Quinze personnes détenues ont saisi le juge administratif pour faire cesser les atteintes graves aux droits fondamentaux auxquelles elles sont exposées à la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré. Une action collective rare, qui a conduit à un début de reconnaissance de l’indignité de leurs conditions de détention.
C’est une requête doublement exceptionnelle qui a été adressée au juge des référés du tribunal administratif de Poitiers le 5 décembre 2024. Si ce sont le plus souvent les conditions de détention dégradantes dans les maisons d’arrêt surpeuplées qui sont attaquées en justice, il s’agissait cette fois-ci d’une maison centrale pour longues peines, où s’applique l’encellulement individuel. Et si la saisine du juge des référés est en général le fait d’acteurs associatifs ou institutionnels, ce sont ici quinze personnes détenues qui, dans une forme d’action collective, ont dénoncé l’indignité de leurs conditions de détention. Une démarche d’autant plus remarquable que les personnes incarcérées qui agissent en justice contre l’administration pénitentiaire ne sont pas à l’abri des représailles, comme l’a déjà documenté la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL).
Réveillés par les cafards
Dans leur requête, soutenue par l’OIP et l’Association des avocats pour la défense des droits des détenus (A3D), les personnes se plaignaient de l’insalubrité chronique de la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré : des « fenêtre[s] double vitrage fendue[s] », de la moisissure dans les cellules, des installations électriques défectueuses et dangereuses… En somme, ce que la CGLPL résumait, dans son rapport de visite de 2021(1), par « une vétusté bâtimentaire des quartiers d’encellulement qui continue de se dégrader avec le temps ». L’eau du robinet en cellule est froide, « trouble ou parfois marron ». Les cellules ne disposant pas de douche, les personnes détenues sont contraintes de se rendre dans des douches collectives présentant des moisissures et dépourvues de mitigeur : la température de l’eau, décrite comme tour à tour « glaciale ou brûlante », les y oblige à rester habillées pour ne pas se brûler la peau.
Mais ce n’est pas tout : les personnes détenues dénoncent une telle prolifération de nuisibles qu’elles sont « réveillé[e]s par des cafards sur le corps et le visage ». Elles évoquent aussi le manque de lumière naturelle, la nourriture froide en quantité largement insuffisante, l’odeur nauséabonde émanant des poubelles « sans couvercle » placées devant les cellules, les températures très basses qui les conduisent à « allumer [leur] four ou [leur] plaque chauffante pour réchauffer la pièce », ou encore des comportements inappropriés de la part de surveillants pénitentiaires, qui recourent notamment à des fouilles à nu systématiques.
Le régime carcéral à portes fermées renforce le poids de l’architecture pénitentiaire désuète. Les cellules d’environ 6m2 sont mal agencées : les téléphones sont installés au-dessus des toilettes, obligeant les personnes détenues à se contorsionner pour pouvoir les utiliser ; les sanitaires, non cloisonnés, sont visibles par les surveillants à l’œilleton, et ils sont parfois positionnés à moins d’un mètre de l’espace où les personnes détenues préparent leur repas. Dans son rapport de visite, le CGLPL précisait que le « défaut d’investissement » affectant la prison s’expliquerait par d’anciennes rumeurs de fermeture de l’établissement, au motif « qu’il ne correspondrait pas aux normes sécuritaires en vigueur ».
L’école ou la promenade
Des difficultés organisationnelles majeures impactent également les conditions de vie des personnes incarcérées. Ainsi les plages horaires de différentes « activités » se chevauchent, leur imposant de faire des choix : « Si on va à l’école, il n’y a pas de promenade. » L’établissement ne propose en outre aucune activité le week-end. Des lacunes d’autant plus préjudiciables que les personnes enfermées en maison centrale purgent de longues peines, et font face à des enjeux de réinsertion fondamentaux.
Dans sa décision du 17 décembre, le juge des référés du tribunal administratif a rejeté un certain nombre de demandes des requérants, notamment au motif qu’elles étaient « d’ordre structurel ». Il a toutefois enjoint à l’administration pénitentiaire de demander l’emploi de méthodes d’éradication des nuisibles plus efficaces à son prestataire, d’assurer aux personnes détenues l’accès à des douches d’une température acceptable — une injonction cependant limitée au seul quartier disciplinaire — et enfin, de faire cesser le caractère systématique des fouilles à corps. Des injonctions largement insuffisantes pour garantir aux personnes incarcérées des conditions de détention dignes, mais qui constituent néanmoins un premier pas vers la reconnaissance de la situation catastrophique au sein de l’établissement. Le ministère de la Justice a interjeté appel le 2 janvier.
Mise à jour le 13 février : Dans son arrêté du 13 février, le Conseil d’État confirme le caractère indigne des conditions de vie de la maison centrale de Saint-Martin de Ré, mais annule la décision concernant les fouilles.
Par Benjamin Giacco
Article disponible dans la revue de l’Observatoire international des prisons – DEDANS DEHORS n°125 – Kanaky – Nouvelle-Calédonie : dans l’ombre de la prison