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Quand les détenus subissent des représailles pour avoir contacté l’OIP

Brimades, moqueries, menaces : chaque mois, des détenus alertent l’Observatoire international des prisons (OIP) sur des représailles exercées à leur encontre à cause des liens qu’ils entretiennent avec l’association.

« Dans cette prison, c’est très mal vu d’écrire à l’OIP », expliquait récemment la compagne d’une personne détenue à la maison d’arrêt de Carcassonne. Depuis plus de vingt ans, les détenus peuvent contacter l’Observatoire international des prisons par courrier ou par téléphone. L’association répond à leurs questions dans le contexte de leur incarcération et les oriente dans leurs démarches afin de les aider à faire respecter leurs droits. Leurs témoignages participent aussi à la mission de l’OIP de décrire de façon documentée la situation des prisons et d’alerter sur les dysfonctionnements relevés. Depuis 2019, l’OIP a été intégré au dispositif de téléphonie sociale, qui permet aux personnes détenues d’appeler l’association de manière confidentielle et sans avoir à en demander l’autorisation préalable. Mais régulièrement, des prisonniers ou leurs proches indiquent que, dans certains établissements, il n’est pas bien perçu par les membres de l’administration pénitentiaire de contacter l’OIP. Certains confient qu’ils n’osent pas prendre attache avec l’association par peur de représailles. Si ces signalements sont particulièrement difficiles à vérifier dans le milieu impénétrable de la prison, leur fréquence – une vingtaine en 2022 – suffit néanmoins à établir la réalité de ce phénomène.

Dissuasion, intimidations et entraves

Il arrive que des agents dissuadent explicitement les détenus de contacter l’association. Par exemple, en juin dernier, une proche de détenu s’est adressée à l’OIP au nom de personnes incarcérées à la prison de Baie-Mahault : « Les détenus sont menacés de transfert s’ils vous contactent », confiait celle-ci, en pointant divers problèmes de l’établissement que les prisonniers n’osaient pas dénoncer : manque de travail, arbitraire dans l’octroi des créneaux de parloirs, choix insuffisant dans les produits cantinables. Au mois de septembre, c’est un homme incarcéré à la maison d’arrêt d’Épinal qui expliquait : « Les surveillants menacent les détenus en régime porte ouverte de les envoyer en régime porte fermée s’ils contactent l’OIP. »[1]

Dans d’autres cas, les intimidations ont pour but de mettre un terme aux échanges. Les remarques des agents peuvent prendre une forme insidieuse, destinée à faire comprendre au détenu qu’ils ont eu connaissance du courrier envoyé. « Depuis que j’ai écrit à l’OIP, des surveillants se moquent de moi, en me disant par exemple : “T’es un bon dessinateur dis donc” », raconte un homme qui avait, en réponse à un questionnaire de l’OIP, dessiné la disposition de sa cellule dans une prison de l’Est de la France. Dans un autre établissement, un homme témoignait en février dernier : « J’ai parlé de l’OIP avec ma femme, par téléphone. Le lendemain, un agent m’a menacé : “Réfléchis bien avant d’écrire aux associations de défense des droits de l’homme, ça peut avoir des conséquences.” » À Lille-Sequedin, cet automne, une surveillante aurait convoqué une détenue ayant écrit à l’OIP : « Cette fois c’est une observation verbale mais la prochaine fois ce sera un compte-rendu d’incident. » Un homme en centre de détention aurait quant à lui reçu la visite du chef d’établissement. « Il m’a dit qu’il n’était pas dans mon intérêt de discuter avec l’OIP, qu’il y avait d’autres moyens pour sortir plus tôt. Il voulait savoir ce que contenait le courrier que j’avais envoyé », raconte-t-il.

Il arrive aussi que la correspondance entre des personnes détenues et l’OIP soit entravée ou empêchée. Un homme incarcéré à la prison de La Santé aurait ainsi adressé, pendant dix-huit mois, plusieurs lettres à l’association sans que celle-ci n’en reçoive aucune. « Un surveillant m’a avoué que mes courriers avaient été broyés », précise-t-il. Des correspondances pour l’OIP auraient également été jetées par certains agents à Baie-Mahault, et des affiches comportant les coordonnées de l’OIP auraient été arrachées à Aix-Luynes.

