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Sanctionnés pour des pétitions

Monsieur T., détenu à la prison du Mans, a été sanctionné, en janvier 2022, pour avoir initié une pétition. Son cas n’est pas isolé : en prison, prendre la parole sans y avoir été invité par la direction, qui plus est pour porter des revendications collectives en les couchant à l’écrit, est hautement subversif. Constitutif d’une faute du premier degré, le fait d’initier une pétition est passible d’un placement au quartier disciplinaire.

Maison d’arrêt du Mans, le 16 décembre 2021. Alors que les États généraux de la justice, qui incluaient une grande consultation de la population pénale, viennent de se refermer, Monsieur T., « inspiré par cette démarche », décide de lancer des pétitions, avec l’idée « d’ouvrir le dialogue au sujet des comptes-rendus d’incident (CRI) et de proposer des pistes d’amélioration de la détention ». « Peu avant, le directeur avait lui-même adressé un sondage aux détenus via la convocation des délégués d’étage : il souhaitait recenser les besoins et volontés d’amélioration en détention. Je me suis contenté de lui emboîter le pas », explique-t-il à l’OIP. Dans la cour de promenade, il fait circuler trois pétitions à ses codétenus : elles dénoncent notamment le recours « injustifié, intempestif et systématique aux CRI » et appellent, dans un objectif de « lutte contre le gaspillage alimentaire », à la possibilité de faire des dons et échanges de denrées entre détenus et à l’augmentation des quantités de nourriture distribuées aux personnes qui en font la demande en cas de surplus. Mais au retour de promenade, un agent saisit les documents et rédige un compte-rendu d’incident : « Alors que nous procédions au retour promenade, […] j’ai découvert trois pétitions différentes comportant des noms, des numéros d’écrous ainsi que des signatures correspondant à des personnes détenues de l’étage. Pétition remise à l’adjointe », y est-il écrit. Convoqué le lendemain dans le bureau de la gradée, Monsieur T. apprend qu’il est visé par une procédure disciplinaire : « En détention, une pétition, ou tout document assimilé à une pétition, peut être sanctionné de vingt jours de QD [quartier disciplinaire] », lui aurait alors précisé la fonctionnaire, ajoutant que cette initiative pourrait lui valoir un transfert « à l’autre bout de la France » et un retrait de crédits de réduction de peine (CRP). En effet, pour l’administration pénitentiaire, les pétitions sont à classer au rang des « actions collectives de nature à compromettre la sécurité des établissements ou à en perturber l’ordre », et constitutives d’une faute du premier degré(1). Monsieur T. a finalement été condamné à sept jours de quartier disciplinaire avec sursis, d’après les informations qu’il a communiquées à l’OIP.

Ce n’est pas la première fois qu’une personne détenue fait l’objet d’une sanction disciplinaire ou, dans certains cas, infradisciplinaire, pour avoir initié une pétition. En août 2021, Monsieur I., détenu à Châteaudun, avait ainsi été placé à l’isolement après avoir été à l’origine d’une pétition dénonçant des quantités de nourriture insuffisantes. Dans la décision, on pouvait lire que Monsieur I. « exerce une influence particulièrement néfaste sur ses codétenus et qu’il cherche à générer un incident collectif ». Si des exemples tels que celui-ci parviennent régulièrement à l’OIP, difficile de se faire une idée de l’ampleur du phénomène. Dans les données communiquées par la direction de l’administration pénitentiaire, les sanctions prononcées en 2021 pour des pétitions semblent avoir été fondues dans la catégorie « autres », empêchant toute tentative d’objectivation. Une seule chose est sûre : sauf revirement de jurisprudence, contester ce type de décision en justice sur le fondement de la liberté d’expression apparaît vain.

Des sanctions confirmées par la justice

En septembre 2015, Madame R., incarcérée au centre pénitentiaire d’Orléans-Saran, avait initié une pétition afin de contester le placement au quartier d’isolement dont avait fait l’objet l’une de ses codétenues. Sanctionnée de six jours de cellule disciplinaire avec sursis, elle avait tenté un recours hiérarchique auprès de la direction interrégionale des services pénitentiaires, arguant notamment que la pétition n’avait pas généré de trouble dans l’établissement. Mais, « considérant que la rédaction d’une pétition mettant en cause les décisions prises par l’administration est considérée comme étant une action collective pouvant troubler l’ordre de l’établissement ; que le trouble réel n’a pas à être établi ; que, dès lors, le fait que la pétition n’a pas engendré d’incident et s’est faite dans le calme entre les personnes détenues n’a aucune incidence sur la matérialité » de la faute, la direction interrégionale avait confirmé la sanction. Une décision validée par le tribunal administratif en 2019.

