Il existe plusieurs dispositifs pour permettre à des personnes détenues atteintes de graves problèmes de santé de sortir momentanément ou durablement de prison. Mais la longueur et la complexité des procédures, la frilosité des magistrats autant que l’absence de places dans des structures d’hébergement médicalisé en réduisent considérablement la mise en œuvre.
Nombre de personnes incarcérées gravement malades ou âgées se trouvent dans un état de santé incompatible avec la détention. Dans ces cas-là, il existe des dispositifs de remise en liberté. La suspension et le fractionnement de la peine peuvent être accordés aux personnes condamnées ayant besoin de suivre un traitement médical à l’extérieur, mais ils sont limités dans leurs conditions d’octroi aux courtes et moyennes peines. La libération conditionnelle peut également être octroyée pour raison médicale, tout comme la semi-liberté, le placement à l’extérieur ou la détention à domicile sous surveillance électronique. Mais il n’existe pas de spécificité procédurale pour motif d’ordre médical : le détenu doit satisfaire aux conditions de recevabilité propres à chaque type d’aménagement (durée de la peine prononcée, nature de l’infraction commise, gages de réinsertion présentés, etc.).
Face à ces limites, la suspension de peine pour raison médicale a été instaurée en 2002. « La réforme était attendue depuis longtemps et devait mettre fin à une particularité du droit positif français – qui ne prévoyait pas jusqu’alors de mesure spécifique permettant de libérer, en raison de son seul état de santé, une personne détenue », écrit Jean-Claude Bouvier, juge de l’application des peines (Jap) au tribunal judiciaire de Paris(1). Pour encourager les professionnels de la santé et du droit à s’emparer de ce dispositif, la loi du 15 août 2014 a élargi son champ d’application en l’étendant notamment aux prévenus – sous la forme d’une mesure de remise en liberté – et aux personnes souffrant de troubles mentaux. Elle a par ailleurs assoupli ses conditions d’octroi en prévoyant une seule expertise médicale au lieu de deux. Enfin, elle a créé la libération conditionnelle pour raison médicale, afin de favoriser l’octroi de celle-ci aux personnes bénéficiant déjà d’une suspension de peine depuis un an(2). Pour autant, la procédure demeure complexe et sous-exploitée, comme en témoignent des Jap : « S’agissant des suspensions de peine, nous n’avons qu’un nombre très anecdotique de requêtes en ce sens : une seule en cours pour ma part », indique un magistrat du tribunal judicaire de Poitiers. « Il y a très peu de demandes », confirme un autre juge au tribunal judicaire de Nantes.
Le dispositif juridique, qui débute souvent par le signalement d’un médecin, n’est en effet pas bien connu de tous les professionnels de santé. Et quand le repérage n’est pas réalisé par un soignant, beaucoup de détenus ne sont pas capables d’engager eux-mêmes les démarches. Enfin, s’il appartient aussi à l’administration pénitentiaire de concourir au repérage et au signalement des personnes susceptibles de bénéficier de cette procédure, c’est encore loin d’être systématique.
Beaucoup de pathologies « en zone grise »
La suspension de peine peut être ordonnée dans les cas où la personne détenue présente « une pathologie engageant le pronostic vital » ou un « état de santé physique ou mentale durablement incompatible avec le maintien en détention »(3). Mais les juridictions interprètent ces termes de façon très restrictive : la Cour de cassation exige, depuis un arrêt du 28 septembre 2005, que le pronostic vital soit engagé « à court terme ». De plus, l’état de santé est rarement mis en regard des conditions de vie en prison, si bien que les suspensions pour motifs d’incompatibilité avec les conditions de détention sont très rares. « Nous ne sommes jamais certains que la démarche va aboutir favorablement, et finalement il y a beaucoup de pathologies chroniques en zone grise », résume un soignant en centre de détention. Par ailleurs, « les notions de “dangerosité” et de “risque de récidive”, souvent mises en avant par les experts et régulièrement retenues par les juges comme motif prépondérant de rejet, ne sont pas toujours analysées au regard de l’état physique de la personne détenue », indique la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté. Finalement, l’approche juridique de la suspension de peine conduit celle-ci à être « réservée aux seules personnes mourantes », souligne Jean-Claude Bouvier.
Un temps judiciaire souvent en décalage avec le temps médical
Pour autant, lorsque le pronostic vital de la personne est engagé, se pose le problème du délai d’examen des demandes par la justice, lequel n’est pas « un temps qui va avec la fin de vie », souligne la sociologue Aline Chassagne, autrice d’une enquête sur la fin de vie des personnes détenues. « Pour le médecin, parler de court terme signifie que l’horizon se réduit à quelques semaines, voire quelques mois. Face à cette “urgence” du point de vue du médecin, le magistrat dispose de quatre mois pour répondre à une demande de suspension de peine, et de six mois en cas de demande d’un aménagement de peine. »(4) Des délais auxquels s’ajoutent ceux de l’expertise, souvent trop longs, car les médecins experts sont en nombre insuffisant(5).