Parfois, des fouilles corporelles ou de cellules, visant à “confisquer” les correspondances ou à en connaître le contenu, seraient pratiquées. « Après que j’ai écrit à l’OIP, les surveillants m’ont dit “Tu veux nous mettre dans la merde, tu vas assumer”. Ils ont fouillé ma cellule, sûrement pour trouver les lettres échangées », racontait une personne détenue en centre pénitentiaire en octobre dernier.

Représailles en tous genres

Les brimades subies par les personnes qui sont en lien avec l’association peuvent prendre des formes variées. « Un codétenu m’a averti : “Fais attention, ils peuvent te mettre la misère quand tu contactes l’OIP” », explique un homme incarcéré à Orléans-Saran. Une personne détenue à Mauzac rapporte que, depuis qu’elle s’est adressée à l’OIP, « les surveillants disent aux autres détenus de ne pas lui parler au risque d’avoir eux-mêmes des problèmes ». Il arrive aussi que des détenus qui se sont plaints auprès de l’OIP de leurs conditions de détention ou du comportement de certains surveillants subissent des punitions d’ordre matériel. L’un dit avoir été privé de télévision, un autre n’aurait pas reçu les denrées et le tabac qu’il avait cantinés, d’autres encore auraient été privés de repas ou d’accès à la salle de sport, selon plusieurs témoignages reçus cette année des prisons de Mauzac, Poitiers-Vivonne et Toulon-La Farlède.

Enfin, certaines représailles iraient jusqu’à des violences physiques. En février 2022, dans un établissement du Sud de la France, un détenu aurait ainsi été mené en salle de fouille, mis à terre par des surveillants, et l’un d’eux aurait écrasé ses chevilles avec ses rangers en déclarant : « Tu fais moins le malin d’avoir appelé l’OIP. »

Les entraves ou les représailles ne s’exercent pas seulement à l’encontre des détenus qui contactent l’OIP. Certains affirment que les courriers qu’ils envoient au Défenseur des droits, ou que celui-ci leur adresse, sont bloqués – particulièrement lorsqu’il s’agit de signaler des violences de la part du personnel pénitentiaire, et alors même qu’ils sont confidentiels. Dès 2013, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) avait quant à lui dénoncé les sanctions que subissaient les détenues dits « procéduriers » : « Le contrôle général est convaincu que de nombreuses personnes craignent des représailles si elles le saisissent, voire en sont activement dissuadées » pouvait-on lire dans son rapport d’activité[2]. Il pointait en outre les nombreux témoignages faisant état de courriers ouverts ou perdus, courriers qui ne peuvent faire en théorie l’objet d’aucun contrôle. Ce constat avait abouti à la création en 2014 d’un délit d’entrave : depuis, le fait de faire obstacle à la mission du CGLPL, en s’opposant aux visites ou à la communication de certains éléments, par des menaces et des représailles prises à l’encontre de toute personne en lien avec l’institution, relève d’une infraction[3]. Le phénomène a néanmoins toujours lieu, comme l’illustre le témoignage de cet homme détenu à Liancourt en janvier 2022 : « J’étais en train d’écrire une lettre au CGLPL pour dénoncer mes conditions de détention, lorsque j’ai subi une fouille de cellule. Quand je suis rentré dans ma cellule, la lettre n’y était plus. »

Par Pauline Petitot

Cet article a été publié dans la revue Dedans Dehors N°117 – Détention provisoire, l’interminable attente

[1] En régime porte fermée, les détenus sont confinés en cellule et ne peuvent en sortir que lorsqu’un surveillant vient ouvrir la porte pour les emmener en promenade ou participer à une activité.

[2] CGLPL, rapport d’activité 2013.

[3] Loi n° 2014-528 du 26 mai 2014 modifiant la loi du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté.