Tribune collective signée par 31 organisations du champ prison-justice.
- Cette tribune a été publiée sur le site du journal Le Monde le 20 janvier 2022.
Selon les derniers chiffres rendus publics, 1 074 personnes détenues étaient positives au Covid-19 au 7 janvier 2022, et 1 029 membres du personnel de l’administration pénitentiaire au 4 janvier. Dans les établissements touchés, l’isolement des personnes infectées est presque impossible. Des étages voire des bâtiments entiers sont parfois confinés et des personnes positives cohabitent avec d’autres non testées.
A la prison de Beauvais (Oise), un bâtiment de 200 personnes, dont 25 positives au virus, a ainsi été mis en quarantaine. Outre la particulière vulnérabilité des prisons à l’épidémie et la mise en danger des personnes qui y sont détenues et de celles qui y travaillent, l’arrêt des parloirs pour les personnes contaminées ou cas contacts, le rétablissement des plaques de Plexiglas de séparation pour les autres, et la suspension de la majorité des activités collectives privent les personnes détenues de leurs droits les plus essentiels et renforcent les tensions entre les murs.
Cette situation sanitaire critique doit beaucoup au surpeuplement des prisons. Les principaux foyers de contamination touchent des établissements particulièrement surpeuplés, comme la maison d’arrêt de Villepinte (Seine-Saint-Denis), à la densité carcérale de 166 %, ou les quartiers maison d’arrêt de Perpignan (Pyrénées-Orientales), qui atteignent plus de 200 %. Dans une cellule de 9 mètres carrés occupée par trois personnes, l’application des gestes barrières et la distanciation sociale semblent bien vaines.
La population détenue ne cesse de croître
Pourtant, en mai 2020, à la suite de mesures exceptionnelles d’octroi de réductions de peine supplémentaires et d’aménagements de fin de peine anticipés, conjuguées à la diminution des écrous sur cette période, la densité carcérale passait, pour la première fois depuis près de vingt ans, sous la barre des 100 %. Mais en dépit des multiples appels à la mise en œuvre d’une véritable politique de déflation carcérale, la population détenue n’a, depuis, eu de cesse de croître.
En un an et demi, elle a augmenté de près de 20 %, si bien que de nombreuses prisons ont retrouvé leurs tristes records de début 2020, et le nombre de matelas au sol a plus que triplé. Si l’inflation carcérale, la surpopulation à laquelle elle mène et l’indignité des conditions de détention qu’elle exacerbe doivent être combattues à travers des politiques de long terme, la situation épidémique actuelle rend l’urgence plus criante encore.
Un tel constat appelle au minimum de nouvelles mesures similaires à celles du printemps 2020. Au vu de la situation sanitaire actuelle inédite, l’envergure de ces mesures doit en outre être accrue et concerner également les personnes en détention provisoire – qui représentent environ 30 % de la population carcérale – et celles détenues pour des longues peines.
Les juridictions doivent quant à elles s’emparer de toutes les mesures à leur disposition pour réduire le nombre d’entrées en détention. Il leur revient de se saisir enfin pleinement des possibilités dessinées par la loi du 23 mars 2019 de programmation pour la justice qui, en l’absence de force contraignante et de moyens suffisants, sont encore loin d’être volontairement et unanimement appliquées.
La faisabilité juridique et politique de telles mesures n’est plus à démontrer : réduire la population carcérale, prendre en charge en milieu libre ceux qui peuvent ou doivent l’être, n’est ni déraisonnable ni dangereux. Et il y a urgence à agir.
Les signataires de cette tribune sont : Blandine Barut, présidente de l’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP) ; Delphine Boesel, présidente de l’Observatoire international des prisons, section française (OIP-SF) ; Romain Boulet et Karine Bourdié, coprésidents de l’Association des avocats pénalistes (ADAP) ; Pascal Brice, président de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) ; Yves-Marie Brient, président de l’Association nationale des visiteurs de personnes sous main de justice (ANVP) ; Béatrice Carton, présidente de l’Association des professionnels de santé exerçant en prison (Apsep) ; Juliette Chapelle, présidente de l’association des Avocats pour la défense des droits des détenus (A3D) ; Samuel Coppens, président du Centre d’action sociale protestant – Association réflexion action prison et justice (CASP-Arapej) ; Yvon Corvez, président du Club informatique pénitentiaire (CLIP) ; Benoît David, président de Ban public ; Véronique Devise, présidente du Secours catholique – Caritas France ; Claire Dujardin, présidente du Syndicat des avocats de France (SAF) ; Alexandre Duval-Stalla, président de Lire pour en sortir ; Bernadette Forhan, présidente de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT France) ; Jacqueline Francisco, secrétaire nationale du Syndicat national des personnels de l’éducation et du social – Protection judiciaire de la jeunesse (SNPES-PJJ-FSU) ; Ivan Guitz, président de l’Association nationale des juges de l’application des peines (Anjap) ; Marie Hardouin, présidente du Courrier de Bovet ; Elise Labbé, secrétaire générale du Syndicat national de l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire (Snepap-FSU) ; Valérie Lebail, secrétaire de l’Arapej-41 ; Julien Magnier, secrétaire national de la CGT-Insertion-probation ; Henry Masson, président de la Cimade ; Pierre Mathieu, président de Possible ; Alain Petiot, président d’Auxilia ; Kim Reuflet, présidente du Syndicat de la magistrature (SM) ; Carine Rolland, présidente de Médecins du monde (MDM) ; Laurence Roques, présidente de la commission libertés et droits de l’homme du Conseil national des barreaux (CNB) ; Malik Salemkour, président de la Ligue des droits de l’homme (LDH) ; Camille Spire, présidente d’Aides ; Antoine Sueur, président d’Emmaüs France ; Marielle Thuau, présidente de Citoyens & justice.