Observations et recommandations concernant le travail en détention (articles 11 à 14).
Le travail en prison a des « relents du XIXe siècle », soulignait le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) en juin 2013. L’absence de toute forme de contrat de travail en prison exclut les personnes détenues qui travaillent des bénéfices des droits sociaux, y compris fondamentaux, reconnus internationalement à toute personne en situation de travail. Elles n’ont droit à aucune indemnité en cas d’arrêt maladie, d’accident du travail ou de chômage technique. Sur le terrain du temps de travail, elles peuvent aussi bien ne pas bénéficier d’un jour de repos hebdomadaire qu’être appelées au travail quelques heures seulement durant le mois. Loin de pouvoir prétendre au salaire minimum, leur taux de rémunération varie de 20 à 45 % du SMIC, soit 2,03€ à 4,56€ de l’heure. Interdite depuis 2010, la rémunération à la pièce est encore en vigueur pour les activités de production proposées par les concessionnaires privés, donnant lieu à plusieurs condamnations en justice. Les taux horaires – pourtant faibles – du travail pour l’administration ne sont quant à eux pas toujours respectés. La majorité des activités qui leur sont proposées sont des tâches sous-payées, répétitives et non-qualifiantes, qui n’ont parfois plus cours à l’extérieur. Elles ne peuvent enfin se prévaloir d’aucune forme d’expression collective ou de représentation syndicale.
Ce déni de droit accordé au détenu travailleur a été dénoncé par de nombreuses instances et fait l’objet d’une importante mobilisation de l’OIP-SF ces dernières années. A deux reprises en 2013 et 2015, l’association a saisi le Conseil constitutionnel de questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) sur le sujet, sans que le Conseil ne considère inconstitutionnelles les dispositions qui lui étaient soumises. La QPC de 2015 avait pourtant été l’occasion d’une mobilisation sans précédent des mondes associatifs et universitaires. En amont de l’examen, 380 universitaires signaient une tribune dans laquelle ils appelaient le Conseil à « sonner le glas d’un régime juridique aussi incertain qu’attentatoire aux droits sociaux fondamentaux des personnes incarcérées ». Vingt-cinq associations et organisations professionnelles leur embrayaient le pas en diffusant sur Libération une Lettre ouverte signifiant que « L’heure [était] venue pour le Conseil constitutionnel de rappeler au législateur que les personnes détenues, bien que privées de la liberté d’aller et venir, ne méritent pas moins que d’autres de voir leurs droits fondamentaux garantis et protégés lorsqu’elles sont amenées à travailler ».
Dans le but de favoriser cette réforme, l’OIP s’est associé à des chercheurs et universitaires pour élaborer des « Propositions pour un statut juridique du détenu travailleur », qui ont fait l’objet d’un article publié dans la revue Droit social de décembre 2019. Afin que ces propositions fassent l’objet d’un débat, l’association organisait, en collaboration avec plusieurs laboratoires universitaires, un colloque réunissant chercheurs, observateurs, acteurs institutionnels, acteurs de l’insertion par l’activité économique, parlementaires et entrepreneurs. Ce colloque s’est tenu le 27 février 2020 à l’Assemblée nationale.
Pour toutes ces raisons, l’OIP-SF se réjouit aujourd’hui de la volonté du gouvernement et du législateur de réformer le statut du travail en prison. Cependant, si le projet de loi soumis à l’examen des parlementaires propose un certain nombre d’avancées, il ne saurait être considéré satisfaisant au vu de l’ambition formulée par Emmanuel Macron : « On ne peut pas demander à des détenus de respecter la société, de pouvoir se réinsérer en elle » si « on nie [leur] dignité et [leurs] droits »[1]. En effet, le projet de loi n’offre pas les garanties et protections tant attendues que nécessaires. En particulier, il consacre la flexibilité du travail en détention et, malgré la volonté affichée d’en faire un outil de réinsertion, apparaît avant tout comme un instrument disciplinaire très éloigné de l’ambition de faire du travail un vecteur d’émancipation déconnecté de la peine.
[1] Discours à l’École nationale d’administration pénitentiaire, Agen, 6 mars 2018