Violences, usages disproportionnés de la force, falsifications de procédures disciplinaires, sanctions occultes et brimades... Le système de maltraitance de détenus mis en place par un groupe d'agents du centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier entre avril 2009 et juillet 2010 est avéré. C'est ce que révèle le rapport confidentiel de l'Inspection des services pénitentiaires (ISP) de mars 2011 que l'OIP s'est procuré. De la direction de l'époque tolérant voire couvrant ces pratiques, en passant par la direction interrégionale qui n'est pas intervenue, jusqu'à la direction de l'administration pénitentiaire qui a prononcé des sanctions disciplinaires symboliques, l'institution pénitentiaire a été défaillante à tous les niveaux. Sans compter l'inertie des autorités judiciaires et de contrôle, permettant à de graves abus de perdurer. En avril 2013, 3 agents déjà mis en cause par l'ISP ont été placés en garde à vue pour de nouvelles allégations de violences sur un détenu.
Des atteintes graves et répétées à la dignité des personnes détenues
Le rapport de l’ISP sur le centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier atteste de « violences physiques illégitimes », comme les coups de poings et de pieds qu’a reçu un détenu (Ahmed B.) lors de l’intervention de trois agents dans sa cellule disciplinaire, la déchirure du doigt d’un autre (Rachid F.) occasionnée par l’intervention d’agents dans le local de fouille, le coup de tête reçu par un troisième (Mohamed M.) de la part d’un surveillant lui ayant causé une fracture du nez et un traumatisme crânien… Il dénonce aussi des interventions musclées d’agents équipés à titre de « sanction déguisée » pour faire suite à des tapages ou insultes, parfois réels, parfois inventés. Il relève des pratiques humiliantes et courantes au quartier disciplinaire, lui-même décrit comme une « zone de non-droit » par un surveillant : détenus laissés en caleçon dans la cour de promenade, privation de matelas, de draps ou de tabac, privations régulières de promenades… Des fouilles abusives ont aussi été pointées comme celle pratiquée en mettant le visage du détenu dans un coussin. Enfin, les nombreuses dénonciations de détenus concernant le quartier « centre de détention » (CD) de l’établissement n’ont pas pu êtres toute vérifiées par l’ISP. Les prisonniers décrivaient des mesures de chantage, pression, rétorsion à l’encontre de ceux qui refusaient de jouer le rôle d’informateurs pour le compte des deux cadres responsables du CD.
La lourde responsabilité de la direction
Un tel mode de gestion de la détention n’a pu perdurer qu’avec l’aval de l’équipe de direction, dont l’ISP souligne « le rôle et la responsabilité particulièrement importants » dans la « perte de repères déontologiques » de quelques agents. Apparaissent en effet une tolérance à l’égard des brimades commises, des sanctions disciplinaires prononcées contre des détenus sur la base des seules affirmations d’un personnel, sans aucune forme d’investigations, voire une volonté délibérée de dissimuler les manquements des agents dans les rapports adressés aux autorités pénitentiaires et judiciaires. Un directeur se voit par exemple reprocher de ne pas avoir « informé la DISP, ni le procureur de la République desaccusations » de violences graves infligées par des personnels pénitentiaires à un détenu au quartier disciplinaire le 1er juillet 2009. Elle ajoute que l’absence de comptes-rendus par ce directeur, de manière « réitérée, amène à conclure [que celui-ci] a bien eu connaissance de dysfonctionnements, mais qu’il a intentionnellement cherché, à plusieurs reprises, à ce qu’ils ne soient pas relatés et donc connus dans leur intégralité ». Mal informée par la direction du centre pénitentiaire, mais alertée tout de même dès juin 2010 par l’OIP, la Direction interrégionale de Lyon n’a pas pris les mesures nécessaires face à des allégations répétées de violences et dysfonctionnements, ne jouant pas son rôle de contrôle hiérarchique.
