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Sanctions disciplinaires : la Cour de Cassation fragilise les automatismes du JAP

Un arrêt récent de la Cour de Cassation remet en cause la pratique largement répandue consistant à supprimer des crédits de réduction de peine en cas de sanction disciplinaires. La décision met en évidence la nécessité de rompre cette automaticité, mais reste en contradiction avec les exigences du droit au procès équitable inscrit dans la Convention européenne des droits de l’homme.

En pratique, les sanctions infligées par la commission de discipline (présidée par le chef de l’établissement pénitentiaire), donnent lieu dans la quasi-totalité des cas à un retrait de crédit de réduction de peine (CRP). Le juge de l’application des peines (JAP) prend en effet pour argent comptant les affirmations de l’administration pénitentiaire (AP) et a très souvent recours, presque ouvertement, à un barème fixe de retrait de CRP par jour de quartier disciplinaire infligé.
Jusqu’à récemment, la jurisprudence se montrait particulièrement conciliante avec cette pratique. Les incidents sanctionnés par l’administration pénitentiaire étaient perçus comme traduisant un manquement du condamné par rapport à l’exigence de bon comportement dans la prison, ce qui permettait de doubler la sanction disciplinaire d’un retrait de CRP, tout en soutenant que les deux procédures étaient indépendantes l’une de l’autre. Ce cloisonnement des procédures et la référence générale au comportement de la personne détenue permettaient aux juridictions d’application des peines de s’abstenir de vérifier les faits retenus par la commission de discipline.

Des faits insuffisamment caractérisés

La jurisprudence récente de la chambre criminelle de la Cour de cassation vient – timidement contrarier cette logique. Par un arrêt du 21 septembre 2016, elle a jugé que le président de la chambre de l’application des peines (CHAP) devait montrer dans les motifs de sa décision que les faits en cause caractérisent un mauvais comportement, mais aussi répondre aux critiques adressées par le condamné aux considérations retenues en première instance par le JAP. Celui-ci a en effet la possibilité de contester les motifs de cette décision.
À l’origine de cette décision, la mise en cause d’une ordonnance du JAP. Selon celle-ci, « le condamné [avait] fait l’objet de trois procédures disciplinaires », la première pour détention de lecteur MP3, écouteurs et chargeur USB le 03/07/2014 ; la seconde pour, le 13/08/2014, détention d’un « morceau d’une substance ressemblant à du cannabis » et, le 19/08/2014, « avoir insulté et menacé des agents de surveillance » ; la troisième pour « s’être battu avec des codétenus » le 03/09/2014. « Ces faits, déjà sanctionnés disciplinairement, constituent des inconduites répétées et de toutes natures, justifiant un retrait du [CRP] à hauteur de trois mois », concluait l’ordonnance. Devant le président de la CHAP, l’avocat du condamné avait alors fait valoir trois arguments. Tout d’abord, le fait que la détention de cannabis avait été écartée sur recours administratif, l’autorité hiérarchique n’ayant retenu en définitive que la possession d’un lecteur MP3 et de ses accessoires. Il rappelait ensuite que, si les faits des 13 et 19 août 2014 avaient été pris en compte par le JAP, ceux du 19 août n’avaient finalement pas été retenus par l’autorité disciplinaire.
L’avocat soulignait enfin le fait qu’un rapport administratif avait fait apparaître que l’intéressé, accusé d’avoir été à l’origine de violences, avait été en réalité victime d’une agression de la part de codétenus.
Le président de la CHAP avait néanmoins affirmé que « les incidents disciplinaires des 3 juillet 2014, 13 et 19 août 2014 et 3 septembre 2014, caractérisés par la détention d’objets prohibés, des insultes, menaces ou outrages à l’encontre de membres du personnel de l’établissement et par des échanges de coups entre détenus, constituent [la mauvaise conduite du condamné en détention] ».

Une décision à la portée limitée

Ces énonciations ont été par la suite cassées par la chambre criminelle, qui a considéré que le président de la CHAP n’avait pas assez motivé sa décision. La chambre explique en effet « qu’en se déterminant par ces seuls motifs, sans répondre aux observations de l’avocat du condamné, le président de la chambre de l’application des peines n’a pas justifié sa décision ». En d’autres termes, les critiques soulevées devant le président de la CHAP auraient dû faire l’objet d’une réponse argumentée de sa part ; le magistrat devait indiquer, à l’aune des éléments précis avancés par le condamné, en quoi les circonstances retenues caractérisaient néanmoins un mauvais comportement en détention.
Un tel raisonnement n’est pas sans précédent : la chambre criminelle avait déjà sanctionné une absence de réponse aux observations du condamné (voir crim. 29 avril 2009, n°09-80044). La décision de septembre 2016 paraît cependant originale par le degré de précision du contrôle des motifs exercé par la Cour de cassation. Un contrôle qui ne reste possible que si les critiques ont été clairement et précisément énoncées par le condamné ou son avocat devant le président de la CHAP, ce qui n’est pas le cas lorsque, comme souvent, l’argumentation développée est elliptique ou stéréotypée.
La portée réelle de la décision ne doit pas être surestimée. Dans l’affaire en question, le requérant disposait de documents de l’AP lui permettant de contester les appréciations portées par les juridictions de l’application des peines. Même si juridiquement, l’arrêt de la Cour de cassation impose aux juges de se prononcer sur les faits en tenant dûment compte des arguments du condamné, un tel examen risque toutefois, dans la pratique, d’être sommaire lorsque l’intéressé ne dispose pas de pièces de l’administration de nature à appuyer sa position.
Le système de retrait de réduction de peine est hautement problématique en soi, ne serait-ce que parce qu’il fait varier la durée de la privation de liberté en fonction d’impératifs de bon ordre propres à l’administration.
En toute hypothèse, un tel système ne peut être conforme aux principes du procès équitable énoncés à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme (applicable en la matière, comme l’a jugé le Conseil d’État, décision du 24 octobre 2014 n°368.580).
En effet, le condamné n’a pas la possibilité de discuter utilement les charges le visant, faute de pouvoir questionner les témoins et d’en convoquer lui-même, faute d’audience lui permettant de développer oralement son point de vue (voir l’arrêt CEDH Gülmez c. Turquie du 20 mai 2008, No.16330/02), etc. À cette question fondamentale de l’applicabilité de cette disposition européenne, l’arrêt du 21 septembre 2016 oppose une énième fin de non-recevoir. Dans ces conditions, les possibilités de contestation risquent de demeurer largement formelles.

Arrêt n°15-83.954 du 21 septembre 2016

par Hugues de Suremain