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Alors qu’il bénéficie d’une suspension de peine pour raison médicale depuis plus d’un an, un homme est menacé d’un retour en détention malgré l’aggravation de son état de santé

Fabien C., atteint de multiples pathologies graves a bénéficié le 12 avril 2013 d'une suspension de peine pour raison médicale, deux médecins experts ayant conclu que son état de santé était « durablement incompatible avec le maintien en détention ». A rebours de ces conclusions et en dépit de l'absence d'amélioration de son état et de l'apparition de nouveaux symptômes, une nouvelle expertise du 10 juin 2014 considère que son état de santé serait devenu « durablement compatible avec le maintien en détention ». Le Juge d'application des peines de Rouen se prononcera sur une éventuelle révocation de la mesure après l'audience qui aura lieu le 19 septembre 2014.

De multiples pathologies graves, invalidantes et évolutives

Fabien C., âgé de 44 ans, présente un état général très altéré et est reconnu travailleur handicapé. Il est soumis à un traitement médicamenteux très lourd de 14 médicaments différents. Concrètement, Fabien C. est atteint depuis l’adolescence d’une maladie congénitale rare qui altère le métabolisme des reins et entraîne l’apparition fréquente de calculs rénaux et d’infections urinaires, suscitant mictions impérieuses ou impossibilité d’uriner. Il est sujet à une décalcification du squelette et une ostéoporose sévère favorisant l’apparition de fractures osseuses. Il présente par ailleurs des séquelles d’accidents vasculaires cérébraux dont une paralysie partielle de la jambe droite et une réduction de son champ visuel. En outre, une hypertension sévère lui cause fréquemment céphalées et vertiges. Il est de ce fait contraint de se déplacer avec une béquille voire en fauteuil roulant.

L’ensemble de ses pathologies a été constaté dans deux rapports d’expertise distincts réalisés le 12 septembre 2012 et le 30 novembre 2012, les médecins experts attestant en conséquence que son état de santé était « durablement incompatible avec un maintien en détention ».

Au regard de l’ensemble de ces éléments, le Tribunal de l’application des peines d’Evreux dans son jugement en date du 12 avril 2013, a prononcé la suspension de la peine de Fabien C. pour raison médicale. Les juges ont notamment pointé l’impact très néfaste des conditions de détention sur l’évolution de son état de santé, soulignant qu’il est « indiscutable […] que les conditions de détention de M. C et la diminution de l’exposition solaire qu’elle entraine sont de nature à aggraver [son ostéopénie] ainsi que le risque de fracture et l’état de santé de Monsieur C. »

Une nouvelle expertise contestée

Comme le prévoit la loi, l’état de santé de Fabien C. a été réévalué au bout de six mois. Les conclusions de la nouvelle expertise rendue le 10 juin 2014 sont en totale contradiction avec les précédentes. Tandis qu’il relève de nouveaux problèmes de santé tels que « des syndromes d’apnée du sommeil » et la « suspicion d’un lupus en cours d’exploration », l’expert estime qu’ « un suivi médical est nécessaire » mais qu’ « on ne peut considérer que ces pathologies sont graves ou non accessibles à un traitement ». En conséquence, selon lui, l’état de santé de Fabien C. est « durablement compatible avec la détention » ou avec « le port d’un bracelet électronique ».

Les conclusions de cette expertise suscitent l’incompréhension des médecins qui suivent Fabien C., plusieurs d’entre eux indiquant ne pas avoir été sollicités par l’expert. Son médecin traitant relève notamment dans un certificat que « les conclusions de l’expertise médicale ne […] paraissent pas entièrement représentatives de l’état de santé de mon patient ». Son pneumologue atteste quant à lui que « cette pathologie respiratoire paraît peu compatible […] avec un éventuel séjour en milieu carcéral », soulignant « un risque de décompensation respiratoire ». Tous deux contestent que l’état de santé de Fabien C. soit compatible avec la détention, et s’accordent sur le fait que « le port d’un bracelet électronique est médicalement mieux adapté ».

Le dispositif d’accès à la suspension de peine en question

Le cas de Fabien C. illustre un certain nombre de difficultés pointées récemment par un groupe de travail sur la suspension de peine pour raison médicale mis en place à l’initiative conjointe des ministères de la Santé et de la Justice en vue « d’apporter des réponses pour améliorer les dispositifs existants en fonction des limites et des freins identifiés ». Considérant comme « trop strictes » les conditions d’octroi de la suspension de peine pour raison médicale, le groupe de travail, qui a rendu ses conclusions en novembre 2013, a notamment recommandé une meilleure prise en compte du handicap et soulevé « la question de [la] connaissance [par les experts] du milieu carcéral ». Estimant que « les médecins experts gagneraient à mieux prendre en compte les conditions concrètes et effectives dans lesquelles vivent les personnes qu’ils examinent » le groupe de travail a pointé « un déficit d’information et de formation […] particulièrement aigu pour les experts ». En l’espèce, l’expert ne semble pas avoir envisagé la question de la compatibilité de l’état de santé de Fabien C. avec les conditions de détention qui seraient les siennes s’il retournait en détention : en tant qu’inspecteur des douanes, il serait notamment maintenu au quartier d’isolement, une situation qui l’empêcherait concrètement de bénéficier d’une exposition solaire suffisante et d’un exercice de marche régulier, éléments essentiels pour limiter les risques de fracture et une aggravation rapide de son état. Cette dimension avait pourtant constitué un élément majeur en avril 2013 pour l’octroi de la suspension de peine.