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Villefranche-sur-Saône : un surveillant interdit d’exercer pour violences

Un surveillant du centre pénitentiaire de Villefranche-sur-Saône vient d'être condamné à douze mois de prison avec sursis assortis d’une interdiction d’exercer de deux ans pour des violences commises à l'encontre d'une personne détenue. Bien connu des prisonniers sous le surnom de « Sanglier », cet agent avait, tout au long de l'audience, nié l'agression. Pourtant, de la parole de la victime au témoignage de plusieurs surveillants, tout l'accablait.

L’audience s’est tenue le 21 juin 2022 au tribunal de Villefranche-sur-Saône. Le procès s’ouvre sur le rappel détaillé des faits survenus le 23 novembre 2020 à la maison d’arrêt. Ce jour-là, Monsieur R. subit une fouille par palpation conduite par le surveillant mis en cause, Monsieur M., et un autre surveillant, Monsieur C. Le détenu en ressort avec une plaie de quatre centimètres à l’arcade sourcilière qui lui vaudra deux jours d’incapacité totale de travail (ITT). Le lendemain, Monsieur M. rédige un compte-rendu d’incident (CRI) dans lequel il indique que le détenu l’aurait abondamment insulté en se montrant agressif, au point qu’il n’aurait eu d’autre choix que de plaquer Monsieur R. contre le mur avec une clé de bras. Ce dernier, parvenu à se dégager, aurait alors tenté de lui asséner un coup de poing, contraignant le surveillant à déclencher l’alarme avant de le plaquer au sol. Deux autres agents corroborent cette version.

L’affaire aurait pu en rester là si, le surlendemain, l’autre surveillant conduisant cette fouille, Monsieur C., n’avait écrit au procureur de la République pour livrer sa version des faits. D’après cet agent, Monsieur M. se serait d’emblée montré brutal, instaurant une ambiance tendue, les invectives fusant des deux côtés. Alors qu’il palpait les chevilles du détenu, son collègue, réagissant à une insulte, aurait « pris par les cheveux Monsieur R. et lui [aurait] fracassé la tête contre le mur ». Son témoignage est confirmé par un élève surveillant et un stagiaire également présents ce jour-là.

Le 8 décembre, le directeur de la prison confirme au procureur que « ces faits sont susceptibles d’avoir été commis par Monsieur M. ». Le lendemain, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, en visite sur les lieux, est avisée de la situation. À son tour, elle saisit le procureur et incite Monsieur R. à porter plainte, ce qu’il fera le lendemain. Dans sa plainte, ce dernier indique avoir « été violemment saisi par l’arrière du cou, plaqué contre le mur, puis saisi par les cheveux et heurté contre le mur » – un récit conforme au témoignage de Monsieur C., de l’élève et du surveillant stagiaire. Confrontés à ces dépositions, Monsieur M. et les deux agents l’ayant soutenu maintiennent leur version des faits. Plusieurs personnes affirment pourtant que l’un de ces témoins n’était pas sur place au moment des faits.

À la barre, l’accusé explique avoir dû réagir vite, « pensant que la situation était dangereuse ». Il ne saurait dire quand la blessure à l’arcade est arrivée, et affirme ne s’en être rendu compte qu’une fois l’intervention terminée. La présidente insiste : « Comment expliquez-vous que Monsieur C. prenne l’initiative d’écrire au procureur et de rédiger un CRI qui contredit tout ça ? Ce n’est pas tous les jours que l’on voit un surveillant prendre un rendez-vous avec un procureur pour dire qu’un CRI est mensonger, que cela le met en porte à faux et incite les élèves surveillants à faux-témoigner également. » « Je ne sais pas du tout », répond Monsieur M.

« La déposition de l’élève surveillant concorde avec celui de Monsieur R. Quel serait l’intérêt d’un élève surveillant, qui a quitté le centre pénitentiaire qui plus est, à faire un tel faux témoignage ? », poursuit la magistrate. « Je ne sais pas, il était dans une salle à côté, il n’a pas tout vu », avance le surveillant. « Vous être le seul à dire ça », rétorque la présidente, qui en vient alors aux faits survenus les jours suivants.

Le 10 décembre, deux autres surveillants rapportent en effet à la direction que le détenu se serait vu proposer un paquet de tabac en échange d’une lettre d’excuses adressée à monsieur M. L’un d’entre eux parle de corruption, les deux pointent une démarche « non déontologique ». « Comment expliquez-vous qu’on conditionne une remise de tabac à la rédaction d’une telle lettre ? », interroge la présidente. « On m’a dit qu’il souhaitait s’excuser, je l’ai vu, il s’est excusé, et il y avait du tabac, je leur ai dit de le lui remettre », répond-il. Confronté au témoignage des surveillants disant que le tabac dépendait des excuses, il affirme que tout cela est faux.

La présidente évoque finalement les multiples rapports disciplinaires visant le surveillant, faisant état de son « impulsivité » et de son « besoin d’être cadré pour ne pas prendre d’initiative inadaptée ». Monsieur M. se justifie sur chaque point, mettant notamment en cause sa direction. « Vous avez réponse à tout, ironise la magistrate. Je ne vais pas tout lire, mais on voit de nombreux rappels, la direction parle de manque de professionnalisme, d’arrogance, d’une certaine violence pour résoudre les conflits. Vous ne vous remettez jamais en question ? Pourquoi vous voit-on, sur les réseaux sociaux, en uniforme et écrivant : “Profession : gardien de gremlins” ? Cela interroge sur votre respect des personnes dont vous avez la garde, et sur votre place dans l’administration pénitentiaire », conclut-elle.

« Pourquoi vous appelle-t-on le “Sanglier” ?, questionne à son tour la procureure. Pourquoi pas Bisounours ? Cela n’a-t-il rien à voir avec votre comportement professionnel ? » « Quand on est détenu, quand on est avocat, on en entend parler tout le temps, du “Sanglier”, insiste l’avocate du détenu. Mais il est rare que ces faits arrivent jusque que devant vous, car tout le monde en a peur. » Elle s’attarde également sur le poste actuel de Monsieur M., temporairement affecté au centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse après avoir été suspendu quatre mois. L’avocate ne manque pas de souligner qu’il y occupe un poste administratif en raison d’une interdiction de contact avec la population pénale. Une décision rare, que ne retiendra pas la procureure : elle requiert une peine de six mois de prison avec sursis, prenant soin de l’assortir d’une dispense d’inscription au casier judiciaire – ce qui permettrait à Monsieur M. de continuer à exercer. Mais le tribunal condamnera Monsieur M. à douze mois de prison avec sursis et deux ans d’interdiction d’exercer, avec exécution provisoire[1]– une mesure rarement prononcée.

par Charline Becker

[1] Cette mesure est donc immédiatement applicable, même si la personne condamnée fait appel de sa condamnation.