin ou partenaire, actuel ou ancien, et passible d’au moins trois ans d’emprisonnement.
(7) Version mobile de l’Arse, applicable lorsque la personne est mise en examen pour une infraction passible d’au moins sept ans de prison et qu’elle encourt un suivi socio-judiciaire.
(8) Initialement, seules les personnes condamnées pour des infractions à caractère sexuel encourraient un suivi sociojudiciaire, mais le champ d’application de cette peine a connu une progressive extension et concerne désormais une large palette de crimes et délits portant atteinte à la vie, à l’intégrité des personnes ou à leur liberté.
(9) Rapport 2017- 2018 de la Commission de suivi de la détention provisoire.
(10) 1 408 au 1er janvier 2021, soit un peu plus du double d’au 1er janvier 2016.
(11) Sur 790 LSC au 1er octobre 2020, 511 étaient exécutées sous la forme d’une DDSE (64 %).
(12) Voir « Mesures de libérations : entre frilosité et incohérence », Dedans Dehors n°107, OIP, juin 2020. (13) Sept jours par mois quand la peine dure moins d’un an, idem pour les réductions de peine supplémentaires.
(14) Quatorze jours par mois pour une durée d’incarcération inférieure à un an.