L’absence de neutralisation des auteurs de graves fautes professionnelles par la direction de l’administration pénitentiaire
Parmi les treize agents mis en cause par l’ISP, huit ont reçu pour toute sanction disciplinaire une simple lettre d’observation du Directeur de l’administration pénitentiaire, dont un des directeurs à l’encontre duquel l’ISP avait préconisé une comparution devant le Conseil national de discipline. Le chef de détention, responsable des fautes les plus lourdes, a quant à lui été sanctionné d’un blâme lors de son passage en Conseil de discipline le 15 novembre 2012. Il a ensuite été réintégré comme chef de détention au CP de St-Quentin, en dépit des recommandations de l’ISP. Il est suspendu, tout comme d’autres agents, depuis le 2 avril 2013, pour une nouvelle affaire d’allégations de violences physiques contre un détenu portée à la connaissance du Parquet. En outre, il aura fallu attendre septembre 2011 pour que l’équipe de direction soit remplacée, certains de ses membres retrouvant des fonctions de direction dans d’autres établissements pénitentiaires. Au point de s’interroger sur l’importance accordée par la DAP au respect de la loi et de la déontologie professionnelle.
La défaillance des autorités judiciaires
Le rapport de l’ISP relève que la direction du CP a intentionnellement omis d’informer le Parquet d’incidents graves, ou lui a transmis des rapports erronés. Mais au moins sept situations parmi celles examinées par l’ISP ont été portées à la connaissance du parquet du TGI de Vienne entre avril 2009 et juin 2010, soit par des plaintes directes de personnes détenues, soit par des courriers de l’OIP. D’après les informations recueillies par l’OIP, un seul dossier sur sept a abouti à l’ouverture d’une information judiciaire et à la condamnation d’un surveillant à une peine d’emprisonnement de trois mois avec sursis pour « violence par une personne chargée de mission de service public suivie d’incapacité d’excédant pas huit jours » (tribunal correctionnel de Vienne, jugement du 13 mars 2012). Il est à noter que cet agent ne faisait pas partie des personnels fréquemment mis en cause par l’ISP. Aucune autre affaire signalée au parquet ne semble avoir donné lieu à des investigations aussi poussées que celles ultérieurement menées par l’ISP. L’Inspection a par exemple établi que l’intervention d’agents le 2 décembre 2009 contre Rachid F. « a donné lieu à des violences excédant celles qui étaient strictement nécessaires pour maîtriser le détenu », s’appuyant notamment sur l’avis du médecin ayant alerté la direction « de la gravité de la blessure ». Pourtant, le Parquet a classé cette affaire sans suite en juin 2010, sur la base d’une enquête de gendarmerie au cours de laquelle le médecin n’a pas été entendu, l’origine de la blessure du détenu n’a pas été recherchée et les versions contradictoires des agents n’ont pas été éclaircies. La répétition et la gravité des faits dénoncés, mettant en cause les mêmes personnels de l’établissement, imposaient que le parquet diligente des enquêtes approfondies.
Des autorités administratives de contrôle n’utilisant pas leurs prérogatives
Saisie par l’OIP via le sénateur Louis Mermaz dès le 11 juin 2010, la CNDS (puis le Défenseur des droits, DDD) s’est contentée de demander au ministère de la Justice d’engager une mission de l’Inspection des services pénitentiaires. Un choix contestable au vu des larges prérogatives d’investigations dont dispose cette autorité de contrôle, permettant une réaction immédiate aux faits dont elle est saisie en effectuant des « vérifications sur place », en auditionnant « toute personne susceptible de fournir des informations », etc. En outre, le DDD n’engagera aucune investigation supplémentaire entre 2010 et 2013, ce qu’il attribue, dans sa décision de mars 2013, à la communication tardive des rapports de l’ISP. Dans cette décision, il se contente de reprendre à son compte les rapports de l’inspection, se privant ainsi de la possibilité d’émettre d’autres observations que celles de l’ISP. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, auquel il appartient de veiller à ce que les personnes privées de liberté soient traitées avec humanité et de prévenir toute violation de leurs droits fondamentaux, n’est pas non plus intervenu de manière directe pour faire cesser les abus à l’œuvre au sein de l’établissement. Saisi en août 2010 par l’OIP, et avant cela par des courriers de personnes détenues, il attendra l’été 2012 pour effectuer une visite de l’établissement dont les conclusions ne sont pas encore rendues publiques.
Ajoutées les unes aux autres, les défaillances des autorités pénitentiaires, judiciaires et de contrôle n’ont pas permis que les détenus de St-Quentin-Fallavier victimes d’atteintes graves bénéficient de recours propres à assurer une protection effective de leurs droits et de leur dignité.