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Seuil d’irresponsabilité pénale à 13 ans: une avancée en trompe l’œil

Annoncée en fanfare sur les ondes de France Inter le 13 juin 2019, cette mesure, avant tout symbolique, ne devrait pas changer grand-chose pour les enfants concernés. Et risque même d’avoir un effet délétère pour ceux âgés de plus de 13 ans.

Parmi les mesures phares de la réforme Belloubet, l’instauration d’une présomption d’irresponsabilité pour les enfants de moins de 13 ans. Une disposition qui vise notamment à mettre la France en conformité avec la Convention internationale des droits de l’enfant, qui exige que soit établi un « âge minimum au-dessous duquel les enfants seront présumés n’avoir pas la capacité d’enfreindre la loi pénale »(1) et ne pourront donc pas être poursuivis pénalement. Mais comme l’explique Carole Sulli, du Syndicat des avocats de France, la ministre s’arrête au milieu du gué : « Au lieu de faire de cette présomption un principe irréfragable, auquel le juge ne peut pas déroger, le projet de loi se contente de poser une présomption simple, qui peut être écartée au cas par cas. » Les magistrats auront donc toujours la possibilité de rejeter cette présomption et de poursuivre pénalement un enfant de moins de 13 ans s’ils considèrent ce dernier capable de discernement.

Pire, la mesure risque d’entraîner un recul des droits pour les enfants âgés de plus de 13 ans : « Actuellement, le juge doit, en principe, systématiquement apprécier le discernement, quel que soit l’âge du mineur, explique Sophie Legrand, juge des enfants et membre du Syndicat de la magistrature. Avec cette nouvelle mesure, au-delà de 13 ans, en principe on ne se posera plus la question puisque le discernement sera présumé. Alors qu’un jeune de 14 ans peut être beaucoup moins mature que d’autres, avoir reçu une éducation défaillante… » Autre problème : ce projet de loi ne précise pas la notion de discernement, pourtant centrale. « Elle reste extrêmement floue, cela laisse place à une grande diversité de pratiques suivant les magistrats, explique Sophie Legrand. Certains juges en ont une conception très psychiatrique, et considèrent que si un expert établit que le jeune ne souffre pas de pathologie psychiatrique, alors l’absence de discernement ne peut être retenue. » La plupart tentent plutôt d’évaluer la maturité du jeune. « Mais selon quels critères, avec quels outils ? Cela n’est toujours pas défini », s’inquiète la magistrate. Il revient donc au juge d’en décider seul, en son âme et conscience. En cas de faits graves ou médiatiques, la pression est telle qu’il y a fort à parier que cette présomption d’irresponsabilité sera d’emblée écartée : « Quel magistrat va assumer de ne pas poursuivre au pénal un jeune qui aurait par exemple commis un meurtre ? Pourtant, il n’y a pas de lien entre le discernement et la gravité de l’acte », souligne la juge. Surtout, ne pas poursuivre pénalement ne signifie pas qu’aucune prise en charge ne sera mise en place : « L’action peut se poursuivre au civil pour les victimes. Quant à l’enfant, on peut ordonner un suivi en assistance éducative. On n’est pas obligés d’être sur une sanction pénale », complète Lucille Rouet, du même syndicat.

Lorsque des poursuites pénales seront engagées, de nombreuses mesures et sanctions éducatives pourront toujours être prononcées(2), y compris – pour les premières – avant l’âge de 10 ans. Des mesures qui restent inscrites au casier. « Je me souviens d’un enfant qui avait été condamné pour la première fois à l’âge de 9 ans par le tribunal – il avait dû commettre les faits à 8 ans. Donc sa première mention au casier, il avait 9 ans. Quand je l’ai connu, il avait 13 ans. Il en était déjà à sa deuxième incarcération. Mais parce qu’on a démarré trop tôt, on a épuisé trop vite toutes les mesures éducatives. » Un cas de figure que la réforme Belloubet n’empêchera pas de se produire. Pour cela, il aurait fallu que la ministre opte pour une présomption irréfragable. C’est le choix qu’ont fait l’Espagne et l’Allemagne : dans ces pays, un mineur de moins de 14 ans ne peut pas faire l’objet de poursuites. En aucun cas.

Par Laure Anelli

(1) Article 40.
(2) Les enfants âgés de 10 à 12 ans peuvent, au pénal, faire l’objet de sanctions éducatives (avertissement solennel, interdiction de paraître dans certains lieux ou de fréquenter certaines personnes, confiscation d’objets, travaux scolaires, mesure d’aide ou de réparation du dommage, stage obligatoire de formation civique… La violation d’une de ces obligations peut être sanctionnée par un placement) ou de mesures éducatives (remise aux parents, aux services d’assistance à l’enfance, placement dans un établissement d’éducation ou médical, admonestation, liberté surveillée, mesure d’activité de jour). Les enfants de moins de 10 ans ne peuvent faire l’objet que de mesures éducatives.