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Des retards de soins à la dépendance aux antidouleurs

Anciennement détenu au centre pénitentiaire de Riom, Monsieur P. souffre depuis juin 2023 d'une pathologie douloureuse nécessitant une intervention chirurgicale. Bien que le personnel médical de la détention ait été alerté dès son incarcération en septembre 2023, il aura passé près d’une année en prison sans être opéré.

L’unité sanitaire de l’établissement pénitentiaire confirme que deux interventions chirurgicales pourtant programmées ont été annulées. La première, prévue en janvier 2024, a été reportée « à la demande du service d’escorte pour une problématique sécuritaire » ; la seconde, deux mois plus tard, en raison d’un supposé non-respect des consignes préopératoires, dont Monsieur P. assure n’avoir jamais été informé. Des documents obtenus par l’OIP attestent qu’au moins une autre consultation en milieu hospitalier a été reportée du fait de dysfonctionnements indépendants de sa volonté. Une demande de permission de sortir pour raisons médicales lui a également été refusée, l’hôpital et l’administration pénitentiaire se renvoyant la responsabilité de la prise de rendez-vous.

Or, du fait de la surpopulation carcérale, chaque report retarde considérablement la prise en charge médicale : « Le centre pénitentiaire de Riom compte à ce jour 708 détenus pour une capacité théorique de 568, souligne l’unité sanitaire. Cela a pour conséquence, entre autres, un allongement des délais dans l’organisation des extractions sur l’hôpital. »

Pour pallier ces retards successifs, Monsieur P. s’est vu prescrire du Tramadol, un puissant antidouleur, pour une durée initiale de cinq mois. Mais en avril 2024, l’arrêt soudain de ce traitement a révélé une dépendance sévère à cet opioïde. « On ne m’a jamais prévenu des risques de dépendance », rapporte Monsieur P. Pourtant, les risques associés à la prise de Tramadol sont tels qu’il ne pourra bientôt plus être prescrit que sur ordonnance sécurisée*. En attendant la reprise de son traitement, Monsieur P. a dû s’en procurer en échangeant son tabac et ses cantines, sacrifiant le peu de confort dont il disposait en raison de son addiction.

Bien que l’unité sanitaire ait jugé la situation de Monsieur P. « douloureuse et prioritaire », les solutions proposées durant son incarcération n’ont pas permis de venir à bout du problème, soulevant des questions sur la capacité du système carcéral à garantir des soins adaptés et en temps opportun.

« L’addictologue ne peut malheureusement pas le recevoir pour le moment », écrit ainsi l’unité sanitaire en mai 2024. Le mois suivant, l’Agence régionale de santé (ARS) rapporte l’échec des tentatives de sevrage de Monsieur P. avec d’autres antidouleurs et évoque l’élaboration d’une nouvelle approche thérapeutique. Elle envisage la possibilité de le référer à un centre antidouleur, mais souligne que « cette hypothèse reste compliquée […] en raison des extractions qu’elle impose ».

« Je suis sorti de prison addict au Tramadol », résume Monsieur P., qui a bénéficié d’une libération conditionnelle mi-août 2024 mais continue à ce jour de lutter contre sa dépendance.

Par Zoé Monty

*Agence nationale de sécurité du médicament, « Tramadol et codéine devront être prescrits sur une ordonnance sécurisée dès le 1er décembre », 26 septembre 2024.

Cet article a été publié dans le Dedans Dehors N°124 : Dix fois plus de suicides en prison qu’à l’extérieur