DPS. Trois petites lettres aux lourdes implications pour les quelques centaines de personnes détenues en France ainsi étiquetées. Désignant les « détenus particulièrement signalés », cet acronyme implique un régime de détention dérogatoire caractérisé par de fortes mesures de contrôle et de surveillance. Focus sur ce statut si particulier dont l’emprise a encore été étendue par une récente note ministérielle.
Le répertoire des « détenus particulièrement signalés » (DPS) a été créé en 1967 pour assurer un cadre de contrôle et de surveillance des prisonniers impliqués dans le grand banditisme. Après plusieurs transformations et extensions(1), il concerne aujourd’hui quelque 240 personnes détenues (dont 55 impliquées dans le terrorisme islamiste)(2). Son actualisation par la publication de l’instruction ministérielle du 11 janvier 2022(3) confirme que loin de marquer ses distances avec des régimes de détention rigoureux, l’administration pénitentiaire poursuit sa quête effrénée du tout sécuritaire. En dépit des règles pénitentiaires européennes qui imposent une appréciation individuelle des mesures de sécurité appliquées aux personnes détenues(4), l’instruction(5) prévoit un régime de détention général et impersonnel qui se démarque par sa rigueur, avec de nombreuses conséquences sur le quotidien carcéral des personnes concernées.
Un large panel de mesures de contrôle
Le premier enjeu du répertoire DPS est, pour l’administration pénitentiaire, de justifier et légitimer la mise en œuvre de mesures coercitives et l’application de régimes de détention dérogatoires, fortement attentatoires aux droits fondamentaux des personnes détenues.
Le panel de mesures est large. Il commence par un placement systématique sous surveillance renforcée, un régime qui implique un « contrôle œilleton » réalisé à chaque ronde de nuit, afin de « veiller à ce que le barreaudage soit visible et s’assurer de son intégrité », ce qui signifie un réveil toutes les deux heures pour certaines personnes. Les DPS sont aussi soumis à des fouilles à nu dérogatoires( 6), des fouilles approfondies de cellule régulières(6) et des changements de cellule fréquents(7) au sein de l’établissement. L’ouverture de leurs portes se fait par ailleurs en présence de plusieurs agents et pour tous leurs déplacements au sein de l’établissement, ils doivent être accompagnés par des membres du personnel et ne croiser personne, ce qui entraîne un blocage de tous les mouvements. Lorsqu’il s’agit de sortir de l’établissement, pour une d’extraction médicale ou judiciaire, ils sont escortés d’au minimum trois agents et un gradé, et sont soumis au port de menottes, d’entraves et d’une ceinture abdominale. Les soins sont pratiqués en présence constante des personnels, au mépris du secret médical.
L’impact du régime DPS s’étend aussi à d’autres aspects de la vie carcérale des personnes concernées. Leurs demandes de classement au travail font ainsi l’objet d’un examen strict par la commission pluridisciplinaire unique, tandis que leurs demandes de certaines cantines et la réception de mandats doivent être validées par le chef d’établissement. Les proches et les membres de la famille des personnes inscrites au répertoire subissent également les effets de cette surveillance renforcée. Soumis à un « contrôle particulièrement minutieux à l’entrée de l’établissement », leurs correspondances ou le linge qu’ils déposent sont rigoureusement vérifiés. La surveillance continue du parloir peut être décidée, en même temps que l’installation d’un dispositif de séparation.
Outre ces mesures applicables à tous, des notes individuelles sont prises par le chef d’établissement pour préciser, pour chacun d’entre eux, « les mesures complémentaires qui sont spécifiquement applicables ».
Rassembler des informations et créer du renseignement
Le second enjeu du répertoire DPS réside dans le fichage et le traçage pénitentiaires des profils les plus sensibles. « L’observation et le partage d’informations constituent un axe essentiel » et une condition primordiale pour créer du renseignement sur les profils et les réseaux concernés. Pour ce faire, l’administration pénitentiaire a organisé le relevé et l’enregistrement minutieux de l’activité quotidienne des personnes détenues. Les personnels de surveillance sont ainsi invités à « faire état de leurs observations dans le logiciel Genesis »(8) et y rapporter le comportement des intéressés, leurs relations en détention, leurs positionnements, leurs demandes d’échanges et de dons ou encore leurs habitudes de vie. Des canaux de diffusion sont institués entre chef d’établissement, direction interrégionale des services pénitentiaires et administration centrale, cette dernière étant informée « en temps réel » de tout incident concernant un DPS. Les autorités judiciaires et policières sont également impliquées dans le processus d’inscription et de maintien au répertoire.
