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Troubles psychiatriques en prison : casser la spirale (Médecins du monde)

Les personnes souffrant de troubles psychiatriques majeurs sont incarcérées de façon répétée pour des délits mineurs. Pour remédier à cette situation, Médecins du Monde plaide pour un dispositif expérimental d’alternative à la détention provisoire, passant par un meilleur repérage des troubles psychiatriques durant la garde à vue et un accompagnement médico-social avant jugement.

La surpopulation carcérale endémique et la comparution immédiate sont deux travers du système judiciaire français qui s’entretiennent mutuellement au point qu’il serait illusoire de vouloir réduire l’un sans reconsidérer l’autre. La comparution immédiate concerne de fait majoritairement les classes populaires, les jeunes, les personnes issues de l’immigration et celles vivant en situation d’exclusion. La prison aussi. Parmi ces populations réprouvées, les personnes sans logement et présentant des troubles psychiatriques sévères se trouvent doublement marginalisées. D’une part, elles sont exclues par le droit lui-même: l’article 144 du Code de procédure pénale exige une garantie de représentation devant la justice, et en particulier un logement, pour bénéficier d’une mesure en milieu ouvert et échapper ainsi à la détention provisoire. Elles sont d’autre part exclues par le système de repérage des troubles psychiatriques, le plus souvent absent en comparution immédiate.

Dans ces conditions, des personnes souffrant de troubles psychiatriques majeurs sont incarcérées de façon répétée pour des délits mineurs. Et leur pathologie, de surcroît, ne leur permet pas de se défendre correctement. Les juges les envoient en prison avec pour principal argument qu’ils y seront soignés. Près de 22 % des personnes incarcérées étaient en extrême précarité avant leur entrée en prison, dont sans doute la moitié sans logement ; et 15 % présentaient une schizophrénie ou une psychose. La forte prévalence des troubles psychiatriques sévères dans les prisons françaises est connue et la France a été condamnée plusieurs fois, au niveau européen, pour avoir confondu la prison avec un lieu de soin… Malgré la présence de professionnels compétents dans les services médico-psychologiques régionaux (SMPR), les outils à disposition des soignants ne permettent en aucun cas d’aider les personnes à se rétablir socialement. Or le problème majeur que rencontrent ces personnes avant de rentrer en prison est l’exclusion, qui s’aggravera à cause de la violence et de la désocialisation induites. De fait, la prison n’est pas un lieu de soin et la mortalité de ceux qui en sortent est d’ailleurs plus élevée par rapport à la population générale.

Face à cette situation, les initiatives du ministère de la Justice visant à développer les peines alternatives à la détention et à améliorer ses conditions de sortie sont à saluer. Mais en se concentrant sur la récidive et en oubliant la prévention des incarcérations inadaptées, elles laissent de côté les populations les plus à la marge. Pour que ces dernières bénéficient de telles initiatives, il faudrait développer un système efficace qui permette d’estomper les effets délétères de la comparution immédiate et autorise les magistrats à prendre la décision de faire bénéficier de mesures en milieu ouvert ces malades en grande exclusion.

Pour répondre à cette exigence de santé publique et d’équité, Médecins du Monde propose un dispositif expérimental d’alternative à la détention provisoire. Celui-ci s’appuie sur un meilleur repérage par des médecins, durant la garde à vue, des personnes atteintes de troubles psychiatriques sévères ayant commis dans leur grande majorité des infractions légères, le plus souvent sur des biens ou contre l’État. Par ailleurs, il propose d’offrir, au moment de la comparution

Grâce à ce type de programmes, on observe chez les personnes vivant avec des troubles psychiatriques sévères et en grande exclusion, une réduction considérable des délits et des incarcérations.

immédiate des personnes « sans chez soi » et présentant un trouble psychiatrique sévère, un accompagnement médico-social dans un logement sur mesure pendant le délai de droit autorisé par la procédure. Les juges sont ainsi informés par les médecins des troubles psychiatriques sévères du patient. Une fois la personne stabilisée, celle-ci est aussi plus à même de se défendre. Ce programme permettra donc de rassurer les magistrats quant à la possibilité d’un suivi en milieu ouvert et leur donnera la possibilité, au moment du jugement, de décider de mesures alternatives à la détention. Il ne se substituera donc pas au jugement mais permettra un jugement plus équitable et surtout plus serein.

De fait, ces dispositifs ont fait leurs preuves à l’étranger. Aux Etats-Unis et au Canada, de nombreuses études ont démontré qu’ils étaient économiquement pertinents car moins coûteux que la prison pour une efficacité meilleure. Grâce à ce type de programmes, on observe chez les personnes vivant avec des troubles psychiatriques sévères et en grande exclusion, une réduction considérable des délits et des incarcérations, en lien avec une amélioration de leur santé et de leur condition de vie.

La ministre de la Santé a fait de la prise en charge des patients précaires atteints de troubles psychiatriques graves l’une de ses priorités dans le combat difficile de la lutte contre les inégalités de santé inscrite dans le plan quinquennal de lutte contre les exclusions et la pauvreté. De son côté, la garde des Sceaux, considérant aussi que les prisons ne doivent pas être un palliatif au manque de structures médicales adaptées, a initié une logique de dés-engorgement des prisons notamment pour des patients qui n’ont rien à y faire.

Dans ces conditions, l’heure est à l’innovation médico-sociale. Le gouvernement ne doit pas se contenter d’effets d’annonce. En soutenant une expérimentation médico-sociale d’alternative à l’incarcération, il permettra concrètement aux juges et aux médecins d’accompagner ensemble efficacement, dignement et à terme à moindre coût les patients vivant avec des troubles psychiatriques sévères en grande précarité. »

Thierry Brigaud, président et Jean-François Corty, directeur des missions France, Médecins du monde ; Claude-Olivier Doron, historien des sciences et Vincent Girard, médecin