En mai 2012, à la maison d’arrêt de Rennes-Vezin, Monsieur V., auxiliaire bibliothèque, remettait à la direction sept imprimés demandant que les travailleurs puissent, ainsi qu’ils y avaient légalement droit, bénéficier d’une promenade le week-end. Pour cet acte, il avait été déclassé de son emploi par la commission de discipline et s’était vu retirer quinze jours de remise de peine par le juge de l’application des peines. La décision de déclassement avait été confirmée par le tribunal administratif de Rennes. Dans son jugement, ce dernier considérait que le fait que la demande ait été « rédigée et formulée de manière respectueuse et dans le calme (…) n’ôte rien au fait que Monsieur V. a rédigé et soumis à la signature des autres détenus une demande à caractère revendicatif ». Surtout, il estimait que « la circonstance que l’administration, prenant conscience du problème pratique que les horaires des détenus travailleurs représentaient pour l’exercice de leur droit à la promenade, ait immédiatement pourvu à cette demande est sans incidence sur la circonstance que cette démarche était proscrite et contraire aux exigences du maintien de l’ordre de l’établissement ». Autrement dit, peu importe que le fond de la demande ait été légitime et qu’elle ait, de fait, permis de réparer une injustice : il ne fallait pas le faire par voie de pétition. Par quelle voie alors, exprimer collectivement cette demande ? Sur cette question, la justice reste silencieuse.

Monsieur T. ne cache pas son incompréhension face à cette approche répressive. « Dans son discours d’ouverture des États généraux de la justice, Emmanuel Macron disait vouloir “provoquer un débat dans toute la société”, appelait les citoyens à ne “s’interdire aucun champ, aucun sujet, aucune audace”, disant que ce devait être un “exercice libre, ouvert et indépendant”. C’est tout ce que j’ai voulu faire », clame-t-il. Il faut croire qu’en prison, cela ne passe pas. Dans le rapport d’enquête, à la rubrique « éléments complémentaires et de personnalité », Monsieur T. est décrit comme un détenu « posant énormément de questions, [sortant] de cellule avec crayon et calepin (a même pris des notes lors de l’audience). Parai[ssan]t très imbu de sa personne, [il] donne un sens à sa détention en nourrissant l’espoir de faire évoluer les choses. » Cela non plus, apparemment, ne passe pas.

par Laure Anelli. Publié dans Dedans Dehors n°114, mars 2022


La justice refuse d’ordonner la mise en place de cahiers de doléance en prison

Début 2014, 208 personnes détenues a la prison de Baie- Mahault, en Guadeloupe, signaient une pétition dénonçant leurs conditions de détention et réclamant, notamment, la mise en place d’un ≪ cahier de doléances afin que des plaintes puissent être enregistrées et consultées, dans le but d’éviter les conflits entre surveillants et détenus ≫ et ≪ de trouver des solutions rapides a des problèmes devenus trop récurrents ≫. Quelques mois plus tard, l’OIP saisissait le juge des référés du tribunal administratif de Basse-Terre pour tenter d’obtenir la mise en place du mécanisme d’expression collective réclame par les personnes incarcérées. En vain. Dans une décision 9 octobre 2014, ce dernier a considéré que ≪ si les personnes détenues disposent de la liberté d’opinion et de la liberté de s’exprimer sous réserve de ne pas compromettre leur réinsertion ou le maintien du bon ordre et de la sécurité ≫, Cette liberté n’implique pas ≪ que l’administration pénitentiaire organise un dispositif de concertation avec les personnes détenues ou mette à leur disposition des cahiers de doléances ≫. – Nicolas Ferran – TA Basse-Terre, 9 oct. 2014, n°1400743

(1) Article 57-7-1 du code de procédure pénale.