Transférés du centre pénitentiaire de Ducos (Martinique) à celui de Baie-Mahault (Guadeloupe) sans notification écrite préalable ni possibilité de refus , trois détenus martiniquais se voient privés depuis plusieurs mois de toute visite de leurs proches.
Incarcéré au quartier maison d’arrêt du centre pénitentiaire de Ducos (Martinique), F.C., père de famille, a été transféré à Baie-Mahault (Guadeloupe) le 8 juillet 2010. Sa famille étant domiciliée en Martinique, il n’a plus reçu de visites depuis plus d’un an. Bien qu’aucune notification écrite ne lui ait été alors apportée, ce transfert avait été réalisé à la suite d’un accrochage verbal avec un surveillant, pour lequel aucune procédure disciplinaire n’avait été engagée, ce qui lui aurait permis de bénéficier d’un débat contradictoire et de se faire assister d’un avocat. F.C. ajoute s’être excusé pour les insultes qu’il avait proférées dans un contexte où il avait « l’esprit bouleversé », venant d’apprendre le décès d’un proche. Ce n’est qu’en réponse au recours hiérarchique qu’il a adressé le 26 août 2011 au directeur de la mission Outre-mer de l’administration pénitentiaire que F.C. s’est vu notifier par écrit le 7 septembre les motifs de la décision de transfert, celle-ci ayant été prise « en raison d’insultes et de menaces proférées à l’encontre de membre du personnel pénitentiaire ». A sa demande de retour en Martinique , l’administration répond qu’un transfert sur Ducos ne « sera réalisé » qu’une fois « fixée » la date de sa comparution au tribunal appelé à le juger en appel sur les faits pour lesquels il est incarcéré.
Y.S., incarcéré lui aussi à Ducos depuis 5 ans, a été transféré début mai 2011 à Baie-Mahault, sans aucune notification écrite expliquant cette décision. Suite à sa saisine, le 17 mai 2011, de la mission Outre-mer de l’administration pénitentiaire, celle-ci lui indique maintenir la décision de transfert au motif qu’il aurait, « en dépit de ses dénégations, effectivement participé au mouvement collectif de plusieurs dizaines de détenus, troublant ainsi gravement l’ordre et la sécurité de l’établissement ». Malgré les faits qui lui sont reprochés, et qu’il conteste formellement, Y.S. n’a pas fait l’objet d’une procédure disciplinaire et n’a donc pu bénéficier d’un débat contradictoire ni de l’assistance d’un avocat. A sa demande de « pouvoir retourner dans son pays » pour bénéficier des parloirs avec son amie et être plus proche de sa mère et sa grand-mère malades durant les 17 mois qui lui restent à purger, l’administration pénitentiaire répond qu’à l’issue de sa peine, « sa sortie pourra être organisée en Martinique et qu’il lui appartient, avant la date de la fin de sa peine, de solliciter un transfert vers le centre de détention de Ducos en Martinique ».
Quant à B.T., sollicitant l’OIP le 6 septembre 2011, il explique avoir été transféré de Ducos à Baie-Mahault depuis plus de quatre mois, « sans même savoir pourquoi », ce qui l’empêche depuis lors de recevoir des visites de sa famille, dont celle de sa fille de 9 ans, qui venaient le « voir très souvent au parloir ».
L’OIP rappelle:
– La règle pénitentiaire européenne n°17-1 qui prévoit que « Les détenus doivent être répartis autant que possible dans des prisons situées près de leur foyer ou de leur centre de réinsertion sociale »
– que la Cour Européenne des droits de l’Homme estime qu’ « il est (…) essentiel au respect de la vie familiale que l’administration pénitentiaire aide le détenu à maintenir un contact avec sa famille proche » (Schemkamper c/France, 18 octobre 2005, Messina c. Italie, 28 septembre 2000, Kalashnikov c. Russie, 18 septembre 2001, Aliev c. Ukraine, 29 avril 2003)
– L’article D402 du Code de procédure pénale: « En vue de faciliter le reclassement familial des détenus à leur libération, il doit être particulièrement veillé au maintien et à l’amélioration de leurs relations avec leurs proches, pour autant que celles-ci paraissent souhaitables dans l’intérêt des uns et des autres. »
– La décision de la commission européenne des droits de l’homme du 20 octobre 1994 (Ismail Hacisüleymanoglu c. Italie): « le fait de détenir une personne dans une prison éloignée de sa famille à tel point que toute visite s’avère en fait très difficile, voire impossible, peut, dans des circonstances exceptionnelles, constituer une ingérence dans sa vie familiale, la possibilité pour les membres de la famille de rendre visite au détenu étant un facteur essentiel pour le maintien de la vie familiale ».