Le Conseil économique social et environnemental a rendu, en novembre, un avis sur la réinsertion des personnes détenues. Il y prône avant tout la limitation du recours à l’incarcération et le renforcement des alternatives à l’emprisonnent. Puis détaille des priorités pour « donner aux personnes détenues les moyens de leur réinsertion ». Sera-t-il entendu par le Gouvernement ?
Le 26 novembre dernier, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) rendait un avis sur la réinsertion des personnes détenues. L’assemblée consultative répondait ici à une demande du Premier ministre, qui l’invitait notamment à s’interroger sur « la place accordée à l’objectif de réinsertion dans les missions des services pénitentiaires, les résultats mais aussi les obstacles auxquels [cette mission] se heurte ». Une commande dont le Cese s’est en partie affranchi en débordant largement du cadre qui lui avait été fixé. Constatant que la conception « très sévère et punitive » du rôle de la prison dans l’opinion « pèse sur les politiques pénales », il invite avant toute chose à « reposer, devant l’opinion publique, les termes du débat ». Pour le Cese, il s’agit, avant de formuler des recommandations sur la prise en charge des personnes détenues, d’interroger la pertinence de la réponse carcérale, dans un contexte où « les atteintes à l’ensemble des droits fondamentaux qui contribuent à la dignité de la personne ne régressent malheureusement pas ».
Le coût social de la prison
Le constat qu’il dresse n’est pas nouveau : on enferme de plus en plus – le volume d’années d’emprisonnement ferme prononcé par les magistrats a augmenté de 32 % entre 2004 et 2016, précise l’avis –, et en majorité pour des courtes peines de prison. Par ailleurs, « la détention concerne une population qui cumule les difficultés sociales, un capital scolaire faible, une santé fragile » et s’inscrit dans une « chaîne des exclusions » que les politiques publiques n’ont pas réussi à enrayer. Or, « la prison désocialise, déresponsabilise, crée de multiples ruptures ou exacerbe celles qui existaient déjà », relève le Cese. Conclusion : cette politique est non seulement coûteuse, mais elle est aussi contreproductive. D’ailleurs, « la hausse du recours à la détention n’a pas fait baisser la récidive », au contraire même : « Parmi les courtes peines, le nombre de condamnations en récidive progresse de 22 % entre 2013 et 2017. » Dès lors, conclut le Cese, « il faut sortir d’un système qui, par ses références et ses choix budgétaires, reste centré sur la prison alors que d’autres mesures moins onéreuses permettent de sanctionner sans exclure ».
Pour le Cese, il s’agit, avant de formuler des recommandations sur la prise en charge des personnes détenues, d’interroger la pertinence de la réponse carcérale.
Une orientation qui n’est malheureusement pas celle choisie par le Gouvernement. Pour preuve, le projet de loi de finances pour 2020, qui fait la part belle à l’immobilier pénitentiaire : 694,4 millions d’euros lui sont ainsi consacrés, note le Cese(1). Un montant à côté duquel les dépenses budgétées pour la prévention de la récidive et la réinsertion des personnes placées sous main de justice (89,7 millions d’euros) ou celles prévues pour les aménagements de peine et alternatives à l’incarcération (25 millions d’euros), semblent bien dérisoires ! Pour « reposer les termes du débat », le Cese recommande de faire réaliser par la Cour des comptes une comparaison du coût socio-économique de la détention pour les personnes détenues, leurs proches et la société en général et de le comparer à celui des différentes peines et mesures alternatives à l’incarcération. Sans attendre, l’avis recommande aussi de favoriser et renforcer les alternatives à l’emprisonnement.
Limiter les dégâts de l’incarcération
Une fois ce préalable posé, le Cese s’intéresse aux conditions de la réinsertion des personnes détenues, et détaille des chantiers prioritaires. À y regarder de près, une bonne partie d’entre eux semble avant tout avoir pour objectif d’estomper autant que possible les ruptures et dommages entraînés par l’incarcération. Il s’agit ainsi « d’assurer la continuité des soins », de « préserver les liens familiaux », ou encore de « garantir l’effectivité des droits ». Par exemple, le Cese recommande d’« assurer aux personnes détenues l’accès aux ressources et services indispensables à toute démarche de réinsertion » et donc « la mise en œuvre de solutions techniques leur permettant de disposer d’une adresse Internet et d’accéder aux sites nécessaires ». Limiter les dégâts de l’incarcération exige aussi que les prisonniers puissent être acteurs de leur réinsertion. Et donc qu’ils puissent exercer les droits d’expression et de participation « nécessaires pour sortir de la déresponsabilisation et de l’infantilisation qui prévalent trop souvent » dans les établissements pénitentiaires. À cette fin, le Cese préconise de revoir à la fois le champ et les modalités d’exercice du droit d’expression en détention.
