Après le centre pénitentiaire de Baie-Mahault*, c'est la maison d'arrêt de Basse-Terre qui est épinglée dans un rapport d'expertise concernant la vétusté, la promiscuité et le manque d'hygiène imposés aux personnes détenues. Désigné dans le cadre d'un recours déposé par quatre personnes détenues pour conditions d'hébergement indignes auprès du Tribunal administratif de Basse-Terre, cet expert s'est rendu le 29 septembre 2011 à la maison d'arrêt pour dresser le constat de leurs conditions matérielles de détention. Il a remis son rapport le 14 décembre 2011.
Construite en 1830 sur le site d’un couvent-hôpital datant de 1664, la maison d’arrêt de Basse-Terre est constituée « de très vastes dortoirs et de quelques cellules individuelles » mentionne le rapport. Alors que sa capacité théorique est de 130 places, l’établissement est équipé de 244 lits. Les cellules individuelles de 6,46 m² sont occupées par deux personnes. Celles prévues pour deux, d’une surface de 13,36 m², sont occupées par quatre personnes. Tandis que sont affectées six à neuf personnes dans des dortoirs de 32,48 m². 12 couchages, sous la forme de six lits superposés, y sont disposés.
Dans ces dortoirs, relève l’expert, les « lits non occupés servent d’étagères pour les objets personnels ou la nourriture ». Le mobilier se résume à « une table rectangulaire en bois, 8 tabourets en matière plastique » et « un placard commun à tous ». Le « séchage du linge » se fait sur « des fils tendus sommairement et accrochés à la moindre aspérité sur les murs ». Il n’y a pas « d’étagère, de miroir, [ou] de patère pour accrocher un vêtement ». Les conditions d’hygiène sont par ailleurs déplorables. Dans l’un de ces dortoirs, l’expert a noté que la « salle d’eau » est constituée d’un « lavabo cassé sans bonde et d’une douche sans pommeau »; le tout « dans un espace non carrelé » marqué par une « floraison de salpêtre particulièrement abondante ». Dans un autre, l’expert a constaté que les sanitaires sont « sans aération, sinon un trou de 6 cm de diamètre au-dessus d’un des lavabos ». La cuvette des WC n’a « ni abattant ni lunette de confort ».
L’expert a également visité l’une des cellules de 6 m². Comme toutes les autres, elle ne dispose pas de fenêtre. L’air et la lumière ne pénètrent qu’à travers des « lames verticales de béton orientées formant claustras », qui, selon certains prisonniers », laissent aussi passer la pluie. Les toilettes ne sont pas isolés. Ils ne sont séparés du reste de la cellule que par « un muret de 1m de hauteur empêchant toute intimité ».
L’expert a par ailleurs noté l’absence de « ventilation traversière » dans les locaux de détention visités. Cette situation engendre une température élevée malgré la présence de ventilateurs. L’expert a également remarqué que « le manque de prises électriques conduit les détenus à fabriquer des montages avec des rallonges et des multi-prises à partir de l’alimentation de la télévision » ce qui est représente d’un « risque réel » pour les personnes.
In fine, l’ensemble des locaux de détention a été qualifié de vétuste par l’expert. Les quelques travaux réalisés, « souvent de piètre qualité », « ne conduisent pas à une amélioration des lieux » souligne-t-il. « La peinture appliquée aux murs extérieurs ne tient pas », les coursives sont « sinistres du fait de leur absence de remise en peinture », les escaliers (…) ne sont pas aux normes et présentent des risques de chute pour les usagers ». Les cours de promenade, quant à elles, sont « exiguës et sales, il n’y a pas d’abris en cas de pluie » et elle donne vue sur les « murs lépreux des bâtiments de détention ». Dans l’une d’elles, « un rat mort a été laissé ostensiblement à notre attention ».
Dans un document remis à l’expert, l’administration pénitentiaire reconnait que « malgré les transformations successives pour adapter le site à une conception plus actuelle de l’emprisonnement, les locaux réservés à la détention ne répondent pas aux prescriptions du Code de procédure pénale », notamment « l’application des mesures individualisées de l’incarcération (encellulement individuel, séparation des condamnés et des prévenus) ». Elle précise également qu’ « il est difficile d’ignorer les problèmes de promiscuité que cette situation engendre et les incidences sur la personnalité des plus psychiquement fragiles ». Cependant, dans le même temps, elle présente comme un « atout » le « mode d’hébergement collectif » prédominant au sein de l’établissement. Même ce mode d’hébergement est « contraire aux normes européenne », les les cellules collectives « respectent une donnée essentielle de la culture caribéenne à savoir la vie communautaire » souligne- t-elle, jusqu’à estimer que ce paramètre expliquerait « la sérénité de la population pénale de Basse-Terre, parmi laquelle le nombre de tentatives de suicide et d’automutilations demeurent faible ». Un point de vue loin d’être partagé par les détenus ayant engagé un recours qui se plaignent, outre des conditions de détention indignes, du manque d’activités ou de travail qui les contraint à demeurer en cellule ou en dortoir 20, voire 22 heures par jour.
L’OIP rappelle :
– l’article 46 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 qui prévoit que l’administration pénitentiaire doit « assure[r] un hébergement, un accès à l’hygiène, une alimentation et une cohabitation propices à la prévention des affections physiologiques ou psychologiques».
– l’article D.349 du Code de procédure pénale qui prévoit que: « l’incarcération doit être subie dans des conditions satisfaisantes d’hygiène et de salubrité, tant en ce qui concerne l’aménagement et l’entretien des bâtiments (…) que (…) la pratique des exercices physiques »
– la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme selon laquelle « l’article 3 de la Convention impose à l’état de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités de l’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrances inhérent à la détention » (CEDH, Kudla c/ Pologne, 26 oct. 2000).
Paris, 8 février 2012
*Voir communiqué de l’OIP du 23 décembre 2011: « Centre pénitentiaire de Baie-Mahault (Guadeloupe): une expertise épingle la surpopulation et des problèmes d’hygiène ».