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Surpopulation : le Conseil de l’Europe presse la France de changer de stratégie

Dans une décision du 14 mars, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe exprime sa « profonde préoccupation » quant à l’aggravation de la surpopulation carcérale en France, et appelle Paris à changer de stratégie. « Face à l’urgence de la situation », il invite les autorités à envisager rapidement l’introduction d’un mécanisme national contraignant de régulation carcérale – et à s’attaquer enfin aux « causes profondes » du problème.

Quatre ans après la condamnation retentissante de la France par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire JMB c. France[1], le Comité des ministres du Conseil de l’Europe s’est à nouveau penché, le 14 mars, sur l’exécution de cet arrêt[2]. Au-delà de la situation individuelle des requérants, la Cour avait en effet souligné l’existence d’un « problème structurel » dans les prisons françaises et sommé l’État de prendre des mesures générales, notamment pour « résorber définitivement la surpopulation carcérale » et mettre en place une voie de recours effective permettant aux personnes détenues de contester l’indignité de leurs conditions de détention.

Or, loin de reculer, la surpopulation carcérale ne cesse de s’aggraver, comme le relève le Comité. Le nombre de personnes détenues approche aujourd’hui les 77 000, du jamais-vu. Les taux d’occupation des prisons continuent de grimper de manière exponentielle : non seulement la moyenne frôle 150 % dans les maisons d’arrêt, mais les centres de détention, habituellement moins denses, sont dorénavant occupés à 97,4 % et, selon les chiffres officiels, une quinzaine d’établissements ou quartiers dépassent 200 %. Malgré l’ajout de lits superposés, le nombre de personnes détenues contraintes de dormir sur un matelas à même le sol a dépassé les 3 000.

Si le Comité prend note « avec intérêt » des mesures prises pour « tenter de remédier au problème » et « encourage les autorités à poursuivre leurs efforts », il les invite « instamment […] à reconsidérer leur stratégie de lutte contre la surpopulation, en s’attaquant à ses causes profondes et en évaluant, de manière détaillée, l’impact des dernières réformes ». Et ce, « en prenant en considération » les recommandations du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) et les observations des acteurs de terrain – qui s’inquiètent, comme lui, de la « croissance constante de la population carcérale ».

Dans l’immédiat, « face à l’urgence de la situation », le Conseil des ministres presse le gouvernement d’« examiner sérieusement et rapidement l’idée d’introduire un mécanisme national contraignant de régulation carcérale ». Il rejoint ainsi une longue liste d’acteurs institutionnels, syndicaux et associatifs qui plaident depuis longtemps pour cette solution d’urgence – et se voient opposer une fin de non-recevoir[3].

Enfin, si la France a bien créé une nouvelle voie de recours en 2021 pour permettre aux personnes détenues de contester leurs conditions indignes de détention[4], l’instance européenne continue de demander des gages de son effectivité. Elle invite notamment les autorités à « faire connaître davantage le recours », « développer un outil statistique complet sur son fonctionnement », lui fournir « un maximum d’exemples concrets » et « améliorer l’exécution des décisions de référé pour assurer la complémentarité des recours judiciaire et administratif ». Des demandes qui font largement écho aux inquiétudes exprimées par l’OIP dans sa communication au Comité en amont de l’examen[5].

La balle est désormais dans le camp du gouvernement, qui doit apporter des réponses d’ici mars 2025. Va-t-il enfin prendre la mesure de l’urgence ?

Par Prune Missoffe

Cet article est paru dans la revue Dedans Dehors n°122 – mai 2024 : Isolement carcéral «je suis dans un tombeau»

 

[1] « Surpopulation carcérale : la CEDH condamne la France à y mettre un terme », OIP, 30 janvier 2020.

[2] Comité des ministres du Conseil de l’Europe, 1492e réunion, 12-14 mars 2024 (DH), H46-13 J.M.B. et autres c. France (Requête n° 9671/15).

[3] « Surpopulation carcérale : seul contre tous, le gouvernement s’oppose à une solution d’urgence », communiqué de presse inter-associatif, 12 octobre 2023.

[4] Article 803-8 du code de procédure pénale.

[5] OIP, Communication soumise le 30 janvier 2024.