Il arrive ainsi que la décision de justice soit rendue trop tard. En 2019, une personne incarcérée à Nantes était décédée en détention alors qu’une demande de suspension de peine avait été faite. « Les contraintes procédurales ne nous ont pas permis de prendre la décision aussi rapidement qu’il aurait fallu », se souvient le juge de l’application des peines. Il existe bien une procédure d’urgence(6), qui autorise le juge à accorder une suspension de peine sur la base d’un certificat établi par le médecin responsable de l’US ou de l’UHSI dans laquelle le détenu est pris en charge. Mais pour la justice, un tel certificat a moins de valeur qu’un avis d’expert. Aussi, cette procédure n’est généralement utilisée « que lorsqu’il ne reste que quelques jours, voire quelques heures avant le décès, quand il n’y a plus le temps de faire la procédure dite classique et que l’on souhaite transférer le patient vers une unité de soins palliatifs par exemple », explique Aline Chassagne.
L’issue des procédures dépend aussi des relations qui se sont construites entre les magistrats et les médecins, avec un caractère “Jap-dépendant” : « Les fonctionnements [sont] ancrés dans un territoire avec des relations particulières avec certains médecins, certains experts, et pour des schémas similaires, on [peut] ne pas avoir les mêmes réponses d’une ville à une autre », relève la sociologue Aurélie Godard-Marceau(7). Quand un Jap est muté d’une juridiction à une autre, les usages qui s’étaient développés sont parfois remis en question. « L’un de mes patients à l’UHSI était dans un état général catastrophique, relate Frédéric Grimopont, médecin chef de l’UHSI de Lille. Il a obtenu une suspension de peine, pour pouvoir mourir dignement en soins palliatifs. Mais, alors que l’ancienne Jap accordait toujours des suspensions de peine de six mois, la nouvelle juge ne lui a donné que deux mois. Au bout de ces deux mois, elle m’a appelé : elle voulait que je le reprenne. Je lui ai dit qu’il en était hors de question. En vain, il a été ré-écroué et est mort quinze jours plus tard à l’UHSI, dans une chambre fermée à clé, avec des barreaux à la fenêtre. »
L’absence de place en structure d’hébergement
Outre les obstacles liés à la complexité du dispositif, le projet échoue fréquemment faute de place disponible dans les structures d’hébergement médicalisé (Ehpad, maison d’accueil spécialisée, hébergement avec prise en charge à domicile), qui sont par ailleurs peu disposées à accueillir des sortants de prison. « On doit souvent faire des recherches pour des maisons de retraite, pour des projets d’aménagement ou de suspension de peine. On sait par l’Agence régionale de santé qu’il y a des places disponibles dans les Ehpad de la région, mais ils refusent tous. Pour une personne qui sort, on peut solliciter vingt établissements, les vingt refusent. On avait parlé de la nécessité de développer des conventions spécifiques sur l’accès aux maisons de retraite, mais ça ne s’est jamais fait », s’agace Pierre-Yves Lapresle, de la CGT Insertion-probation et conseiller d’insertion et de probation à Bédénac. Certaines expériences montrent que ces difficultés pourraient être surmontées. « Une maison de retraite a été ouverte dans la direction interrégionale de Dijon, avec des lits pour personnes détenues. La directrice a mené son projet à bien, elle a préparé les équipes, a mis en place une formation à l’accueil de personnes ayant fait de la prison, et le résultat est très bien », expose Anne Dulioust, médecin généraliste à l’Établissement public de santé national de Fresnes. Une initiative salutaire, mais qui reste malheureusement trop rare.
Par Pauline Petitot
(1) « Sortir de prison pour raison médicale : du droit au fait », Jean-Claude Bouvier, Délibérée n°1, 2017.
(2) Article 729 du code de procédure pénale.
(3) Article 720-1-1 du code de procédure pénale.
(4) Aline Chassagne, Aurélie Godard-Marceau et Régis Aubry, « La fin de vie des patients détenus », Anthropologie & Santé [En ligne], 15 | 2017.
(5) Voir « Salon-de- Provence : faute d’expert, un détenu gravement malade reste en prison », Communiqué OIP, 2 décembre 2020.
(6) Procédure ouverte par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, étendue aux prévenus par la loi du 15 août 2014.
(7) « Fin de vie en prison : autopsie d’une anomalie », OIP, Dedans Dehors n°96, décembre 2016.
Publié dans Dedans Dehors n°115, juin 2022.