C’est donc bien un projet de renforcement du renseignement pénitentiaire que soutient aujourd’hui le texte du 11 janvier 2022. En réunissant, en un document unique, des instructions jusqu’ici éparses, cette note ambitionne de structurer la prise en charge et le suivi des profils considérés comme sensibles.
Une extension des critères d’inscription
Cette dynamique est à prendre avec d’autant plus de sérieux qu’elle s’accompagne d’un élargissement constant des critères d’inscription et de maintien des personnes détenues au répertoire DPS. Circonscrit à l’origine aux condamnés pour grand banditisme(9), ce fichier peut aujourd’hui inclure des personnes « appartenant à la criminalité organisée locale, régionale, nationale ou internationale » ou « appartenant aux mouvances terroristes », mais aussi les personnes « signalées ou ayant été signalées pour une évasion réussie, tentée ou projetée depuis un établissement pénitentiaire ou à l’occasion d’une extraction, d’un transfert administratif ou d’une translation judiciaire ». Ou encore celles « susceptibles de mobiliser » un « soutien humain, logistique ou financier extérieur » pour le faire ou, plus simplement, « créer un trouble grave au bon ordre de l’établissement ». À cette liste, la nouvelle instruction a ajouté une nouvelle catégorie de personnes : celles ayant « été à l’initiative d’un mouvement collectif, d’une mutinerie ou d’actes de dégradations de grande ampleur en établissement, ou d’avoir participé à plusieurs reprises à de tels incidents ».
Une inscription sans limitation de temps
L’administration pénitentiaire demeure très silencieuse sur la durée moyenne d’inscription à ce fichier. Interrogé en 2016, le ministère se refusait à communiquer toute donnée chiffrée, se contentant d’indiquer qu’il était « difficile » d’établir des statistiques « tant la durée d’inscription au répertoire des DPS varie selon le profil de la personne détenue et sa dangerosité »(10) . Une chose demeure néanmoins certaine : elle ne connaît aucune restriction dans le temps. En effet, si la situation des personnes concernées doit être réévaluée chaque année, l’inscription peut être renouvelée à l’infini. À cet égard, le ministère a même purement et simplement fait disparaître de sa dernière note la mention de 2012 selon laquelle « l’inscription au répertoire DPS ne revêt jamais un caractère définitif »(11).
Plus encore, le nouveau texte réduit les possibilités de radiation d’office en supprimant la disposition entraînant la désinscription automatique après une permission de sortir. L’administration a donc unilatéralement supprimé l’une des seules mesures favorables aux personnes détenues. Pour nombre d’entre elles, les perspectives de sortie du répertoire se trouvent de fait extrêmement réduites. La seule issue sera désormais de solliciter leur radiation à l’administration, avant d’engager un recours contentieux devant les juridictions administratives. La dernière instruction ministérielle signe donc à bien des égards un recul important pour les personnes détenues. En plus de ne pas améliorer les très dures conditions de vie qui leurs sont imposées, elle témoigne d’une détermination certaine de l’administration à poursuivre la « surenchère sécuritaire » dans laquelle elle est enferrée(13).
Par Matthieu Quinquis
(1) Circulaire du 18 décembre 2007 (NOR : JUSK0740099C) ; Circulaire du 15 octobre 2012 (NOR : JUSD1236970C).
(2) Audition de Laurent Ridel devant la commission des lois de l’Assemblée nationale, 16 mars 2022.
(3) Instruction ministérielle du 11 janvier 2022 (NOR : JUSK22011661C)
(4) Règles 49 et 53-6, Recommandation du Comité des Ministres aux États membres sur les Règles pénitentiaires européennes.
(5) Articles 225-1 et suivants du code pénitentiaire (anciennement article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009).
(6) Des fouilles ordinaires sont a minima mises en œuvre tous les mois, des fouilles approfondies sont envisagées une fois par trimestre.
(7) En maison d’arrêt, ces changements ont lieu a minima tous les trois mois. En maison centrale, cette fréquence peut être portée à six mois.
(8) Genesis est le logiciel de traitement des données des personnes détenues de l’administration pénitentiaire.
(9) Note du 12 juillet 1967.
(10) Assemblée nationale, Question n°63340, Réponse du 23 août 2016.
(11) Circulaire du 15 octobre 2012. (12) Comité de prévention de la torture, Rapport de visite en France, 24 juin 2021.