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La France condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour des violences commises sur un détenu par des membres d’une équipe régionale d’intervention et de sécurité (ERIS)

Dans un arrêt du 20 octobre 2011 (Alboréo c. France), la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a condamné la France pour des violences commises par des membres d’une équipe régionale d'intervention et de sécurité (ERIS) le 3 décembre 2005 à l’égard d’une personne détenue à la maison d'arrêt de Toulouse-Seysses. Les juges ont considéré que l’usage de la force par ces personnels pénitentiaires a été en l’espèce constitutive d'un « traitement inhumain et dégradant ». Cinquième condamnation de la France par la Cour dans le domaine pénitentiaire en moins d'un an, cette décision vient, après l'arrêt El Shennawy du 20 janvier 2011, sanctionner une nouvelle fois les pratiques des ERIS, unités spéciales de l’administration pénitentiaire.

E. A a été soumis pendant plusieurs années à un régime de détention sécuritaire extrêmement strict, se traduisant notamment par de multiples transferts d’établissements et des placements prolongés à l’isolement. En novembre 2005, alors qu’il était incarcéré à la maison d’arrêt de Toulouse-Seysses, E.A. a refusé d’intégrer sa cellule d’isolement pour protester contre les transferts à répétition dont il faisait l’objet et l’impossibilité pour lui de les contester. Ce scénario s’est reproduit à plusieurs reprises, se terminant à chaque fois par son placement au quartier disciplinaire, jusqu’au jour des faits examinés par la Cour.

Le 3 décembre 2005, E.A. achevait une période de placement au quartier disciplinaire, et la direction décidait de le placer à nouveau en cellule d’isolement. A l’occasion de l’intervention d’une équipe régionale d’intervention et de sécurité (ERIS) sollicitée par la directrice de l’établissement afin de le transférer de sa cellule du quartier disciplinaire – d’où il refusait de sortir – à sa cellule du quartier d’isolement, « un agent », note la Cour européenne, « repoussa le requérant vers le fond de la cellule avec un bouclier, puis deux autres le saisirent, l’allongèrent sur le sol avant de le menotter. Il fut ensuite soulevé et transporté dans la cellule du quartier d’isolement. La même méthode fut employée dans l’après-midi pour faire sortir le requérant de sa cellule et l’emmener à la promenade ». Une note du chef de l’inspection des services pénitentiaires (ISP) précise en outre que le détenu fut bâillonné, menotté lors du trajet et fouillé à corps de force à son arrivée en cellule d’isolement. Ces faits se sont répétés à trois reprises au cours de cette journée, en l’absence, relève la Cour, de phase de rencontre et de négociation avant l’usage de la force. A deux reprises E.A. fût «plaqué au sol». Après un premier certificat médical faisant état de lésions aux poignets et au visage, et d’une douleur sous-costale droite, un rapport médico-légal du 27 mars 2009 établit un « traumatisme thoracique avec fracture de la huitième côte droite en décembre 2005 », consolidée « avec séquelle à type de cal osseux hypertrophique et douloureux » en l’absence de soins médicaux appropriés. En 2010, le détenu fut contraint de subir une opération chirurgicale de l’hypertrophie du cartilage de la huitième côte droite.

Relevant «l’absence totale d’explication (….) de la part du Gouvernement » sur les séquelles présentées par E. A. à la suite de l’intervention des ERIS, la Cour européenne a estimé que le requérant avait été victime de « traitements inhumains et dégradants contraires à l’article 3 de la Convention».

C’est la seconde fois cette année1 que la Cour condamne des faits commis par les ERIS sur le fondement de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Créées par une note ministérielle du 27 février 2003, les ERIS, chargées « de renforcer, maintenir ou rétablir l’ordre » en cas de tensions particulières et de seconder les personnels pénitentiaires « en utilisant des moyens plus performants que ceux dont disposent les structures locales », ont la particularité d’intervenir cagoulées et de manière coercitive, le cas échéant armées de flash-ball, voire de fusils anti-émeute (« riot-gun»). Dans son arrêt El Shennawy contre France du 20 janvier 2011, le juge européen avait condamné la France pour traitement dégradant du fait de la mise en oeuvre sur une courte période de fréquentes fouilles intégrales filmées, parfois avec l’usage de la force en cas d’opposition de la part du détenu, par des agents d’une ERIS cagoulés.

Enfin, l’impossibilité juridique de soumettre au contrôle du juge les mesures de transfèrements sécuritaires répétitifs, point de départ de la protestation du détenu qui précéda le recours à la force par les ERIS ce 3 décembre 2005, a été condamnée par la Cour européenne sur le fondement de l’article 13 de la Convention Européenne des droits de l’homme qui garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de se prévaloir des droits et libertés consacrés par la Convention. En effet, jusqu’à l’arrêt du 14 décembre 2007 du Conseil d’Etat2, les mesures de « rotations de sécurité », malgré l’aggravation qu’elles emportent sur les conditions de détention des personnes soumises à ce régime, étaient qualifiées par le juge français de mesures d’ordre intérieur insusceptibles de voie de recours.

L’OIP rappelle :

– que « Lorsqu’un individu se trouve privé de sa liberté, l’utilisation à son égard de la force physique alors qu’elle n’est pas rendue strictement nécessaire par son comportement porte atteinte à la dignité humaine et constitue, en principe, une violation du droit garanti par l’article 3 » (CEDH, Tekin c. Turquie, arrêt du 9 juin 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-IV, pp. 1517–1518, §§ 52 et 53, et Assenov et autres, 28 octobre 1998, § 94) ;

– la recommandation du Comité de prévention de la torture (CPT) au gouvernement français « de rappeler aux autorités compétentes, y compris les autorités administratives et judiciaires, le principe général selon lequel il ne soit recouru à l’usage de la force (ou à la menace de l’usage de la force) en milieu pénitentiaire – telle une intervention des ERIS – qu’après que des tentatives de dialogue avec le(s) détenu(s) ont échoué » (Rapport de visite en France en 2006, CPT/Inf (2007) 44).

1Cour EDH, 5e Sect. 20 janvier 2011, El Shennawy c. France

2CE, Ass. 14 décembre 2007, Payet, Req. n° 306432