Observations et recommandations de l'OIP-SF sur la partie relative au sens et à l'efficacité de la peine du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice.
Notre constat : face au phénomène de sur-incarcération, le projet de loi passe à côté de ses ambitions
« Nos prisons sont pleines, mais vides de sens » ont déclaré deux anciens gardes de Sceaux, en 2012 et 2016. C’est en substance aussi le propos tenu par le Président de la République le 6 mars dernier à Agen. « La loi répète de façon incantatoire que les peines doivent être individualisées et les alternatives favorisées, mais la vérité est de fait différente ». Malgré l’affirmation de ces principes: « l’emprisonnement ne cesse d’augmenter parce qu’au fond, cela reste la solution qui contente symboliquement le plus de monde, ce qui évite de s’interroger sur le sens que cela recouvre – un sens qui, trop souvent, est simplement absent ». A cette occasion, le Président rappelait que la France est passée, depuis 2001, de 48 000 à 70 000 détenus. « Nous sommes le seul grand pays européen qui a suivi cette tendance à la hausse », regrettait-il, tandis que « nos voisins allemands sont restés là où nous étions il y a une quinzaine d’années ». Et de conclure : « Voilà comment on transforme en problème logistique un problème qui est d’abord politique et social ».
Le constat est lucide. Toutefois, les mesures proposées en réponse à cette situation sont loin d’être à la hauteur et de nature à mettre un terme à cette faillite collective. Le projet de loi pour la programmation de la Justice 2019-2022 soumis à l’examen du Parlement ne s’attaque pas au cœur des mécanismes qui concourent à l’inflation carcérale continue de ces quinze dernières années : l’augmentation continue du périmètre de la justice pénale, le manque de moyens alloués à la justice pour prendre le temps d’envisager une sanction autre que la prison plus adaptée à la situation, la banalisation du recours à la détention provisoire, l’allongement des peines, le peu d’investissement dans la probation, etc.
En effet, une réelle politique de réduction du recours à l’emprisonnement requiert plusieurs ingrédients essentiels mais absents des annonces : une réduction de l’usage et de la durée de la détention provisoire par des modifications législatives ; une diminution du périmètre de la justice pénale, en confiant à d’autres formes de régulation (civile ou administrative) le règlement de certains conflits et à d’autres instances (santé publique) la prise en charge de certains comportements ; mais aussi une réduction de l’échelle des peines et le remplacement des courtes peines d’emprisonnement par des mesures de probation en milieu ouvert.
Pour cela, il faut donner de la portée et de la crédibilité au socle des peines alternatives : leur donner des moyens, du contenu, et faire de certaines d’entre elles la peine maximale encourue pour les délits les moins graves. La « refondation » annoncée ne pourra passer que par la construction d’une nouvelle culture pénale qui pense la peine de manière déconnectée de la prison. Au risque, sinon, que l’exception du recours à la prison, déjà prévue par les textes, soit une fois de plus purement incantatoire. On en est loin : le projet de loi continue à faire de la prison le référentiel et l’étalon des sanctions.
Surtout, pour que la prison ne reste pas la peine favorite des magistrats, il faut changer profondément les conditions dans lesquelles les peines sont prononcées. Sur ce sujet, les moyens qui sont alloués à la justice afin de rendre possible l’individualisation de la peine sont déterminants, ainsi que le choix des procédures. Dans des conditions de jugement qui ne permettent pas aux magistrats de s’intéresser aux parcours des intéressés et d’étudier les mesures qui pourraient être mises en place en milieu ouvert, dans un système pénal inchangé, où la prison reste la peine de référence pour tous les délits, il y a fort à parier que la prison restera le choix par facilité des magistrats.
Certaines orientations du projet de loi vont en outre se révéler dangereusement contre-productives avec un risque d’afflux massif d’incarcérations. Ainsi, la suppression de la possibilité pour les juges de l’application des peines d’aménager les peines de prison comprises entre un an et deux ans – mesure qui permettait concrètement de prendre le temps que le tribunal n’a pas eu pour analyser en profondeur la situation et individualiser au mieux la peine – risque d’engendrer plusieurs milliers d’incarcérations supplémentaires. L’annonce de la construction de 15 000 nouvelles places de prison, un plan d’une envergure inédite, anticipe d’ailleurs l’échec de la réforme. Et l’ampleur du budget mobilisé pour l’accroissement immobilier (1,7 milliards d’euros) continuera de favoriser un cercle vicieux maintes fois dénoncé : la carence des financements nécessaires pour l’amélioration des conditions de détention et le développement des peines et mesures non carcérales.
Nos recommandations
Face à ce constat, l’OIP invite les députés à se saisir de ce texte et à y apporter des modifications, afin d’intégrer les recommandations suivantes :
- Réviser les conditions de jugement
– Consacrer la césure du procès pénal en principe et non plus en exception
– Limiter le champ de la comparution immédiate à défaut de la supprimer - Réduire les possibilités de recourir à la détention provisoire
– Limiter le champ de la détention provisoire
– Renforcer les moyens des services pénitentiaires d’insertion et de probation - Revoir l’échelle des peines
– Réinstaurer la probation dans l’échelle des peines
– Renforcer les moyens alloués au milieu ouvert
– Supprimer la détention à domicile sous surveillance électronique - Courtes peines de prison : favoriser les mesures non carcérales
– Sortir d’une approche qui garde la prison comme valeur étalon
– Supprimer le mandat de dépôt différé
– Revenir sur l’abaissement des seuils d’accès aux aménagements de peine avant l’incarcération
– Renoncer au programme de construction de prisons - Lever les freins aux aménagements de peine au cours de l’incarcération
– Créer un système de libération conditionnelle d’office
– Alléger le cadre procédural d’examen des demandes de libération conditionnelle des longues peines
– Supprimer la période de sûreté automatique - Supprimer les mesures de surveillance et de rétention de sûreté
- Réformer la condition carcérale.