Le Comité pour la prévention de la torture (CPT) publie ce 24 juin le rapport de sa dernière visite en France. En écho aux travaux menés par l’OIP ces dernières années, il pointe l’échec patent des politiques de lutte contre la surpopulation carcérale, appelle à de mesures contre les violences pénitentiaires et dénonce des pratiques, parfois anciennes, qui portent gravement atteinte à la dignité des personnes détenues.
Chargé de prévenir les mauvais traitements des personnes privées de liberté en Europe, le Comité pour la prévention de la torture (CPT) publie aujourd’hui le rapport de sa dernière visite en France, effectuée en décembre 2019. Concernant les prisons, il soulève de nombreux sujets de préoccupation : la surpopulation carcérale en premier lieu, mais aussi les conditions matérielles de détention particulièrement dégradées dans certains établissements ainsi que dans les quartiers disciplinaires et d’isolement, la récurrence des allégations de violence et de mauvais traitements, le maintien en détention de personnes souffrant de troubles psychiatriques sévères qui devraient être prises en charge dans des structures adaptées à leur état de santé ou encore la multiplication de régimes spéciaux de détention relevant d’une « surenchère sécuritaire ». Des constats qui, pour la plupart, ne sont pas nouveaux. Le comité s’agace d’ailleurs « que des recommandations importantes, formulées de longue date, n’[aie]nt toujours pas été mises en œuvre » et rappelle que « les parties à la Convention se doivent de prendre des mesures effectives pour améliorer la situation à la lumière de ses recommandations. »
Lutte contre la surpopulation carcérale : un échec criant
Au moment de la visite du Comité, les prisons comptaient 4 000 détenus de plus que lors de sa précédente visite quatre ans plus tôt et près de 40 000 personnes étaient incarcérées dans des établissements dont la densité carcérale était supérieure à 120 %. « Depuis 1991, le CPT constate que les établissements pénitentiaires sont surpeuplés et […] recommande que des mesures soient prises pour remédier à cette situation. Invariablement, les réponses des autorités françaises dessinent une politique autour de deux axes : d’une part la création de nouvelles places, et d’autre part des réformes normatives visant à diminuer le taux d’occupation et à développer des alternatives à l’incarcération. Malgré l’augmentation constante de la capacité pénitentiaire et l’adoption de nombreuses mesures et législations, la population carcérale n’a cessé de croître à un rythme toujours plus soutenu », constate le comité sévèrement. Dès lors, il appelle le gouvernement à « tirer les leçons de l’inefficacité des mesures prises depuis trente ans » et à adopter une « stratégie globale en matière pénale et pénitentiaire afin de réduire drastiquement le taux d’occupation des prisons françaises et d’offrir des conditions d’incarcérations dignes », dans la droite ligne de la Cour européenne des droits de l’homme qui a condamné la France le 30 janvier 2020[1]. Cette stratégie devra « entraîner un changement de paradigme sur le recours à la privation de liberté qui doit réellement devenir l’exception », insiste le comité, pour lequel il est indispensable d’impliquer, dans cette perspective, « l’ensemble des parties prenantes, les acteurs du monde judiciaire et pénal, mais aussi les pouvoirs législatifs et exécutifs et les représentants des milieux académiques, d’organes de contrôle indépendants et de la société civile ». Une proposition qui pourrait contribuer à donner corps et sens aux États généraux de la Justice annoncés par le président Macron pour l’automne ?
Violences pénitentiaires : appel à la fermeté
Lors de sa visite, le CPT a par ailleurs recueilli des signalements de violences commis par des membres du personnel sur des personnes détenues. « Ces personnes auraient été poussées violemment et/ou reçu des coups de poing, de genou ou de pied dans différentes parties du corps, dont le visage », écrivent les auteurs. Ces actes, que le comité décrit comme « isolés » et qui « ne paraissent pas refléter une violence structurelle », sont néanmoins pour la plupart « corroborés avec des éléments médicaux » et « laissent à penser que certains agents se permettraient des actes répréhensibles sans craindre de conséquence ». À cet égard, il « invite les autorités françaises à renforcer les mesures pour poursuivre, et, le cas échant, sanctionner rapidement et fermement les agents auteurs de ces violences ». Constatant par ailleurs que « l’absence d’un élément d’identification d’un personnel limite grandement les possibilités de plainte de la part des personnes détenues et peut faire régner un sentiment d’impunité au sein des agents pénitentiaires », il préconise « que des mesures soient prises pour garantir que les membres du personnel pénitentiaire présents en détention soient toujours identifiables, de préférence en portant une plaque d’identité ou un numéro d’identification court ».
Le comité rappelle par ailleurs « la responsabilité particulière des personnels soignants dans la constatation et l’enregistrement des lésions traumatiques » et relève une pratique très hétérogène selon les établissements. Le rapport pointe que « dans les établissements visités, les constats de lésions traumatiques consultés par la délégation ne contenaient jamais de photos ni de schémas corporels », « n’étaient par principe pas transmis aux autorités compétentes de poursuite » et qu’ « aucun registre ne permettait d’avoir une visibilité claire sur le nombre de constats de coups et blessures établis et la nature des lésions constatées ». Il recommande que les autorités prennent « les mesures nécessaires afin qu’un compte-rendu soit établi après chaque constat de coups et blessures, dans tous les établissements pénitentiaires français ». Plus généralement, le comité relève un usage excessif de la force lors d’interventions – des pratiques qualifiées d’ « habituelles » par les agents – ainsi que des problèmes de violences entre personnes détenues et formule des recommandations « afin de prévenir toute forme de violence et garantir la sécurité des personnes détenues ». Autant de recommandations qui figuraient déjà, au côté de nombreuses autres, dans le rapport d’enquête sur les violences commises par des agents pénitentiaires sur les personnes détenues publié par l’OIP en juin 2019[2].
Des constats sans cesse renouvelés
Sur nombre d’autres sujets, le Comité regrette que persistent des pratiques attentatoires au droit qu’il avait déjà déplorées lors de précédentes visites. C’est la cas notamment du placement à l’isolement de personnes détenues pour des durées prolongées, pouvant emporter des conséquences sur leurs santé mentale, du recours quasi systématique aux entraves et de l’absence de confidentialité des soins lors des extractions médicales, de la pratique trop peu encadrée des fouilles à nu, ou encore des mesures de réveils nocturnes appliquées à de nombreuses catégories de personnes détenues pourtant « susceptibles d’entraîner des troubles psychologiques ou d’aggraver des problèmes existants, notamment concernant le risque suicidaire ». Il constate en outre une « surenchère sécuritaire élevant le seuil de sécurité passive de plus en plus haut ». Il invite les autorités à « sortir de cette spirale » et à « rétablir une approche fondée sur l’humain et la sécurité dynamique ». Une approche qui devrait inspirer l’ensemble de la politique pénitentiaire française.
Contact presse : Pauline De Smet · 07 60 49 19 96
[1] CEDH, JMB c. France, 30 janvier 2020.
[2] « Omerta, opacité, impunité : enquête sur les violences commises par des agents pénitentiaires sur les personnes détenues », OIP, mai 2019.