Le Cese recommande par ailleurs d’organiser « le parcours de détention » autour de l’objectif de réinsertion. Et notamment de mettre en place dès l’entrée en prison et pendant le séjour au quartier arrivants « une évaluation interdisciplinaire complète » qui permette de définir un accompagnement global. Et de prévoir la généralisation, en fin de détention, du séjour en quartiers de « pré-sorties », à l’image de la structure d’accompagnement vers la sortie (SAS) actuellement expérimentée à la prison des Baumettes, à Marseille. Un voeu pieu à population carcérale et moyens constants. Si la mise en place, en 2007, des quartiers arrivants prévoyait déjà un « bilan de personnalité » et l’élaboration d’un « parcours d’exécution de peine », « la différence entre les principes et la réalité est flagrante », note le Cese. La surpopulation fait que les quartiers arrivants sont souvent détournés de leur usage initial et que les conditions n’y sont pas réunies pour « réaliser correctement l’évaluation de la situation des personnes ». La mise en oeuvre d’une telle politique nécessiterait donc, outre de revenir à des taux d’occupation raisonnables, un rééquilibrage des moyens de l’administration pénitentiaire.
Il en est de même pour la suite du parcours en détention. Si, par exemple, la formation et le travail sont reconnus par le Cese comme « des leviers incontournables de la réinsertion », le bilan qu’il dresse dans ces domaines est sombre. Ainsi, « alors que l’accès à une formation devrait être la norme, seuls 15 % des personnes détenues en ont bénéficié en 2017 ». Le Cese pointe notamment l’engagement très variable des Régions, qui ont hérité de cette compétence en 2014. Ainsi, pour l’année 2018, « la région Ile-de-France a financé une formation pour 5,01 % des personnes détenues, l’Outre-mer pour 4,21 % et la région Auvergne-Rhône-Alpes pour 8,41 % », relève l’avis. Idem en ce qui concerne le travail : le Cese constate que seuls 28 % des personnes détenues exercent une activité rémunérée – contre 46,2 % en 2000 – et déplore surtout que « le travail en prison est peu qualifié et porte sur de simples tâches d’exécution. Il est actuellement utilisé comme un outil de paix sociale et pas comme un vecteur de l’insertion professionnelle après la détention ». Regrettant « l’absence de véritable progrès » sur la question, les rédacteurs de l’avis y voient le « signe que le travail en prison n’est pas considéré comme une priorité ».
Un rapport, et après ?
C’était pourtant l’une des rares promesses du candidat Macron sur le volet pénitentiaire : développer le travail et les activités en détention et instaurer un régime légal qui applique les principales règles du code du travail. Plus de deux ans après son élection, le droit du travail reste encore à la porte des prisons. Sur ce sujet, le Cese prône la mise en place d’un contrat « adapté aux spécificités de [la détention], intégrant le respect des règles d’hygiène et de sécurité et déterminant l’acquisition des droits à l’assurance-chômage, la retraite et la formation et les conditions de rémunération ». Lors de la présentation de l’avis du Cese au Palais d’Iéna, la garde des Sceaux s’est dite « très favorable à cette proposition » et s’est engagée à la faire étudier par ses services.
C’est là la vraie question : quelles suites seront données aux recommandations pleines de bon sens de l’avis du Cese ? Rappelons qu’en 2016 déjà, plusieurs corps d’inspection avaient produit un rapport conséquent sur « l’évaluation des politiques interministérielles d’insertion des personnes confiées à l’administration pénitentiaire par l’autorité judiciaire » dont les recommandations, sur de nombreux points, rejoignaient celles du Cese. Avec quels effets ? La réponse est à aller chercher sur le site Internet du gouvernement consacré à « la transformation de l’action publique » : dans la frise chronologique relative à cette mission d’inspection, l’exécution est bloquée, depuis janvier 2017, au stade de la présentation du rapport. Pour la partie « Décision » et « Plan d’action et de mise en oeuvre », on attend toujours.
par Cécile Marcel
(1) Les chiffres sont ici exprimés en crédit de paiement, qui constitue « la limite supérieure des dépenses pouvant être ordonnancées ou payées pendant l’année », selon la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) du 1er août 2001.