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Cours d’appel de Paris et de Toulouse : examen des non-lieux rendus à l’égard de détenus se plaignant de violences de la part de surveillants

La section française de l'Observatoire international des prisons (OIP) informe des faits suivants :

Les Cours d'appel de Paris et de Toulouse examineront, en audience publique, le 15 janvier pour la première, le 31 janvier pour la seconde, l'appel formé par deux détenus contre les ordonnances de non-lieu rendues respectivement par un juge d'instruction du Tribunal de Grande Instance (TGI) d'Evry et un juge d'instruction du TGI de Toulouse, s'agissant de violences dont ils se plaignaient de la part de surveillants. En dépit des éléments crédibles avancés, les requérants avaient tous les deux été sanctionnés par les magistrats instructeurs d'une condamnation à une amende civile pour plainte abusive.

La première affaire porte sur des faits survenus à la maison d’arrêt de Toulouse-Seysses durant les mois de novembre et décembre 2005. E. A. se plaint d’avoir été violenté par des surveillants de l’établissement, puis, plus gravement, par des membres de l’Equipe Régionales d’intervention et de Sécurité (ERIS) de Toulouse, alors qu’il refusait de sortir du quartier disciplinaire en protestation contre les mesures de sécurité draconiennes qui lui étaient imposées. Il fait état de coups sur le corps et la tête, de violences lors d’un changement de cellule puis d’une conduite de force en promenade, ainsi que d’une fouille intégrale humiliante. Les certificats établis au moment des faits attestent de lésions multiples et d’une fracture d’une côte. Ces événements sont relatés dans un avis de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) du 6 novembre 2006. Si la CNDS s’en est remise aux investigations judiciaires en ce qui concerne les surveillants, elle s’est estimée en situation d’affirmer, s’agissant des ERIS, que leur commandant « aurait pu prendre le temps pour tenter de convaincre E. A. de changer de cellule et n’aurait pas dû intervenir pour le conduire de force à une promenade qu’il refusait. »

Saisi d’une plainte avec constitution de partie civile le 22 décembre 2005, le juge d’instruction du TGI de Toulouse a rendu une ordonnance de non-lieu le 12 juillet 2007, au motif que l’intéressé avait adopté un comportement provocateur à l’encontre des surveillants, et que les agents des ERIS n’avaient fait usage de la force à son égard qu’en raison de son refus de se plier aux ordres. Il a condamné E. A. à une amende civile de 500 euros.

La seconde affaire concerne les conditions dans lesquelles C. K. a été fouillé lors de son placement au quartier disciplinaire à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne) le 30 juin 2004. Il se plaint d’une agression sexuelle, affirmant que les agents lui ont écarté les fesses de force lors d’une fouille intégrale. Dans un premier temps, une enquête avait été diligentée par le parquet après le dépôt d’une plainte du détenu. L’affaire avait été classée sans suite après un simple échange de courriers entre le parquet et la direction de la prison. C. K. avait alors porté plainte avec constitution de partie civile, afin de provoquer l’ouverture d’une information judiciaire. A l’issue de cette procédure, au cours de laquelle certains des personnels ont été entendus par les gendarmes, le juge d’instruction a estimé que les surveillants n’avaient fait qu’écarter de force les jambes du détenu, sans toucher les fesses du détenu et que, dès lors, l’infraction d’agression sexuelle n’était pas caractérisée. L’avocat du détenu a sollicité des investigations supplémentaires, affirmant que ous les éléments de preuve n’avaient pas été rassemblé par le magistrat, et qu’une confrontation s’imposait, d’autant que deux autres personnes incarcérées à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis se sont plaintes de faits similaires auprès de la CNDS. Le magistrat a considéré que ces demandes étaient à la fois irrecevables et infondées. Il a, le 16 octobre 2007, rendu une ordonnance de non-lieu et condamné le plaignant à 1000 euros d’amende civile.

Il se trouve que la Cour européenne des droits de l’homme est saisie de ce dossier. En effet, C.K. s’était plaint auprès d’elle tant en ce qui concerne les faits de violences alléguées que sur l’absence de diligence des autorités judiciaires à faire la lumière sur ceux-ci. Après un premier examen de recevabilité, la Cour de Strasbourg a, le 13 décembre 2007, décidé de communiquer la requête au gouvernement français en vue d’un examen de l’affaire au fond.

L’OIP rappelle :

– que la Cour européenne des droits de l’homme juge qu’en présence d’allégations défendables de traitement, une obligation pèse sur les autorités publiques de réaliser une « enquête approfondie et contradictoire » ( CEDH, Assenov et a. c. Bulgarie, §102, no. 90/1997/874/1086) et que l’absence d’interrogatoire complet des protagonistes et l’insuffisance des actions tendant à réunir et évaluer les éléments de preuve, peut conduire à la conclusion que l’enquête était superficielle  ou manquait de rigueur et, partant, qu’il y a eu violation des garanties procédurales (CEDH, Mentes c. Turquie, 28 novembre 1997, rec. 1997-VIII, §91)
– que la Cour considère que « Lorsqu’un individu se trouve privé de sa liberté, l’utilisation à son égard de la force physique alors qu’elle n’est pas rendue strictement nécessaire par son comportement porte atteinte à la dignité humaine et constitue, en principe, une violation du droit garanti par l’article 3 » (Tekin c. Turquie, arrêt du 9 juin 1998)
– que, «lorsqu’un individu est [privé de liberté] alors qu’il se trouve en bonne santé et que l’on constate qu’il est blessé au moment de sa libération, il incombe à l’Etat de fournir une explication plausible pour l’origine des blessures, à défaut de quoi l’article 3 de la Convention trouve manifestement à s’appliquer » (CEDH, Selmouni c. France, 28 juillet 1999).

L’OIP entend par ailleurs souligner que le prononcé d’une sanction pécuniaire ne peut qu’avoir pour effet de dissuader les personnes incarcérées de saisir la justice dès lors qu’ils s’estiment victimes de brimades de la part d’agents de l’Etat. En ce sens, elle constitue une atteinte au principe de prééminence du droit et au droit des détenus à un recours effectif, garanti par l’article 13 de la Convention européenne.

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