En octobre 2021, Oussama B., jeune homme de 20 ans incarcéré à la maison d’arrêt de Nanterre, est agressé pendant son sommeil par l’un de ses codétenus, armé d’une lame de rasoir. Il avait pourtant à plusieurs reprises alerté sur la dangerosité de son agresseur, qui avait multiplié les faits de violence et souffrait d’importants troubles psychiatriques. Une histoire qui pose une fois encore la question de la présence des personnes atteintes de pathologies mentales en prison.
En juin 2021, Oussama B., 20 ans, est incarcéré à la maison d’arrêt de Nanterre, un établissement chroniquement surpeuplé[1], et partage sa cellule avec un autre détenu. En septembre, il apprend qu’une troisième personne va être placée dans leur cellule, Faez M. Ce dernier est connu pour des faits de violence et décrit par un agent pénitentiaire comme « très perturbé, à surveiller toutes les heures », en raison d’un comportement « très agressif avec les détenus ». Oussama écrit au service pénitentiaire d’insertion et de probation, au chef de bâtiment, au gradé et au greffe pour que monsieur M. ne soit pas affecté dans sa cellule, sans obtenir aucune réponse. Avec son codétenu, ils refusent à deux reprises de réintégrer la cellule pour alerter à nouveau la détention : « Vous êtes tous des cas psychiatriques, ici ! », lui aurait lancé une gradée pour justifier le maintien des trois détenus dans la même cellule. Deux jours plus tard, dans la nuit du 2 au 3 octobre 2021, Monsieur M., à l’aide d’une lame de rasoir, tranche la gorge et un tendon du pied d’Oussama. Alertés par le troisième codétenu, les surveillants n’interviennent qu’au bout de trente minutes. Là, ils découvrent Monsieur M. riant en regardant sa victime inanimée. Oussama est conduit à l’hôpital Lariboisière.
À son retour trois jours après, il doit récupérer ses affaires dans la cellule encore ensanglantée, et est réaffecté dans le même bâtiment, malgré la souffrance traumatique dans laquelle il se trouve. L’équipe médicale qui l’accompagne alors constate, outre les séquelles physiques, l’intensité de ses cauchemars et « reviviscences » de l’événement traumatique. Déjà fragile psychologiquement avant les faits, Oussama sombre : il ne dort plus, ne sort plus en promenade. Face à la gravité de son état, l’équipe médicale décide de le placer sous médicaments, et élabore avec lui un projet d’accompagnement en vue de sa sortie prévue en mai, avec hébergement et suivi de soins. Projet qui ne sera pas mis en œuvre : en situation irrégulière en France, Oussama est arrêté par la police aux frontières le jour de sa libération, le 12 mai, au seuil de la maison d’arrêt. Placé sous le coup d’une obligation de quitter le territoire, il est conduit au centre de rétention du Mesnil-Amelot, où son suivi psychologique se limite à une prescription de médicaments. Finalement remis en liberté début juillet, il est alors livré à lui-même et vit aujourd’hui à la rue, sans pouvoir reprendre le poste qu’il occupait auparavant sur les chantiers, n’ayant pu suivre la rééducation kinésithérapique qui lui avait été prescrite. Outre ces problèmes de motricité et les douleurs physiques encore vives, il souffre de pertes de mémoire et reste profondément choqué.
Entre temps, son agresseur Faez M. qui avait été hospitalisé peu de temps après les faits, a mis fin à ses jours. Sa place était-elle en prison ? Dès son incarcération, il avait été identifié par l’équipe médicale de l’établissement comme présentant d’importants troubles psychiatriques, sans qu’un suivi n’ait cependant été mis en place. Une expertise psychiatrique réalisée au cours de sa garde à vue après l’agression d’Oussama conclura – fait très rare – à une abolition totale du discernement – une conclusion qui sera confirmée par une seconde expertise.
Dans une lettre ouverte datée du 22 juin 2022, le personnel de l’unité sanitaire de la maison d’arrêt de Nanterre a dénoncé la multiplication des actes de violence au sein de la détention et de l’unité médicale : tentative de meurtre réitérée à l’arme artisanale ou encore agression à l’eau bouillante ont ainsi eu lieu malgré les alertes des détenus et des soignants auprès de l’administration pénitentiaire sur les dangers induits par certaines cohabitations en cellule. Pointant la responsabilité de l’institution, les soignants dénonçent également le manque de moyens pour prendre en charge les troubles psychiatriques sévères dont souffrent nombre de détenus de la maison d’arrêt.
Par Odile Macchi
[1] Densité carcérale de 143,6 % en juin 2021, 156,1 % en octobre au moment des faits.